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09 janvier 2021

Les élections présidentielles à pile ou phrase

LCP diffusera lundi 11 janvier à 20h30 la première partie d’un documentaire de Cécile Cornudet et Benjamin Colmon intitulé « Face à face pour l’Élysée ». Elle est consacrée aux débats télévisés entre François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing en 1974 et 1981, et au débat entre François Mitterrand et Jacques Chirac en 1988.

Le documentaire présente la mécanique des débats et les interminables négociations entre les équipes des candidats. En 1974, le marketing politique était focalisé sur le visuel. C’était un héritage du débat du 26 septembre 1960 entre John Kennedy et Richard Nixon. Les états-majors avaient lu et relu les pages de The Making of the President 1960 où Theodore H. White détaillait le bronzage de Kennedy, la chemise trop grande de Nixon, le gris trop clair du décor plusieurs fois peint et repeint, les éclairages dérangés par le piétinement des journalistes, etc.

Pour des Américains habitués aux émissions politiques radiophoniques, l’image était une grande nouveauté en 1960. On comprend qu’elle ait préempté les commentaires. En 1974, et a fortiori en 1981 et 1988, la télévision n’était plus si nouvelle pour les Français. Les mémoires n’ont pas été marquées par la couleur des cravates mais par trois petites phrases :

  • Vous n’avez pas le monopole du cœur (VGE en 1974)
  • C’est ennuyeux quand même que vous soyez devenu l’homme du passif (Mitterrand en 1981)
  • Mais tout à fait, monsieur le Premier ministre (Mitterrand en 1988)

Sorj Chalandon le rappelle avec force en commentant le documentaire de LCP dans le dernier numéro du Canard enchaîné (« Des hauts et débats », 6 janvier 2021) : « replongeons-nous avec curiosité dans le premier face-à-face télévisé de l’élection présidentielle française […] devenu l’exercice imposé de tout candidat à la magistrature. Et qui s’est bien souvent joué sur une petite phrase. Une formule choc, éprouvée lors des meetings ou balancée comme ça, réplique magique dans un moment d’état de grâce, faisant comprendre aux journalistes, aux états-majors et à la France entière que l’élection était presque gagnée ou quasiment perdue. »

Ainsi, le sort d’une élection présidentielle pourrait se jouer sur une petite phrase ! Mais si les petites phrases, certaines d’entre elles du moins, valent à des candidats élection « presque gagnée », n’est-il pas étrange qu’on persiste souvent à les considérer, dans leur ensemble, comme une nuisance anecdotique de la vie politique ?

Michel Le Séac’h

Illustration : débat télévisé Nixon-Kennedy en 1960, photo The Granger Collection via NDLA, licence CC BY-NC-SA 4.0

06 janvier 2018

« Ce que vous pouvez faire pour votre pays » : Emmanuel Macron dans les pas de Kennedy ?

La communication d’Emmanuel Macron serait-elle à la remorque de celle des présidents américains ? Il avait déjà recyclé une phrase célèbre de Donald Trump en lançant : « Make our planet great again ». En a-t-il fait autant avec une phrase de John Fitzgerald Kennedy dans ses vœux à la nation, au soir du 31 décembre ?

« Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour votre pays », a-t-il déclaré vers le milieu de ce discours de 18 minutes. Nombre de commentateurs y ont vu une référence au discours inaugural du président Kennedy en 1961 : « Ask not what your country can do for you – ask what you can do for your country' » (ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays). « C'est l'une des phrases présidentielles les plus connues », a noté Guillaume Tabard dans Le Figaro. « En reprenant les célèbres mots de Kennedy, Emmanuel Macron savait qu'on ne retiendrait que cette exigence de sa longue homélie de vœux ».

Le président de la République était-il aussi conscient de cette filiation que le pense Guillaume Tabard ? Probablement. Il a doublé son discours officiel de 18 minutes à la télévision par une allocution abrégée de 2 minutes diffusée via Twitter. Il a pris soin d'y reprendre la phrase : « Demandez-vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour la France ». Et même, alors que le temps lui était chichement compté, il l’a répétée (« chaque matin, demandez-vous ce que vous pouvez faire pour la France »), afin que nul n’en ignore.

D’ailleurs, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, avait déjà utilisé cette phrase dans un discours d’août 2015. Elle avait été totalement éclipsée par un autre passage du discours qui avait fait polémique. Il a clairement de la suite dans les idées.

