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29 avril 2019

« L’art d’être Français » : une tentative de méta-petite phrase ?

Emmanuel Macron, devenu chef de l’État sans grande expérience pratique de la communication politique, a tardé à comprendre que les citoyens recherchent dans la parole présidentielle des signes, voire des consignes. S’il ne met pas de petites phrases dans ses interventions, les Français en trouvent quand même. En général, pas celles qu’il aurait voulu.

Sa conférence de presse d’après Grand débat national, le 25 avril 2019, donne l’impression qu’il a intégré cette dimension – y compris dans une mise en scène souvent qualifiée de « gaullienne ». Dans son discours introductif, la presse a presque unanimement remarqué l’expression « l’art d’être Français ». C’était clairement un but recherché puisque le président l’a répétée pas moins de quatre fois dans son discours introductif.

Personne ne l’a qualifiée de « petite phrase » (hormis L’Express, qui y voit aussi une « formule poétique ») ; il lui manquait en tout cas, à ce stade, un contenu implicite largement compris. Cependant, Emmanuel Macron s’est ensuite attaché à lui conférer du sens :

L’art d’être Français c’est à la fois être enraciné et universel, être attaché à notre histoire, nos racines mais embrasser l’avenir, c’est cette capacité à débattre de tout en permanence et c’est, très profondément, décider de ne pas nous adapter au monde qui nous échappe, de ne pas céder à la loi du plus fort mais bien de porter un projet de résistance, d’ambition pour aujourd’hui et pour demain.

La démarche rappelle celle du « Moi président » de François Hollande[1], sans la lourdeur de l’anaphore : il s’agit de faire entrer beaucoup de choses dans quelques mots. C’est la démarche du Credo. On pourrait parler de « méta-petite phrase » : un bouquet de contenus dans une formule concise.

Avec quelles perspectives de mémorisation ? L’élément de répétition est bien là, dans le discours présidentiel, dans la presse, dans les réseaux sociaux. Invitée du Grand débat de France Inter, Sibeth Ndiaye s’est aussi efforcée de faire tourner la formule le lendemain (« à travers ce que le président de la république a employé comme expression, l'art d'être Français, il y a au fond ce qui fonde notre volonté d'être de ce pays, de lui appartenir et de l'aimer »). En revanche, le contenu laisse probablement à désirer. Le Credo, comme d’autres méta-petites phrases qui ont réussi (« I have a dream »[2], « Yes we can »[3]…), exprime une vison homogène, cohérente. Or, comme l’a noté Arnaud Benedetti dans Atlantico, cet art d’être Français-là est « une traduction lexicale de la posture du “en même temps" ».

Ce qui n’a rien d’étonnant : Emmanuel Macron a de la suite dans les idées. Il le déclarait lui-même le 17 avril 2017[4] :

« Je continuerai à utiliser 'en même temps' dans mes phrases mais aussi dans ma pensée, parce que en même temps ça signifie simplement que l'on prend en compte des impératifs qui paraissaient opposés mais dont la conciliation est indispensable au bon fonctionnement d'une société. »

S’il a finalement renoncé à utiliser « en même temps », Emmanuel Macron entend sans doute lui donner un successeur plus sémillant dans sa forme mais tout aussi inaccessible à un cerveau normal dans son fond. « L’art d’être Français » a d’ailleurs provoqué les mêmes sarcasmes en ligne que le « en même temps ». Ses perspectives ne paraissent pas très solides.

Michel Le Séac’h



[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 59.
[2] Idem, p. 115.
[3] Ibidem, p. 121.
[4] Voir « “En même temps" : du tic de langage à la petite phrase chez Emmanuel Macron ? », Phrasitude, 18 mai 2017, http://www.phrasitude.fr/2017/05/en-meme-temps-du-tic-de-langage-la.html

18 mai 2017

« En même temps » : du tic de langage à la petite phrase chez Emmanuel Macron ?

Emmanuel Macron, on le sait, a des tics de langage, dont le plus fréquent est « en même temps ». La locution adverbiale figurait deux fois dans sa déclaration de candidature du 16 novembre 2016 (à 4:03 et 5:05).

Longtemps avant qu’Emmanuel Macron ne se présente à l’élection présidentielle, ces « en même temps » avaient pu être repérés dans ses interventions publiques. Trois fois dans un seul discours sur les taxis devant l’Assemblée nationale le 28 janvier 2015, par exemple. Ils ont ponctué à maintes reprises sa campagne électorale au point de susciter quelques moqueries. Emmanuel Macron lui-même en a plaisanté lors de son grand meeting de Bercy, le 17 avril : « Excusez-moi, vous avez dû le noter, j'ai dit en même temps. Il paraît les amis que c'est un tic de langage. »

Emmanuel Macron n’est pas le premier à cultiver cette locution : Albert Camus, qu’il cite volontiers, en faisait grand usage. « En même temps » figure quarante-cinq fois dans L’Homme révolté, dix fois dans La Chute, vingt-trois fois dans L’Exil et le royaume, etc. Mais sous la plume de Camus, elle signifie le plus souvent « simultanément ». Or, dans un sens figuré et plus populaire, elle peut signifier aussi « cependant », « en revanche », « d’un autre côté ».

Quel sens a-t-elle chez Emmanuel Macron ? Il s’en est expliqué lui-même le 17 avril à Bercy (c’est moi qui souligne) :

« Je continuerai à utiliser 'en même temps' dans mes phrases mais aussi dans ma pensée, parce que en même temps ça signifie simplement que l'on prend en compte des impératifs qui paraissaient opposés mais dont la conciliation est indispensable au bon fonctionnement d'une société. »

Explicitement, les « en même temps » d’Emmanuel Macron renvoient ainsi à une résolution des contradictions. Le président de la République pense pouvoir satisfaire tout le monde à la fois au lieu de trancher en faisant des mécontents. Ces trois mots seraient représentatifs d’un mode de gouvernement. Il n’est donc pas étonnant que plusieurs éditorialistes les aient traités comme une petite phrase, sur France Culture, dans L’Obs, Le Point, Challenge, La Croix, L’Express, etc. Avec une tonalité généralement négative. « Sous vos airs polis, vous avez dit beaucoup de choses et leurs contraires », lui disait Alba Ventura sur RTL. Ce jeune président serait aussi capable qu’un vieux politicien de tout promettre à tout le monde.

Pour Emmanuel Macron, le risque est clair : transformé en petite phrase dans l’esprit du public, « en même temps » pourrait brosser en trois mots le portrait d’un président conciliant… ou d’un dirigeant imprécis et indécis. Ou les deux en même temps (simultanément), selon les publics.

En même temps (cependant), la chance sourit à Emmanuel Macron : il ne semble pas que cette idée plutôt négative ait marqué l’électorat à ce jour. Google Trends ne révèle pas une envolée des recherches sur « en même temps » au cours des derniers mois. Sans doute la petite phrase n’a-t-elle pas dépassé le stade des médias, elle ne s’est pas inscrite dans l’esprit du public. Mais le risque demeure, car les bases sont posées. Une décision gouvernementale conflictuelle pourrait transformer la locution adverbiale en petite phrase toxique. Le président de la République aurait tout intérêt à la bannir désormais de son vocabulaire.

Michel Le Séac’h