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20 mai 2024

Philippe de Villiers, le grand discours et la petite phrase

À la question « Qu’est-ce qu’un grand discours ? » Philippe de Villiers répond implicitement : c’est une petite phrase !

Son avis n’est pas à prendre à la légère. Qu’on partage ou pas ses convictions, on reconnaît en lui un grand communicant. Créateur de la Cinéscénie du Puy du Fou (1978), pionnier des radios libres avec Alouette FM (1981), secrétaire d’État à la Culture (1986-1987), auteur ou co-auteur d’une trentaine d’essais, de pamphlets et de romans, Philippe de Villiers maîtrise le verbe à l’oral comme à l’écrit. On sait moins qu’il se soucie aussi de théorie de la communication. Il a créé en 1984 un établissement d’enseignement supérieur, la Fondation pour les arts et les sciences de la communication, devenue Audencia SciencesCom après son intégration au groupe de la grande école de management de Nantes.

Il était donc légitime qu’Eliot Deval, ce vendredi 17 mai dans l’émission Face à Philippe de Villiers sur CNews, lui pose la question : « Qu’est-ce qu’un grand discours ? ».


« C’est une question piège », répond Philippe de Villiers, qui n’a pas l’air piégé du tout – et peut-être le piège est-il plutôt dans sa réponse. Il poursuit : « C’est une parole inhabituelle dans la forme, et qui marque l’histoire. […] Il faut être laconique et dans l’histoire les grands discours sont laconiques en fait. » Il en donne comme exemple « l’allocution la plus rapide de toute l’histoire de l’Antiquité », l’injonction de Caton l’Ancien « qui devant le Sénat romain prononce la phrase suivante : "Delenda est Carthago" ». On note qu’il parle spontanément non de discours mais de parole, de mot ou de phrase ‑ phrase qu’on qualifierait volontiers de « petite » aujourd’hui. Ainsi, le « grand discours » n’est pas un discours long mais en réalité un bref passage retenu comme représentatif.

Ce qui rejoint la pratique des historiens anglo-saxons. Fréquemment, ils désignent les discours fameux non par leur date mais par leur phrase la plus remarquée : « Blood, toil, tears and sweat », « Rivers of blood », « I have a dream », etc. Philippe de Villiers cite d’ailleurs l’un d’eux : le « Ich bin ein Berliner » prononcé par John Fitzgerald Kennedy en 1963.

Il cite ensuite, en guise de discours « d’un laconisme fulgurant et insolent » :

  • « Vive le Québec libre ». (Charles de Gaulle)
  • « Les missiles sont à l’Est, les pacifistes sont à l’Ouest ». (François Mitterrand)
  • « Celui qui gagnera la guerre, c’est celui qui gagnera le dernier quart d’heure. Politique étrangère, politique intérieure, c’est tout un. La politique étrangère : je fais la guerre ; la politique intérieure : je fais la guerre, je fais toujours la guerre » (Georges Clemenceau)[1].
  • « Aujourd’hui, foudroyés par la force mécanique nous serons demain vainqueurs par une force mécanique supérieure ». (Charles de Gaulle)
  • « La bataille d’Angleterre va commencer. À tous ceux qui se préparent à faire leur devoir, je fais la promesse suivante : si jamais, si jamais l’empire britannique doit durer mille ans, alors je vous le dis dans mille ans il y aura encore des hommes qui diront : ce fut leur plus belle heure » (Winston Churchill).

L’avenir l’emporte sur le passé

Ce rapport au temps paraît essentiel. Pour Philippe de Villiers, « un grand discours c’est un discours qui porte un mot sur le temps à venir, et le mot est juste ». Ou encore : le grand discours est « en fait, une parole… une parole qui marque l’histoire, c’est une parole qui a prise sur les événements ». Elle est donc prospective, jamais rétrospective, elle parle de l’avenir et pas du passé. Peut-être même contribue-t-elle à façonner l’avenir. Ainsi, la formule de Caton « va déclencher la destruction de Carthage ».

Plus tard, dit Philippe de Villiers, « il suffira [on note le temps futur] d’un mot [on note le vocabulaire] du pape Urbain pour mettre en marche l’histoire et envoyer jusqu’à Jérusalem la fine fleur de la chevalerie de tout l’Occident ». Et le discours de Churchill fait miroiter une glorieuse perspective millénaire. Notons que le passage retenu est la conclusion d’un discours qui commence par une critique sévère contre la France (« The colossal military disaster which occurred when the French High Command failed to withdraw the northern Armies from Belgium… »), destinée peut-être à excuser le rembarquement de Dunkerque. C’est-à-dire que ce qui fait la grandeur du discours se rapporte à un avenir fantasmé et non à un vécu qu’on s’empresse d’écarter.

