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25 mai 2024

Marie-France Garaud : pourquoi ses déclarations sont rarement des petites phrases

« Marie-France Garaud laisse derrière elle un héritage politique marqué par le souverainisme, mais également quelques petites phrases bien senties qui sont rentrées dans la légende » écrit Antoine Margueritte dans Marianne. Ces « petites phrases bien senties » font exception : les propos retentissants de Marie-France Garaud, disparue jeudi dernier, ne sont presque jamais qualifiés de « petite phrase »[1].

A priori, c’est surprenant. Marie-France Garaud avait la dent dure, voire « le curare facile » (dixit Philippe de Villiers[2] aux côtés de qui elle se présenta à l’élection européenne de 1999), et a laissé quelques jugements radicaux. Le plus célèbre est sûrement celui-ci : « Je pensais que Jacques Chirac était du marbre dont on fait les statues, il est en fait de la faïence dont on fait les bidets ».

Elle avait la réputation, qu’elle contribuait à propager, d’avoir « fait » Jacques Chirac à ses débuts mais finit par le regretter quand il la limoge en 1979. « Jacques Chirac ment tellement qu’on ne peut même pas croire le contraire de ce qu’il dit », assure-t-elle aussi. Des années plus tard, elle élargit sa cible : « Mitterrand a détruit la Ve République par orgueil, Valéry Giscard d'Estaing par vanité et Jacques Chirac par inadvertance. »

Marie-France Garaud ne lésinait pas sur les mots
quand elle jugeait le personnel politique

La question n’est pas de savoir s’il s’agit de « petites phrases ». La locution ne répond à aucune définition normalisée. Elle est appliquée par les médias à des déclarations remarquables. Mais justement, pourquoi ne vient-elle pas spontanément sous la plume pour décrire les sorties de Marie-France Garaud ? Les journalistes parlent plutôt de « coups d’éclat médiatiques », de « verve sarcastique », de « formule mémorable »…

Serait-ce parce que leur auteur est une femme ? Si les phrases qualifiées de petites proviennent d’hommes dans l’immense majorité des cas, cela tient sans doute à la démographie de la classe politique. D’ailleurs, Marie-France Garaud n’est pas n’importe quelle femme. « “Elle adopte complètement les codes masculins », assure son biographe Olivier Faye. « Et ce qui est d’ailleurs assez étonnant, c’est qu’elle ne revendiquera jamais le fait d’être une femme. Elle était considérée comme un homme par ceux qui l’entouraient[3].” » On la qualifie de « Rastignac en jupons » (Pompidou), de « père Joseph au féminin » (Jérôme Cordelier). Les métaphores féminines qu’on lui applique sont elles-mêmes ambiguës : « guerrière poitevine » (Jérôme Cordelier), « Walkyrie guerrière » (Arthur Conte), « Jeanne d’Arc en culotte de chasse à courre » (Michel Crépeau). 

Sans leader, pas de petite phrase

En 1973, Newsweek voit en Marie-France Garaud la « most powerful woman of France » ; elle n’a pas 40 ans. Cependant, elle exerce son pouvoir sur les puissants, pas sur le peuple. « La femme de l'ombre n'imprime guère dans le public, et elle enchaîne les échecs cuisants, à la présidentielle de 1981 (1,33 % des voix), puis aux législatives de 1986 – elle ne sera jamais députée », souligne Jérôme Cordelier. Cette femme de pouvoir n’est pas une femme de leadership. Elle ne sera élue qu’à la faveur d’un scrutin de liste, aux Européennes de 1999, dans la foulée de Philippe de Villiers et Charles Pasqua. Elle affirme d’ailleurs n’avoir pas d’ambition personnelle : « Je ne me bats ni pour une carrière, ni pour un parti, ni pour une clientèle. Je me bats pour des idées qui sont les miennes[4]. » Elle a une « vision sacerdotale de l’engagement » affirme même Olivier Faye[5].

Quand elles ne sont pas des armes dans un combat des chefs (« Vous n’avez pas le monopole du cœur »…), les petites phrases sont le plus souvent un moyen d’affirmation du leader. La phrase du leader est souvent qualifiée de petite phrase. Mais cette locution ne s'impose que si l’on voit le leader derrière le locuteur.

Michel Le Séac’h

[1] Une autre exception : « "Vous serez une pendule entre deux candélabres", glisse à Chirac une MFG acide et furieuse quand elle apprend, début 1976, que Michel Poniatowski et Jean Lecanuet vont être nommés ministres d'Etat. Cette petite phrase, dont elle est très satisfaite, circulera dans Paris. » ‑ Patrice Duhamel, Jacques Santamaria, Les flingueurs, Plon, 2014.

[2] Dans l’émission « Face à Philippe de Villiers », sur CNews, le 24 mai 2024.

[3] Voir Hortense de Montalivet, « Qui était Marie-France Garaud, “la femme la plus puissante de la 5e République”? », Huffington Post, 3 septembre 2021, https://www.huffingtonpost.fr/politique/video/qui-etait-marie-france-garaud-la-femme-la-plus-puissante-de-la-5e-republique_178085.html

[4] Cité par Sabrina Tricaud, « Marie-France Garaud : "une volonté pour la France" », Histoire@Politique, 44, 2021, https://journals.openedition.org/histoirepolitique/1002

[5] Olivier Faye, La Conseillère, Fayard, 2021.