Une image vaut mille mots, mais un mot peut valoir une image qui en vaut mille. Saisi en contre-plongée, Donald Trump, le visage ensanglanté, brandit le poing au-dessus d’un essaim de gardes du corps, sous un drapeau américain déployé : qui douterait que cette photo prise par Evan Vucci le 13 juillet 2024 restera dans l’histoire ? Jason Farago, du New York Times, la compare à La Liberté guidant le peuple de Delacroix. Cette image à un son : « Fight, fight, fight » (« battez-vous »), prononcé par l’ancien président des États-Unis alors qu’il vient d’échapper à un attentat.
L’homme qui voulait tuer Donald Trump le
fait entrer dans la légende. Les médias comprennent dans l’instant le potentiel
de cette scène. Certains d’entre eux, très engagés contre Trump, tentent comme
par réflexe de la tourner à son détriment, ou du moins de la désamorcer.
Quelques-uns ciblent particulièrement le « Fight, fight, fight » ‑ et
après tout, avec le poing levé, c’est le principal apport personnel de l’ancien
président dans cet épisode. Nicolas
Ghorzi, de BFMTV, va jusqu’à transformer le « Fight »
(battez-vous) en « Wait » (attendez). « "Wait! Wait! Wait!" :
le moment où Trump a levé le poing juste après s’être fait tirer dessus »,
titre-t-il, esquissant une scène plutôt burlesque.
Poings brandis
D’autres affectent de considérer le « Fight,
fight, fight ! », au moins implicitement, comme un acte de
communication délibéré. « Donald Trump a eu la présence d’esprit de penser
à la scénographie de ce moment politique », écrit
Piotr Smola dans Le Monde. Ainsi, en à peine plus d’une minute (de
18 h 11 et 34 secondes à 18 h 12 et 47 secondes, précise Julien
Peyron dans Le Point), l’orateur frappé d’une balle et bousculé par
ses gardes du corps aurait conçu une mise en scène, sans bénéficier des conseils
du moindre spin doctor ? Quelle « présence d’esprit » en
effet !
Une présentation aussi venimeuse risque fort d’être contre-productive. D’autres commentateurs, qu’on ne pourra soupçonner de nourrir une plus grande sympathie pour Donald Trump, analysent l’épisode sous un angle plus réaliste et plus informatif. « Cet instant a été une illustration extraordinaire des instincts politiques naturels de Trump et de sa vive conscience de l’image qu’il projette », écrit ainsi Jill Colvin, d’AP News. « Même pendant un chaos inimaginable, Trump a pris le temps de livrer son message, suscitant des images et vidéos iconiques qui deviendront à coup sûr un moment d’histoire indélébile. » Carlos Lozada, du New York Times, assure que « ces quelques mots adressés aux milliers de participants à la réunion de Butler (Pennsylvanie) et aux millions de gens qui ont regardé la scène en boucle sur leur écran, ne sont pas moins emblématiques, pas moins essentiels pour comprendre le message et la signification de Trump. »
Logos, ethos, pathos
Et il en donne une explication remarquable :
« Avec ce refrain laconique et provocateur, Trump réalise de nombreuses
choses à la fois. Il confirme qu’il demeure lui-même, sain et sauf, il ordonne à
ses partisans comment réagir à ceux qui l’attaquent et il capte l’état
émotionnel d’un pays qui était à cran bien avant l’horreur d’une tentative d’attentat. »
Autrement dit, la formule « Fight,
fight, fight ! » fonctionne comme une petite phrase ! Avec un
logos « laconique », Trump affiche un ethos de leader
qui surmonte l’adversité et montre la voie, en phase avec le pathos de
son public. L’ethos est clair. « L’image de l’ancien Président,
visage en sang, poing levé et criant « fight, fight, fight ! » sous la
bannière étoilée, lui confère un statut iconique de Warrior, de
guerrier », analyse
Jean-Dominique Merchet dans L’Opinion. « En quelques secondes,
Donald Trump a réussi à incarner les mythes virilistes. » Quant au pathos
des Républicains américains, s’il en fallait une démonstration, elle
intervient bruyamment le surlendemain : « “Fight ! Fight ! Fight !“ :
Donald Trump accueilli en héros à la convention républicaine de Milwaukee »,
titre
Le Parisien.
L’équation est si claire que Trump lui-même
en a peut-être été effrayé. Dans les jours suivant l’attentat, il tente de
calmer le jeu en insistant sur la nécessité de l’union nationale et en usant d’un
vocabulaire pacifique, débarrassé de ses imprécations habituelles. Mais cette
fois, peut-être les spin doctors ont-ils eu le temps d’intervenir.
Michel Le Séac’h