Micro-rhétorique

Et ce n’est pas tout. Le grand discours n’est pas seulement très bref, souvent réduit à une seule phrase, et tourné vers l’avenir. Pour convaincre, il s’appuie sur les trois piliers de la rhétorique décrits par Aristote : « D’abord, l’ethos, qui se rapporte à l’auteur, parce qu’il faut une aura, et il faut une cohérence, c’est ça l’ethos, entre celui qui parle et ce dont il parle. […] Ensuite, il y a le logos. Le logos, c’est l’argumentaire, c’est la logique, parce qu’il faut convaincre. Et enfin il y a le pathos, parce qu’il faut séduire, il faut de l’émotion, il faut exalter. »

Les « grands discours » cités par Philippe de Villiers sont ceux de grands hommes. Prononcés par des personnages secondaires, ils auraient sans doute disparu dans les oubliettes du temps – et de fait d’innombrables discours prononcé à la même époque n’ont pas laissé de trace. Ces grands discours et les petites phrases qu'on en retient sont magnifiés par l’aura de leur auteur, ils sont conformes à son image et contribuent à l’alimenter : voilà la cohérence de l’ethos.

Le raisonnement sur le logos mériterait d’être approfondi. Quel argumentaire, quelle logique un discours laconique de quelques mots peut-il contenir ? Réponse : le logos prend la forme de sous-entendus riches (« Les missiles sont à l’Est... »), soutenus peut-être par une prosodie séduisante. Quand au pathos, enfin, il ne relève ni de l’auteur, ni du contenu du discours. Pourtant, il est essentiel. Pourquoi le « Vive le Québec libre » du général de Gaulle est-il un grand discours ? Parce qu’il rencontre les aspirations d’un auditoire. « On a deux hommes qui parlent à deux peuples », relève encore Philippe de Villiers à propos de de Gaulle et Churchill. Le grand discours est grand non seulement par ce que son auteur y dit mais aussi par ce que son auditoire y entend. Il y a, en somme, co-construction implicite.

Le grand discours se présente donc comme une sorte de capsule rhétorique ‑ de « micro-rhétorique », pourrait-on dire par métonymie. En quelques minutes, Philippe de Villiers livre (sans la moindre note !) un cours entier sur la puissance du langage.

Michel Le Séac’h

Illustration : copie d'écran CNews

[1] La leçon sur le « dernier quart d’heure » est en fait postérieure à « je fais la guerre ». Entre les deux, il y avait une phrase non citée par Philippe de Villiers, à laquelle l’actualité pourrait donner un retentissement particulier : « "La Russie nous trahit, je continue de faire la guerre »…

15 août 2023

Dans La Tentation du Sauveur, Jean Garrigues illustre les noces de l’ethos et du pathos

Jean Garrigues est assurément l’un des meilleurs connaisseurs de la parole politique en France. Parmi ses nombreux ouvrages figurent notamment Les grands discours parlementaires de la Cinquième République (Armand Colin, 2006) et Les grands discours parlementaires de Mirabeau à nos jours (Armand Colin, 2017). Il a publié voici quelques mois La Tentation du sauveur – Histoire d’une passion française, où il décrit avec verve, passion et précision documentée l’enthousiasme suscité chez les Français par quelques personnages hors du commun, tous des hommes (une brève apparition de la « Madone du Poitou » et quelques allusions à Jeanne d’Arc soulignent le déséquilibre sans le compenser).

Ce livre est en fait une version augmentée d’un ouvrage de 2012, Hommes providentiels. Histoire d’une fascination française (Seuil). Notons que les petites phrases y font leur entrée en même temps qu’Emmanuel Macron :

Aux yeux de l’opinion, il apparaissait comme un homme neuf, contrastant avec les apparatchiks socialistes ou républicains, ces vieux routiers de la politique qui occupaient la scène publique depuis des décennies. C’était d’ailleurs sa marque de fabrique, cultivée à coups de petites phrases, de vraies provocations ou de fausses naïvetés.

En réalité, elles y étaient depuis longtemps, même si ce n’était pas sous cette appellation, ici manifestement péjorative*. Jean Garrigues, implicitement, ne reconnaît pas les petites phrases comme un phénomène spécifique de la communication politique. Pourtant, dans son analyse de l’homme providentiel, il éclaire en passant, mais brillamment, leur genèse et leur mission.

