Politologues et journalistes américains désignent classiquement les discours inauguraux des présidents des États-Unis par leur phrase ou leur expression la plus significative, par exemple :
- « Nous sommes tous
républicains, nous sommes tous fédéralistes » (Thomas Jefferson)
- « La seule chose dont
nous devons avoir peur est la peur elle-même » (Franklin D.
Roosevelt)
- « Ne vous demandez
pas ce que votre pays peut faire pour vous mais ce que vous pouvez faire
pour votre pays » (John F. Kennedy)
Le premier discours inaugural de Donald Trump, le 20 janvier
2017, est souvent désigné comme l’« American Carnage speech » à
cause de cette petite phrase, vers le milieu d’une allocution à la tonalité
très sombre : « This American carnage stops right here and stops
right now ». (Ce carnage américain cesse ici et maintenant).
Avant le second discours inaugural de Donald Trump, ce 20 janvier 2025, certains Américains ont proclamé qu’ils ne l’écouteraient pas. La journaliste et historienne Alexis Coe a tenté de les convaincre, qu’ils aient ou non voté pour Trump, d’assister quand même à l’événement :
Alors que se prépare la seconde
inauguration de Donald Trump, lundi, l’historienne de la présidence que je suis
est surprise d’apprendre que beaucoup de gens l’ignorent joyeusement, comme si
c’était une simple frivolité, du remplissage pour les médias, une absurdité
dont on peut aisément se passer. […] Et l’on n’échappera pas à son
résumé pendant au moins 24 heures. N’est ce pas suffisant ?
Absolument pas. Que ce soit
deux heures ou deux cents ans plus tard, je vous l’assure, ce n’est pas la même
chose. Rien ne remplace le spectacle de l’histoire en train de se faire en
temps réel.
Et cette histoire en train de se faire se confond avec la petite phrase qui
donnera son sens au discours :
Peut-être êtes-vous encore traumatisé
par 2017 et l’allocution inaugurale « American Carnage » de Trump, une
fièvre dystopique de seize minutes. Sa vision lugubre de l’Amérique – que vous y
adhériez ou pas – est devenue une partie notoire de l’histoire américaine. Une petite
phrase [catchphrase] est une petite phrase.
Donald Trump a un peu compliqué la question :
le 20 janvier, il a prononcé deux discours au lieu d’un. Le premier, l’inaugural
address proprement dite, a été prononcé devant un parterre d’invités de
marque réunis à Washington dans la Rotonde du Capitole. Le second a été
prononcé devant un public de partisans. Selon certains, Trump
aurait retenu ses coups lors du premier discours, le plus « officiel »,
et se serait davantage lâché devant ses proches.
Le discours de la Rotonde abonde néanmoins en petites
phrases candidates à rester dans l’histoire. En voici quelques-unes :
- Drill, baby, drill ! (Fore, bébé, fore). Cette « petite
phrase familière » déjà utilisée pendant la campagne avait
été un slogan du Parti républicain il y a une quinzaine d’années. Elle est
cependant compromise depuis qu’elle a été détournée en « Spill,
baby, spill » (Pollue, bébé, pollue) après un grave accident de
forage dans le golfe du Mexique (que Donald Trump veut rebaptiser « golfe
d’Amérique »).
- From this moment on, America’s decline is
over. (À partir de
maintenant, le déclin de l’Amérique est fini)
- I was saved by God to make America great
again. (Dieu m’a
épargné pour que l’Amérique retrouve sa grandeur)
- We will strive together to make his [Martin Luther King] dream
a reality. (Nous nous efforcerons ensemble pour que faire de
son rêve une réalité)
- We will not forget our country, we will
not forget our Constitution, and we will not forget our God. (Nous n’oublierons pas
notre pays, nous n’oublierons pas notre Constitution et nous n’oublierons
pas notre Dieu)
- The American dream will soon be back and
thriving like never before. (Le rêve américain sera bientôt de retour et plus prospère
que jamais)
- We are going to bring law and order back to our cities. (Nous ramènerons la loi et l’ordre dans nos cités)
- We will pursue our Manifest Destiny into the stars, launching American astronauts to plant the stars and stripes on the planet Mars. (Nous poursuivrons notre Destinée manifeste jusqu’aux étoiles, nous enverrons des astronautes américains planter le « stars & stripes » sur la planète Mars)
- In America, the impossible is what we do
best. (En
Amérique, l’impossible est ce que nous faisons le mieux)
- With your help, we will restore America
promise and we will rebuild the nation that we love — and we love it so
much. (Avec votre aide, nous rétablirons la promesse de l’Amérique
et nous reconstruirons la nation que nous aimons – et nous l’aimons tant)
C’est beaucoup. Un
grand discours est identifié à une petite phrase, pas deux, encore moins une demi-douzaine ! Plutôt que les formules ci-dessus, la petite phrase de l’inaugural
address pourrait bien être en définitive celle qui ouvre le discours :
- « The golden age of America begins right now ». (L’âge d’or de l’Amérique commence dès à présent)
Ainsi, le discours pourrait bien rester dans l’histoire comme
le « Golden Age speech ». À moins que les Américains n’en décident autrement. Comme
le dit Alexis
Coe, “la vraie force de l’Amérique n’a jamais résidé uniquement dans les
paroles de ses leaders mais dans la résilience et l’idéalisme
de son peuple. Même si l’on nous présente un discours confus, des prétentions
fantastiques et des songeries lunatiques, appliquer délibérément le message reste
de notre responsabilité. En définitive, les vrais architectes de l’histoire ne
sont pas sur le podium – ils sont parmi la foule. »
Une petite phrase est choisie par
son public, dont le jugement est parfois inattendu. La foule américaine pourrait-elle
imposer un autre choix ? Elle a semblé très sensible à une phrase bien
particulière :
- « It
will henceforth be the official policy of the United States government
that there are only two genders: male and female. » (La politique officielle du
gouvernement des États-Unis sera désormais qu’il n’y a que deux
sexes : homme et femme).
Cette phrase a provoqué
une réaction enthousiaste au Capitole et des applaudissements frénétiques chez la
foule de partisans réunis dans un stade voisin, note le correspondant de la BBC. « C’est le signe que
les questions culturelles – à propos desquelles Trump affiche les contrastes
les plus nets avec les démocrates – resteront pour le nouveau président l’un
des moyens les plus puissants de garder le contact avec sa base. »
Michel Le Séac’h
Photo Donald Trump en 2024 :
Gage Skidmore, licence CC
BY-SA 2.0, via Flickr