22 mars 2022

Monsieur Macron, vous n’avez pas le monopole du programme

Ce matin du 22 mars, si l’on interroge Google sur Macron + programme + présidentielle, la première réponse affichée par son moteur de recherche est le programme d’Emmanuel Macron… en 2017.

Pourtant, le président de la République a présenté son programme de candidat 2022 il y a cinq jours. Après s’être fait longuement tirer l’oreille. Non seulement il a attendu le dernier jour, le 5 mars, pour officialiser sa déclaration de candidature, mais il n’a pas présenté en même temps un programme de gouvernement. Dans un premier temps, il s’est contenté de le livrer « au compte gouttes », comme écrivait Alexandre Lemarié dans Le Monde. De toutes parts, on le lui reprochait vivement.

Puis, après sa conférence de presse programmatique à Aubervilliers le 17 mars, les critiques ont changé. « La droite accuse le candidat Macron de ‘piller’ le programme de Pécresse », relève Libération. À peine Emmanuel Macron s’était-il exprimé que Valérie Pécresse elle-même lui reprochait d’avoir repris les points essentiels de son propre programme. « Monsieur Macron va faire la réforme des retraites jusqu’à 65 ans. Qui a eu le courage de le dire ? C’est nous ! […] Qui a reparlé du nucléaire ? C’est nous ! », etc.

Les candidats à l’élection présidentielle de 2022 doivent-ils vraiment s’écharper pour des programmes ? Comme l’a observé François Hollande (La Montagne y voit même une petite phrase), la guerre en Ukraine a rendu « obsolètes » tous les programmes politiques. Mais l’obsolescence a-t-elle attendu la guerre ? Plus fondamentalement, les électeurs tiennent-ils encore vraiment à ce qu’on leur serve des programmes ? Voici des indices troublants.

D’après Google Trends, les recherches des internautes sur l’expression « programme politique » n’ont jamais été aussi importantes (indice 100) qu’en avril 2017. En mars 2017, elles étaient à l’indice 41 ; en février, à l’indice 18. Avant l’élection de 2017, le programme d’Emmanuel Macron avait déjà suscité un fort courant d’intérêt (indice 42) en novembre 2016. C’est le mois où il a annoncé sa candidature et publié Révolution. Rien de tel cette année. En février 2022, les recherches sur « programme politique » en étaient à 11, et au 22 mars, à 14. Et pour « programmes politiques », au pluriel (courbe rouge sur le graphique ci-dessous), qui peut dénoter un désir de comparaison, c’est quasiment encéphalogramme plat.

Si l’on s’intéresse au temps long, les statistiques de Google Ngram Viewer incitent à la réflexion. Elles portent sur la fréquence des mots dans les livres publiés par année. C’est un indicateur très approximatif qui n’a d’intérêt que s’il révèle des tendances vraiment marquées. Ce qui est bien le cas ici. La présence de l’expression « programme politique » dans les livres en français progresse franchement tout au long de la 5e République et culmine en 2002-2006. Puis l’intérêt semble s’évanouir subitement.

Les programmes politiques sont un phénomène relativement neuf. En 1762, selon la 4e édition du Dictionnaire de l’Académie française, un « programme » était un « placard qu'on affiche au coin des rues, ou qu'on distribue par les maisons, pour inviter à quelque action publique ». En 1935, la 8e édition note seulement : « se dit, par extension, d'un Exposé de principes ou d'idées, de l'énumération des réformes, des mesures projetées par un gouvernement, un parti, un homme politique, etc. L'opposition a fait connaître son programme. Le programme du ministère. ». La 9e édition, en cours de rédaction, a besoin de plus de 130 mots pour traiter du programme « spécialt. polit. ».

Mais les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. Il est bien possible que les programmes électoraux aient dès à présent fait leur temps. Que les électeurs n’y croient plus beaucoup. Ou, pour le dire de manière optimiste, qu’ils reviennent aux fondamentaux : l’élection présidentielle ne sert pas à élire un programme mais un candidat. Comment connaître celui-ci ? Parfois, une petite phrase peut le dévoiler plus qu’un long programme.

Michel Le Séac’h 

08 mars 2022

« Pas de ressasser la France de notre enfance » : la petite phrase qui pollue la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron

En 2016, la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron avait été spécialement terne. Au lieu d’y glisser une petite phrase qui aurait été une sorte de devise pour le quinquennat, il l’avait articulée sur ce simple énoncé, confirmé dans un tweet et dans la communication d’En Marche ! : « Je suis candidat à la présidence de la République ». Ce qui ne faisait aucun doute depuis des semaines. Un coup pour rien, donc.

