L’espérance de vie des petites phrases est variable.
Certaines d’entre elles traversent les millénaires (« Rendez à César ce
qui est à César »).
D’autres disparaissent au bout de quelques jours, même si leur notoriété a pu
être immense dans ce laps de temps.
Tel est le cas de cette phrase de Donald Trump, l’une des
plus fameuses de sa campagne présidentielle : « I will accept the
results of the election – if I win » (« j’accepterai les résultats
de l’élection – si je gagne »). Prononcée le 20 octobre, elle est devenue
obsolète le 8 novembre. Sa brève existence comporte néanmoins quelques leçons
pour l’étude des petites phrases.
1. Une recherche de la formule la plus simple
Les petites phrases admises par le public sont souvent
reformulées pour être réduites à leur plus simple expression. Les détails
inutiles sont éliminés. En l’occurrence, la phrase réellement prononcée par
Donald Trump le 20 octobre, lors d’une réunion électorale dans l’Ohio, était
celle-ci :
« I will
totally accept the results of this great and historic presidential election, if
I win. »
Une recherche Google sur Trump + cette phrase exacte
retourne 19 100 résultats. Mais une recherche sur Trump +
« I will
accept the results of this election, if I win »
retourne… 12 700 000 résultats ! Débarrassée
de son adverbe et de ses trois adjectifs, la petite phrase s’est propagée bien
plus aisément sur les réseaux sociaux.
2. Un message implicite parfaitement compris même s’il est faux
Pour la quasi-totalité de ceux qui l’ont reprise sur les
réseaux sociaux, cette phrase NE signifie PAS que Donald Trump acceptera les
résultats de l’élection s’il la remporte. Elle signifie qu’il ne
les acceptera pas s’il perd ! Elle est comprise ainsi comme une évidence,
sans qu’il soit besoin d’explications supplémentaires. Le message explicite
(qui revient à enfoncer une porte ouverte) est supplanté par un message
implicite qui en est pratiquement l’inverse. Cette petite phrase est une petite
antiphrase.
La simplification évoquée plus haut contribue à cette
interprétation. L’adverbe « totally » introduisait dans la
phrase l’amorce d’une réserve qui devait mettre la puce à l’oreille. Avec cet
adverbe, l’inversion du sens de la phrase conduisait plutôt à une
interprétation du genre « je n’accepterai pas totalement les résultats de
l’élection si je ne gagne pas ». Et en réalité, la déclaration complète de
Donald Trump était bien plus pondérée encore :
« I will
totally accept the results of this great and historic presidential election, if
I win. Of course I would accept a clear election result, but I would also
reserve my right to contest or file a legal challenge in the case of a
questionable result. I will follow and abide by all the rules and traditions of
all of the many candidates who came before me, always. »
La position de Donald Trump s’expliquait par son
contexte : comme on lui demandait de s’engager à accepter d’avance, sans
discussion, les résultats de l’élection, il avait refusé de se priver par anticipation de toute voie de recours, rappelant que l’élection présidentielle de 2000 avait
donné lieu à contestation et recompte des voix. Si George W. Bush avait accepté
le résultat d’avance, Al Gore aurait été élu. Extraite de son contexte, la
petite phrase tronquée signifiait à peu près l’inverse de ce qu’avait dit le
candidat républicain.
Mais, et c’est là l’important, elle était en cohérence
cognitive avec l’opinion que le public qui la relayait avait de lui. Bien que
fallacieuse, elle renforçait une opinion préexistante et n'en semblait que plus « vraie ».
3. Une presse probablement pas neutre
La presse américaine, connaissant la teneur réelle des
propos de Donald Trump, en a néanmoins diffusé une version déformée, comme le
montrent ces trois titres – trois exemples parmi beaucoup d’autres :
- Donald
Trump: 'I will totally accept' election results 'if I win' – CNN
- Donald
Trump Says He Will Accept Election Outcome (‘if I Win’) – New
York Times
- Donald
Trump says he will accept results of election — ‘if I win’ – Washington
Post
Ces titres parus le 20 octobre, c’est-à-dire aussitôt
après la déclaration de Donald Trump, dans des médias de première importance, ont en quelque sorte « officialisé » la version erronée de la petite
phrase. De la part de journalistes professionnels, il est douteux que ce soit
innocent. Quand les partisans de Donald Trump accusent la presse de partialité,
ils ont des arguments à faire valoir. L’étonnante ressemblance des titres
ci-dessus peut même évoquer une concertation.
4. Des échos internationaux – y compris en France
Il est exceptionnel qu’une petite phrase devienne
internationale. La formule de Donald Trump n’aura pas eu le sort du « Yes
we can » de
Barack Obama ou du « I have a dream »
de Martin Luther King. Cependant, elle a été largement reprise hors des
États-Unis. Ce qui n’a rien d’étonnant : les trois médias cités ci-dessus
sont considérés comme très influents auprès des correspondants de la
presse étrangère.
Il s’est même trouvé un professeur au Collège de France pour
publier dans le
Figaro
Vox une tribune
fondée en grande partie sur cette déclaration tronquée. Elle commençait
ainsi :
« Pressé de
dire s'il reconnaîtrait l'éventuelle victoire de sa concurrente Hillary
Clinton, M. Donald Trump a répondu «J'accepterai sans réserve les résultats
de cette élection présidentielle — si je gagne» («I will totally accept the
results of this great and historic presidential election — if I win»
New-York Times, 21 oct. 2016). Les Européens auraient tort de moquer cette
déclaration d'apparence bouffonne, car elle témoigne d'un délitement de la
démocratie dont nul pays n'est exempt. »
Il serait cruel d’insister.
Michel Le Séac’h
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