En cinquante ans de carrière, François Bayrou, ancien
député, ancien ministre, ancien président de conseil général, maire d’une
grande ville, président d’un grand parti politique depuis près de vingt ans, a
eu le temps et l’occasion de prononcer des petites phrases présentées comme
telles par les médias.
La plus connue, assure
Evene/Le Figaro, est certainement : « Tu ne me fais pas les
poches » (2002). Les tournures négatives sont peu propices aux petites
phrases, sauf quand leur sémantique est positive (« ils ne passeront
pas »…). En l’occurrence, celle-ci est accompagnée d’un geste
spectaculaire, immortalisé par une vidéo : une petite gifle à un jeune pickpocket
(l’Institut
national de l’audiovisuel qualifie l’apostrophe de François Bayrou de
« petite phrase »). Ce n’est pas le coup de francisque
accompagnant le « Souviens-toi du vase de Soissons » de Clovis en 486,
mais autres temps, autres mœurs, et la phrase est bien à l'impératif… Bien qu’illégal, le geste de François Bayrou
paraît largement salué par l’opinion.
En l’occurrence, cette petite phrase est « sauvage »,
spontanée. François Bayrou affirme à maintes reprises son hostilité aux petites
phrases « de culture ». En 1996, alors ministre de l’Éducation
nationale, interrogé sur France Inter par
Pierre Le Marc, Franz-Olivier Giesbert et Gilbert Denoyan, il déclare :
« il est indispensable pour la majorité qu'elle accepte de présenter
aux Français un langage cohérent, qu'elle arrête de se disputer, qu'elle arrête
de faire des petites phrases et qu'elle se resserre autour de ceux qui, en son
nom, conduisent l'action gouvernementale. » En 2012, questionné
sur la littérature par Clément Solym pour Actualittés, il répond : « il
faut que [les responsables politiques] aient derrière eux un peu de passé,
quelques livres lus, une connaissance de l'histoire de notre pays et peut-être
une compréhension des enjeux du monde. C'est mieux que de faire des discours à
base de petites phrases. »
Il lui arrive aussi de s’en prendre à des petites
phrases spécifiques, par exemple de Benjamin Griveaux (
« Wauquiez est le candidat
des gens qui fument des clopes et qui roulent au diesel ») ou de
François Fillon (
« je suis gaulliste et de plus je suis chrétien »).
Inversement, il répudie leur usage pour lui-même. En 2006, interrogé sur France
Inter par Nicolas Demorand, il répond :
« Je suis en face de vous
et je vous parle et je ne suis pas en train de faire des petites phrases
préparées par des conseillers en communication, je vous parle comme un homme
parle à un autre homme, un homme parle à une femme. »
Il arrive néanmoins que sa sincérité soit mise en doute.
Début 2024, quand il n’obtient pas de poste dans le gouvernement Attal, Nicolas
Beytout se gausse : « Adepte des petits marchandages et de la
petite phrase, François Bayrou va ainsi retrouver, au sein des dépouilles de la
majorité, la posture qu’il a toujours affectionnée, celle de la corde qui
soutient le pendu. »
Parmi ses formules souvent citées par la presse figurent
notamment :
- Rassembler les
centristes, c'est comme conduire une brouette pleine de grenouilles :
elles sautent dans tous les sens
- À 4 000 euros par
mois, on n'est pas riche
mais surtout bon nombre de critiques personnelles comme :
- Tout ce que Sarkozy demande
[à Jean-Louis Borloo], c'est de taper sur moi.
- La Simone Veil que j'ai
soutenue et admirée ne doit pas accepter la création d'un ministère de
l'immigration et de l'identité nationale.
- [Nicolas Sarkozy] croit
qu'en ayant les élus on a les électeurs, qu'en montrant les anciens on a
les élections, qu'en faisant des promesses on a les suffrages.
- Président de la
République, ça veut dire quelque chose de lourd, et parfois il y avait à
mes yeux un peu trop de youp’ la joie ! (À propos du premier
quinquennat d’Emmanuel Macron)
Si François Bayrou s’en prend parfois nominativement à ses
adversaires politiques, il fait lui-même l’objet d’une petite phrase très remarquée
de Nicolas Sarkozy : « Pour
désespérer de
François Bayrou, encore faudrait-il que j’aie un jour placé de l’espoir en lui. » Largement citée par la presse, elle vaut à
son auteur le Grand
prix de l’humour politique 2015 décerné par le Press Club. « Un
humour extrêmement raffiné », commente François Bayrou. Sarkozy, qui
lui garde un chien de sa chienne depuis qu’il a appelé à voter Hollande en
2012, ne s’en tient pas là. « Il me cherche tous les jours, matin, midi
et soir », assure Bayrou, qui ne dédaigne pas de répondre sur le même
ton : « Celui qui a fait battre Sarkozy en 2012, c'est
Sarkozy lui-même. »
Ses petites phrases valent à François Bayrou de solides
inimitiés mais leurs traces dans l’opinion paraissent peu durables. Dans
le classement des émetteurs, il occupe un rang moyen. Peut-être parce que,
malgré ses trois campagnes présidentielles, sa participation au combat des chefs
est rarement frontale. Ainsi, les quatre exemples de petites phrases personnalisées
ci-dessus sont des formulations indirectes, non des confrontations directes ;
une seule, à propos de Sarkozy, concerne un affrontement au sommet entre
candidats à une élection présidentielle. « Tu ne me fais pas les poches » s'adresse en direct à un adversaire, mais celui-ci est un enfant.
L'éphémère « moment Bayrou »
Les sondages font néanmoins de François Bayrou un présidentiable crédible
face à Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal pendant une brève période de la campagne
présidentielle de 2007. Le politologue Xavier Mellet y voit un « moment
Bayrou » et une « bulle médiatique ». Il explique : « Le chef semble émerger de lui-même, porté par
les questionnements qu’il suscite dans la sphère politico-médiatique et les
effets que sa montée produit sur la compétition électorale. Ses qualités
personnelles (son honnêteté, ses origines sociales, ses compétences, etc.) sont
apparues principalement dans les contenus médiatiques en justification d’un
constat préalable de sa popularité et de sa capacité à troubler le jeu
politique. » Autrement dit, son ethos s’est affirmé. Mais il a vite
fléchi. François Bayrou n’a pas profité de ce moment favorable pour pousser son
avantage personnel.
Il insiste au contraire sur les aspects programmatiques de
la campagne. À partir du 10 mars, il s’en prend à la volonté de N. Sarkozy de
créer un « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ». Dans
les jours suivants, sa cote baisse dans les sondages : le « moment
Bayrou » est passé et ne reviendra pas de sitôt.
Éternel pourfendeur du bipartisme,
François Bayrou devient Premier ministre parce que le bipartisme ne fonctionne
plus, mais pas du tout comme il l’avait imaginé. On imagine mal qu’à ce poste
il se montre aussi
économe de petites phrases que Michel Barnier. Mais ce nouveau « moment Bayrou » en fera aussi une cible
privilégiée.
Michel Le Séac’h
Photo FMT,
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