Depuis lors, le président de la République a pu apprécier à plusieurs reprise la portée des petites phrases, souvent comme victime (« Je traverse la rue, je vous trouve du travail »), quelquefois comme héros (« Make our planet great again »), à l’occasion comme lanceur d’alerte (« l’OTAN est en état de mort cérébrale », redevenu d’une cuisante actualité). Conscient de leur puissance, veille-t-il à l’exploiter, à l’instar des candidats américains avec leurs « sound bites », en profitant de l’appétence des citoyens pour ces formules brèves et marquantes ?

Autrement dit : a-t-il introduit dans sa Lettre aux Français du 3 mars 2022, coup d’envoi de sa campagne électorale, une formule appelée à marquer celle-ci, voire le futur quinquennat ? 

À la recherche de LA petite phrase 

Les « spin doctors » veillent à mettre en évidence leurs « sound bites » afin qu’électeurs et médias ne risquent pas de passer à côté. Ils les signalent aux journalistes, ils leur consacrent des tweets, ils postent des extraits vidéo sur YouTube, ils les reprennent sur la page d’accueil de leurs sites web, etc. Telle que la Lettre aux Français a été publiée, par exemple sur le site de campagne avecvous.fr, plusieurs passages courts sont rendus spécialement visibles par une composition en gras.

Quelques-uns portent sur le passé (« Nous avons fait face avec   dignité et fraternité »…), ce qui n’est jamais favorable à une petite phrase. Le futur (« Je suis candidat pour continuer de préparer l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants ») l’est à peine davantage. Deux ou trois promesses électorales (« Nous lutterons contre les inégalités »…) relèvent des banalités de circonstance.

Restent deux phrases plus remarquables :

  • Défendre notre singularité française implique enfin de promouvoir une certaine manière d’être au monde.
  • En chaque lieu, j’ai perçu le désir de prendre part à cette belle et grande aventure collective qui s’appelle la France.

Après « l’art d’être français », qui a fait long feu, Emmanuel Macron compterait-il jouer de la « singularité française » ? À côté de cette formule, mais pas en gras, on note aussi : « inventer avec vous, face aux défis du siècle, une réponse française et européenne singulière ». L’ajout de la singularité européenne rend la « singularité française » moins spécifique, donc moins apte à fonctionner comme une petite phrase.

Quant à la « belle et grande aventure collective qui s’appelle la France », sa noblesse appuyée rappelle cette formule du général de Gaulle : « combien c'est beau, combien c'est grand, combien c'est généreux, la France ». C’était la péroraison de son discours du 4 juin 1958 à Alger. Elle était manifestement destinée à marquer les esprits. Mais l’homme politique propose et l’opinion dispose. Ce qui, devant l’Histoire, a été majoritairement retenu du discours gaullien, c’est en fait sa première phrase : « Je vous ai compris ». Une phrase maintes fois citée comme un exemple chimiquement pur de duplicité politicienne.

Pourrait-il y avoir un « Je vous ai compris » dans la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron ? Plutôt que de la duplicité, on remarquerait plutôt une franchise courageuse : « il nous faudra travailler plus », « reconquête productive par le travail »

Cependant, les réseaux sociaux, eux, ont clairement « élu » une autre phrase :

« L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants,
pas de ressasser la France de notre enfance. »

Elle n’est pas composée en caractère gras. Ce n’est donc pas, a priori, une tentative de « sound bite ». Pourtant, sa construction, avec sa quasi-rime interne « la France de nos enfants/la France de notre enfance » et le contraste entre « bâtir » et « ressasser », la prédestinait à devenir une petite phrase. Et ça n’a pas loupé. De toute la déclaration, cette phrase est la plus répétée – « ressassée » même – y compris par les partisans du président candidat. Par exemple, sur Twitter, par Éric Woerth et Elisabeth Moreno (voir tweet ci-dessous). Tout le reste, si soigneusement pesé fût-il, tend à passer au second plan.


On imagine mal que les communicants de l’Élysée n’aient pas prévu le phénomène. Quelle pourrait être leur tactique ? La seule logique envisageable est celle de la petite phrase « assassine » destinée à attaquer un ou plusieurs adversaires sans les nommer, Elle viserait, suppose-t-on, Éric Zemmour. Cela pourrait être une manière détournée de l’adouber comme l’adversaire principal du président sortant, en postulant qu’il serait aussi l’adversaire de second tour le moins dangereux.

Mais il arrive qu’une petite phrase assassine se retourne contre son auteur. D’abord, elle offre à l’adversaire un angle d’attaque évident, qu’Éric Zemmour s’est empressé de saisir. Ensuite, adopter une posture morale est dangereux si sa sincérité peut être mise en doute. « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » a probablement aidé François Fillon à obtenir sa désignation comme candidat en 2016 mais l’a tout aussi probablement aidé à perdre l’élection en 2017.