La fonction du sauveur « s’illustre par les nombreux récits et anecdotes légendaires qui accompagnent le règne d’Henri IV », note-t-il par exemple. On pourrait ajouter que ces récits et anecdotes sont souvent condensés dans une formule brève prêtée au roi : « Paris vaut bien une messe », « Ralliez-vous à mon panache blanc », etc. Ce qu’en langage contemporain on qualifierait volontiers de « petite phrase ».

Spécialement instructives sont les pages consacrées à Gambetta, dont l’immense popularité est ponctuée de formules enthousiasmantes, à Rouen (« Si nous ne pouvons faire un pacte avec la victoire, faisons un pacte avec la mort ! »), à Bordeaux (« Jurons tous la guerre à outrance ! »), etc. « Chacun est bien forcé de reconnaître l’"effet magique" de l’éloquence gambettiste », note l’auteur, citant Raymond Poincaré : « Nous autres, adolescents, […] nous nous répétions les passages les plus ardents des discours d’Amiens, de Belleville, du Château-d’eau » (p. 58). Ces « passages ardents » répétés pourraient bien être des synonymes d’époque de nos petites phrases partagées sur les réseaux sociaux.

La culture de l’ethos

Mais ce que révèle surtout Jean Garrigues, en creux, c’est ce qui précède les petites phrases, leur terreau fertile. L’homme providentiel ne naît pas ex nihilo, il acquiert d’abord une image. Le moteur de son ascension n’est jamais l’exégèse de son programme politique. C’est l’éloge de sa personnalité. Parmi de nombreux exemples, l’auteur note ainsi que « les élections législatives des 23 et 30 novembre 1958 confirment cette sacralisation du pouvoir, car c’est autour de la personne du Général que se focalise la campagne. » (p. 175). Une petite phrase ne résume pas un programme mais un personnage.

En fait, le seul thème « programmatique » récurrent chez les hommes providentiels paraît être celui de la guerre, ou plutôt de la paix, qu’il s’agisse de mettre fin à la guerre d’Indochine pour Mendès France, de ramener l’ordre en Algérie pour de Gaulle ou de chasser les Prussiens pour Gambetta. Ce sont des thèmes plus existentiels que politiques.

Devenir un homme providentiel ne suppose pas forcément une personnalité flamboyante. Le livre s’attache entre autres au cas de Pierre Mendès France. On aime se représenter ses partisans comme des citoyens obéissant à une rationalité politique. En réalité, il est porté par une faveur de la presse qui se soucie assez peu de détailler son programme politique. Au mieux, on vante sa « haute compétence », sans préciser même dans quel domaine elle s’exerce. À l’égard de ce type de personnage, le rôle essentiel de la presse n’est pas celui d’exégète : rien ne vaut un reportage dans Paris Match.

La campagne de « Monsieur X », devenu Gaston Defferre, en 1963, face au général de Gaulle, est l’exemple même de ce tournoi inégal (p. 194) : « Les Français auront alors à choisir entre, d’une part, cette politique et l’homme qui se sera engagé à l’appliquer et, d’autre part, le personnage historique, séduisant mais mystérieux, et qui considère qu’il n’a pas à exposer une politique, ni à rendre des comptes ». La victoire de la légende sur le programme est sans appel.

La condition du pathos

Reconnaît-on l’homme providentiel à ce qu’il dit ? Ou plutôt l’inverse ? Ses paroles portent dans la mesure où elles expriment ce qu’il est censé être ‑ son ethos, pour reprendre les catégories d’Aristote. Mais la personnalité du leader elle-même est une œuvre dialectique : elle est, au minimum, choisie par le peuple, guidé plus par le sentiment que par la raison. « Pierre Mendès France, entre ses adversaires et lui, voit se dresser pour le défendre cette espérance d’un peuple reclus de honte et de douleur… » écrit par exemple François Mauriac dans L’Express (p. 149).

Jean Garrigues souligne « la grande diversité des motivations qui suscitent ces engouements » (p. 151). Cependant, elles se rapportent le plus souvent à une personnalité, fantasmée ou pas : désir de modernité, confiance, affection, etc. Les choix politiques paraissent secondaire. L’auteur compare même Mendès France à Pétain : « Aussi différents que soient les deux hommes, les projets et les valeurs qu’ils véhiculent, ils se rejoignent dans cette sphère de la complicité fusionnelle avec les Français qui fait le succès ou l’échec de la mythographie providentialiste » (p. 158). Il rappelle la petite phrase chargée de sens du président Georges Pompidou au journal télévisé le surlendemain de la mort de son prédécesseur : « Françaises, Français, le général de Gaulle est mort. La France est veuve » (p. 184) : l’avis de décès officialise en quelque sorte les noces du pathos et de l’ethos.