Pas vraiment du Kennedy dans le texte

Cependant, la force de la formule de Kennedy venait pour une bonne part de sa construction en chiasme (ou en antimétabole, dirons les puristes ; n’entrons pas dans ce débat) : les mêmes mots y étaient répétés en ordre inversé : ce que votre pays peut faire pour vous/ce que vous pouvez faire pour votre pays. Pour des raisons encore mal connues, les répétitions de toutes sortes exercent un effet puissant sur le cerveau humain[1]. La poésie utilise cet effet depuis l’Antiquité et la politique sait aujourd’hui en jouer (« travailler plus pour gagner plus »…).

Emmanuel Macron y a renoncé. Coupant court à l’introduction rhétorique « Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous », il a sauté directement à la partie opérationnelle de la phrase : « Demandez vous chaque matin ce que vous pouvez faire pour votre pays ». Il est vrai que ce que la concision de l’anglais fait tenir en moins de vingt syllabes (ce qui est déjà beaucoup pour une petite phrase) en réclame une trentaine en français. Ainsi abrégée, la phrase du président de la République n’aurait rien eu de remarquable si elle n’avait pas, justement, rappelé celle de Kennedy.

Mais pourquoi avoir introduit ce « chaque matin » qui n’était pas dans la phrase de Kennedy ? Cette clause n’ajoute aucune idée, aucun sens supplémentaire. Elle alourdit la formule sans rien lui apporter et l’éloigne de son modèle. Certains médias, comme L’Obs, ignorent purement et simplement ces deux mots en trop. Décidément, Emmanuel Macron a encore des progrès à faire en matière de petites phrases. Sur ce plan là au moins, l’imitation des présidents américains peut lui faire accomplir des progrès.

Et après tout, il y a de l’admiration dans l’imitation. Tenez, Kennedy lui-même… « Ask not what your country can do for you – ask what you can do for your country' » est généralement tenu pour la plus célèbre de ses petites phrases, qui sont nombreuses. On a soutenu qu’elle n’était pas de lui mais de son speechwriter Ted Sorensen, qui lui-même disait s’être inspiré d’Abraham Lincoln et de Winston Churchill. Or, dans un livre paru en 2011, Jack Kennedy: Elusive Hero, Chris Matthews, lui-même ancien speechwriter du président Jimmy Carter, assure que la formule est due en réalité à feu George St John, directeur de Choate School… où John Kennedy fut lycéen. De ses leçons, il avait au moins retenu cela.

John F. Kennedyt, photo White House Press Office, domaine public, via Wikipedia



[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 220-222.

20 décembre 2016

« Ich bin Charlie » : un double snowclone en avance sur une actualité tragique

« Ich bin Charlie », titraient voici quelques jours de nombreux journaux, dans la presse française aussi bien qu’allemande ou anglophone. Ils annonçaient la parution de la première édition internationale, en allemand, de Charlie Hebdo.

La formule vous rappelle une chose, bien sûr. Ou peut-être deux ? Elle est formée sur deux formules qui ont couru dans le monde entier :
  • « Ich bin ein Berliner » (« je suis un Berlinois »), phrase prononcée par John Fitzgerald Kennedy à Berlin en juin 1963. Il exprimait ainsi la solidarité des États-Unis avec les habitants de Berlin-Ouest soumis au blocus soviétique.
  • « Je suis Charlie », slogan créé par le graphiste Joachim Roncin en janvier 2015 après l’attentat contre Charlie Hebdo et qui a déferlé en quelques heures sur le web français puis international[1].
Ces deux petites phrases sont si connues qu’elles sont toutes deux devenues des snowclones, c’est-à-dire des formules dont ont réutilise des éléments caractéristiques pour former d’autres phrases présentant une parenté sémantique, sous la forme « Ich bin ein XXXer » pour l’une, « Je suis XXX » (avec souvent reprise du graphisme d’origine) pour l’autre. Le titre né de leur fusion bénéficie d’emblée d’une grande puissance évocatrice. L’attentat commis au marché de Noël de Berlin hier lui a donné un caractère terriblement prophétique.

Au passage, « Ich bin Charlie » donne une nouvelle illustration de la capacité de l’Agence France Presse (AFP) à imposer des petites phrases. La formule, qui figurait dans une de ses dépêches, a simplement été reprise par un certain nombre de journaux.

Michel Le Séac’h


[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 228. Sur  « Ich bin ein Berliner », voir Pierrick Geais, « 'Ich bin ein Berliner', une petite phrase dont l'histoire continue de s'écrire », Vanity Fair, 20 décembre 2016.