Une provocation d'Emmanuel Macron ?

Et puis, « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance » présente plusieurs faiblesses intrinsèques, soulignées par les réseaux sociaux :

  • Pour une bonne partie des Français, l’enjeu est plutôt de bâtir la France de leur propre avenir immédiat.
  • Dans sa bouche d’un président qui n’a pas d’enfant, « nos enfants » paraît décalé, voire insincère.
  • Emmanuel Macron a si souvent vanté le « en même temps » qu’on perçoit mal pourquoi la France de nos enfants ne pourrait être en même temps la France de notre enfance.
  • La singularité française telle que vantée dans la déclaration est « un art de vivre millénaire ». La France de notre enfance, donc, mais aussi celle de nos aïeux. Comment la défendre tout en sous-entendant que celle de nos enfants devrait être différente ?

Cette petite phrase paraît donc au minimum déplacée, au maximum carrément dangereuse pour le candidat. Une erreur tactique de ses communicants ? On pourrait envisager une autre hypothèse, celle d’une provocation délibérément introduite dans le texte par Emmanuel Macron lui-même. Il lui est arrivé plus d’une fois de glisser dans des discours pourtant tirés au cordeau une petite phrase agressive qui a pourri l’ambiance. Qu’on songe par exemple à « Jojo avec un gilet jaune », « nous sommes devenus une nation de 66 millions de procureurs » ou même « les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ».

Auquel cas, retenir « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance » comme LA petite phrase de la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron serait tout à fait légitime : c’est elle qui représenterait le mieux sa personnalité.

Michel Le Séac’h

Illustration : copie partielle d'écran Twitter
 

À lire :

Les petites phrases d’Emmanuel Macron

Une analyse détaillée par Michel Le Séac’h


03 mars 2022

Faute de campagne électorale, revenir sur ce qu'Emmanuel Macron a déjà dit

Il paraît évident qu'Emmanuel Macron ne fera pas de vraie campagne électorale. Et pourquoi se donnerait-il cette peine ? La campagne sert à démontrer qu'un candidat peut être président. Quelle meilleure démonstration que d'exercer la présidence de façon magnifiée par l'actualité ?

Ainsi, il ne reste aux électeurs qu'à réétudier ce qu'a dit Emmanuel Macron depuis qu'il a fait irruption aux premiers rangs de la vie politique française en 2014. C'est le but de Les Petites Phrases d'Emmanuel Macron, qui vient de paraître. Voici le sommaire du livre :
Les petites phrases
d'Emmanuel Macron

Sommaire

‑ 1 ‑ Le carré macronien, ou le quadruple mal entendu
► « Je traverse la rue, je vous trouve du travail »
► « Des Gaulois réfractaires au changement »
► « On met un pognon de dingue dans des minima sociaux »
► « Des gens qui ne sont rien »
Des petites phrases plus vraies que vraies
Introduction aux petites phrases
‑ 2 ‑ Macron le candidat : la notoriété par les petites phrases
Les illettrées de Gad : l’« Alea jacta est » d’Emmanuel Macron
Macron le méprisant, prisonnier de son image
► « La gauche a pu croire que la France pourrait aller mieux en travaillant moins»
► « La vie d’un entrepreneur est plus dure que celle d’un salarié »
► « Trop de Français n’ont pas le sens de l’effort »
Une affaire de contexte
‑ 3 ‑ Un débutant mal entouré
Les errements de Sibeth
‑ 4 ‑ Des sound bites venus d’ailleurs
► « Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays»
► « Make our planet great again »
► « Le modèle Amish »
► « Quoi qu'il en coûte »
‑ 5 ‑ Macron le penseur : réflexions à haute voix
► « Le traité de Versailles de la zone euro »
► « Le Front national est une forme de Syriza à la française »
► « Le libéralisme est une valeur de gauche »
► « Il nous manque un roi »
‑ 6 ‑ Déficit d’émotion
Guerre au microbe
► « Nous sommes en guerre »
► « Le jour d’après »
Panthéon de peu d’effet
► « De l’empire nous avons renoncé au pire »
Ce que le président n’a pas dit
‑ 7 ‑ En même temps…
► « L’art d’être Français »
► « La colonisation est un crime contre l’humanité »
► « Il faut retourner dans son pays »
► « Le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, il nous incombe de le réparer »
► « Nous sommes devenus une nation de 66 millions de procureurs »
► « Qu’ils viennent me chercher »
‑ 8 ‑ à suivre
► « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder »
Petits cailloux blancs
L’Étrange défaite
Notes et références