Noces restées à l’état de fiançailles interrompues, en revanche, pour le général Boulanger (1837-1891), porté par un enthousiasme populaire autoalimenté, puis apparemment évaporé d’un coup. On date classiquement sa défaveur du jour où il refusa de lancer un coup d’État. Mais son incapacité à fournir des petites phrases n’avait-elle pas préparé cette chute ? Le discours majeur de sa carrière politique, en 1888, est, relate Jean Garrigues, « un long pensum débité d’une voix monocorde » (p. 81). Cette fois, pas de France veuve. « Ci-gît le général Boulanger qui mourut comme il vécut : en sous-lieutenant », propose Clemenceau** en guise d'épitaphe après le suicide de l’homme provisoirement providentiel sur la tombe de sa maîtresse.

La « passion française » telle que la décrit Jean Garrigues est faite avant tout « d’une rencontre entre le désir collectif d’un peuple et la prophétie d’un sauveur, c’est-à-dire d’une alchimie complexe où les mots et les images comptent tout autant que les faits » (p. 14). Autrement dit, une rencontre entre un pathos, un ethos et un logos, au sens le plus élémentaire qui soit : les petites phrases sont de la partie

Jean Garrigues, La Tentation du sauveur : histoire d'une passion française
Payot, collection Histoire
ISBN 978-2-228-93024-6
256 pages, 20,00 €

* Dans Les grands discours parlementaires de Mirabeau à nos jours, Jean Garrigues citait cette critique de Michel Rocard, alors Premier ministre : « Le rythme politique auquel nous vivons tous, passant de l’élection au sondage, de la petite phrase au coup médiatique, érigera, si nous n’y prenons garde, la myopie en art de gouvernement et rabaissera la responsabilité du citoyen à l’opinion passagère à la mode ».
** Qui le connaissait de longue date : ils avaient été camarades de lycée à Nantes.

Michel Le Séac’h

05 décembre 2016

Quelle petite phrase pour annoncer la candidature de Manuel Valls ?

Manuel Valls doit annoncer ce soir sa candidature à la présidence de la République. Dans sa déclaration on cherchera « la » petite phrase. La sortie soupesée pour une entrée en campagne, qui fera les titres et les tweets des heures suivantes. Car Manuel Valls est un virtuose des petites phrases, il en joue comme Mme Valls de son archet. Il connaît la puissance de ces « formules concises qui sous des dehors anodins visent à marquer les esprits », pour reprendre l’excellente définition de l’Académie française.

Avant même les phrases, Manuel Valls s’intéresse aux mots. Il a préconisé en juin 2009 de changer le nom de son parti, « car le mot socialisme est sans doute dépassé »‑ et à partir d’un seul mot voilà déjà une petite phrase. Peu de politiques oseraient manier comme lui les mots apartheid (« il y a un apartheid territorial, social, ethnique qui s’est imposé à notre pays »), guerre (« le FN peut conduire à la guerre civile »), antisionisme (« l’antisionisme, c’est-à-dire tout simplement le synonyme de l’antisémitisme et de la haine d’Israël »).

Ses discours officiels comportent souvent une phrase destinée à être reprise par les médias et les réseaux sociaux. Son premier discours de politique générale, après sa nomination à Matignon en 2014, commençait ainsi : « Trop de souffrance, pas assez d’espérance, telle est la situation de la France ». La triple rime était habile : les sciences cognitives ont montré que les rimes donnent un sentiment de vérité. En l’occurrence trop habile, peut-être : quatorze mots étaient déjà trop pour faire un titre. Raccourcie à « Trop de souffrance, pas assez d’espérance » dans le titre d’une dépêche AFP, la phrase a souvent été reproduite dans cette version croupion.

Petite phrase en attaque ou en défense

Manuel Valls sait aussi qu’une phrase sans malice peut devenir une petite phrase proprio motu[1] – le plus souvent défavorable à son auteur – y compris sur les thèmes les plus inattendus. Il a éprouvé lui-même le phénomène au mois de mars 2016 après avoir déclaré sur RTL que « les conditions ne sont pas réunies pour que Karim Benzema revienne en équipe de France ». Cette opinion avait soulevé la fureur de l’intéressé et un certain émoi chez les passionnés de football. Il avait fait de son mieux pour la déminer quelques jours plus tard sur Stade 2 (on note le choix d’une émission sportive pour éviter d’élargir le débat) en déclarant : «Je ne veux absolument pas polémiquer avec Benzema. C'est par ailleurs un formidable footballeur». Lors de la même émission, il avait aussi cherché à faire oublier sa première petite phrase par une seconde, positive : « L’Euro 2016 doit se tenir et il va se tenir ».

Manuel Valls apprécie aussi les petites phrases chez les autres. Dans Pour en finir avec le vieux socialisme et être enfin de gauche (2008), il a dit son admiration pour Clemenceau, grand spécialiste des formules qui font mouche. De Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen, il a cité dans un discours officiel : « le Code du travail se veut protecteur et rassurant, il est devenu obscur et inquiétant ». Et il sait qu’il faut parfois intervenir, au cas où une phrase menacerait de devenir trop marquante. Ce fut le cas fin janvier 2016. Christiane Taubira venait de démissionner en lançant : « Parfois résister c’est partir », formule reprise à l’envi par la presse et les médias sociaux. Dès le lendemain, profitant d’une réception de la presse, Manuel Valls avait répliqué : « Résister aujourd’hui, ça n’est pas proclamer, ça n’est pas faire des discours, résister c’est se confronter à la réalité du pays ».

Une petite phrase pour l’appareil ou pour l’opinion ?

D’après les moteurs de recherche, Manuel Valls est le troisième homme politique français le plus souvent associé à l’expression « petite phrase », derrière les deux derniers présidents de la République. Nul n’illustre mieux que lui la différence entre langue de bois et petite phrase : ses formules ne sont pas destinées à être aussitôt oubliées, elles visent à marquer les esprits. Plus d’une fois, il a heurté les adhérents de son parti avec des formules comme « la gauche peut mourir », « je suis contre l’instauration de quotas de migrants », « la TVA sociale est une mesure de gauche » ou « nous devons déverrouiller les 35 heures ». Délibérément. Jouer l’opinion contre l’appareil socialiste, c’est ce que deux biographes appellent la « méthode vallsiste »[2]. Ils citent ainsi Manuel Valls : « Le jeu médiatique a une fonction d’existence. Exister, c’est un bouclier. Ça vous protège. Si vous n’êtes pas fort dans l’appareil, il faut être fort dans les médias. J’ai donc bâti une construction dans l’opinion. »

Cette méthode est-elle valable pour une élection primaire ? Là, il s’agit de satisfaire les électeurs socialistes et sympathisants. Or la proportion des « durs » a progressé dans le parti tandis que les modérés s’en détournaient. Il est vrai aussi que la proportion relative des élus et de leurs entourages qui ont des postes à défendre s’est aussi accrue – et ceux-là devraient être plus enclins à suivre un candidat qui « joue l’opinion », si cela peut sauver l’appareil. Laquelle de ces deux logiques Manuel Valls aura-t-il choisie ? La petite phrase phare de sa déclaration de ce soir devrait en dire beaucoup sur la stratégie retenue.

Michel Le Séac'h


[1] Mais parfois avec l’aide de certains médias. En l’occurrence, la petite phrase de Manuel Valls avait été reprise par l’AFP dans un titre de dépêche.
[2] David Revault d’Allonnes et Laurent Borredon, Valls à l’intérieur, Robert Laffont, 2014.

Photo : [c] Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons


Note d’après discours : Finalement, Manuel Valls n’a pas vraiment choisi ! Sa petite phrase, sur laquelle il a conclu sa déclaration de candidature, n’est autre que le slogan qu’on pouvait lire dès la première seconde sur son pupitre : « Faire gagner tout ce qui nous rassemble ». Habitué des formules clivantes, il change de personnage pour devenir consensuel. Cette mutation suffit-elle à susciter l’émotion et marquer les esprits ? On peut en douter. À ce discours, il manquait quelque chose. Même les meilleurs communicants ont parfois des passages à vide – mais le moment, en l’occurrence, était malencontreux. À défaut de texte, Manuel Valls a-t-il soigné l’image, nouant sa cravate de travers en signe de continuité avec le président de la République ? On note aussi que les « minorités visibles » formaient environ un tiers de la brigade d’acclamations réunie autour de Manuel Valls. Mais peut-être était-elle simplement représentative de la population d’Évry et non porteuse de quelque message politique. (Illustration : copie partielle d'un écran BFM TV)