Dès ses débuts au gouvernement comme
ministre de l’Action et des comptes publics, en 2017, Gérard Darmanin apparaissait comme « le miracle macroniste », selon l'expression de Frédéric Says sur France Culture (https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-billet-politique/gerald-darmanin-le-miracle-macroniste-8769060).
Ce qui lui valait cette appréciation flatteuse était « d’abord, un goût
inaltéré pour la petite phrase bien placée (…) il n'hésite pas à monter au
front, le doigt sur la gâchette, la répartie à la bouche. »
Au
service d’Emmanuel Macron, et après ?
Cependant, Philippe Moreau-Chevrolet, cité
par Marie-Pierre Haddad, voit plutôt derrière Darmanin ‑ derrière ce
Darmanin-là ‑ la main d’Emmanuel Macron. Ce dernier l’aurait transféré au ministère
de l’Intérieur en 2020 pour occuper le terrain dans la perspective d’une élection
présidentielle de 2022 qui se jouerait à droite : « En s'exposant
médiatiquement en première ligne, l'ancien membre des Républicains veut éviter
à Emmanuel Macron de devoir intervenir sur ces sujets. Faire monter les thèses
du Rassemblement national puis revenir rapidement sur des bases républicaines,
voilà la stratégie d’Emmanuel Macron ».
De fait, les formules choc de Gérald
Darmanin apparaissent plutôt comme des armes tactiques. Leur espérance de vie,
en général, est brève : une nouvelle phrase chasse la précédente. « Ensauvagement :
une phrase choc, à durée de vie limitée », écrit par exemple Nicolas
de Chalonge. Cette mission tactique au service d’un président peut-elle
coïncider avec une stratégie personnelle de conquête de l’Élysée ? Gérald
Darmanin est-il à la fois un bon petit soldat et un futur leader ? Grâce à
des déclarations comme « il faut stopper l'ensauvagement d'une
certaine partie de la société » ou « les trafiquants de drogue
vont arrêter de dormir », il se construit activement un ethos autoritaire
à partir de l’été 2020. Mais, sans doute pour ne pas se trouver enfermé sur un
terrain occupé par le RN, il tente aussi, dans un « en même temps » tout
macronien, de s’en distancier, en particulier sur les thèmes relatifs à l’immigration.
Une petite phrase est emblématique à cet égard.
Interrogé au Sénat sur l’identité des personnes interpellées lors des émeutes du
début de l’été 2023, il répond : « Oui il y a des gens qui,
apparemment, pourraient être issus de l’immigration. Mais il y a eu beaucoup de
Kevin et de Mathéo, si je peux me permettre ». L’année d’avant, contre
toute évidence, il avait incriminé les supporters anglais dans les troubles qui
avaient entouré la finale de la Ligue des Champions. Tout en portant la loi
Asile & immigration, il compte ouvertement qu’elle sera retoquée par le
Conseil constitutionnel.
Rebondir
à gauche
Et puis, chaque fois que l’occasion lui en est
donnée, il ne manque pas d’évoquer son grand-père tirailleur algérien et sa mère
prolétaire : « le petit-fils d'immigré, le fils de femme de ménage
que je suis serais indigne de ses responsabilités si (...) il oubliait la
chance qu'il a de servir son pays. » En quittant le gouvernement, en
septembre 2024, il gauchit son ton :
« Je m'appelle Gérald Moussa Jean Darmanin. (...) Il est assez évident, si nous sommes honnêtes, que si je m'étais appelé Moussa Darmanin, je n'aurais
pas été élu maire et député, et sans doute n'aurais-je pas été ministre de
l'Intérieur du premier coup ». Cette étrange déclaration paraît faire
écho aux accusations de « racisme systémique » adressées par l’extrême-gauche
à la société française.
Il est peu probable que de telles proclamations
suffisent à le rabibocher avec la gauche après tant de positions sécuritaires. « Gérard
Darmanin découvre le racisme le jour de son départ du ministère de l’Intérieur »,
titre Libération le 23 septembre. « Trop facile ! »
commente Rachid Laireche (https://www.liberation.fr/societe/immigration/gerald-darmanin-decouvre-le-racisme-le-jour-de-son-depart-du-ministere-de-linterieur-20240923_GV7VXLW5HVBNFLK33WZIEFQHYQ/).
Mais elles brouillent à coup sûr son image à droite et embarrassent son propre
camp. En tout état de cause, se costumer en immigré bien assimilé ne serait
probablement pas une voie royale vers l’Élysée aujourd’hui. À tenter de construire
deux ethos contradictoires, il est probable que Gérard Darmanin heurte dans
l’électorat deux pathos irréconciliables. Le « en même temps »
façon Emmanuel Macron paraît avoir fait son temps, s’il en a jamais eu un.
Plus qu’un soupçon de mysoginie
Par ailleurs, Gérald Darmanin pourrait
souffrir d’une autre faiblesse. Dans le débat politique, une bonne partie des petites
phrases servent à affirmer des relations de pouvoir – surtout quand elles sont prononcées
lors de débats entre personnalités. Or il paraît plus à l’aise dans le registre
du mépris que dans celui de l’autorité. Pire, cette attitude se manifeste particulièrement
à l’égard des femmes – quand il évoque Marine Le Pen, Raquel Garrido,
Christiane Taubira ou Giorgia Meloni. Voire quand il parle de son propre camp. Le
jour où on lui demande si « c’est sympa » de travailler avec Élisabeth
Borne, alors première ministre, il répond : « C’est professionnel ».
La plus toxique de ces petites phrases restera
sans doute sa sortie à l’égard d’Apolline de Malherbe, qui lui posait une
question délicate sur BFM TV : « Calmez vous madame, ça va bien se
passer… ça va bien se passer… ça va bien se passer ! » Le podcast Mansplaining (https://www.youtube.com/watch?v=38RqrvP3no0)
estime que « cette petite phrase (…) a fait polémique pour sa misogynie.
Mais le problème est en réalité plus profond. Non, Gérald Darmanin, ça ne va
pas "bien se passer" ». La vidéo est impitoyable : l’air
supérieur de Gérard Darmanin insupporte beaucoup de femmes. « Je pense
que Gérald Darmanin n’aurait probablement pas dit cela à un homme »,
commente la journaliste. Le ministre s’excusera plus tard mais il a commis « une
petite phrase qui pourrait le poursuivre longtemps », estime Décideurs
Magazine (https://www.decideurs-magazine.com/politique-societe/53709-politique-les-pires-petites-phrases-de-2022.html).
L’équivalent pour Darmanin de « la République c’est moi » pour
Mélenchon ? En tout cas un épisode toxique qui réapparaîtra le jour où
Gérald Darmanin aspirerait à de hautes fonctions.
Michel Le Séac'h
°°°
Florilège
Gérald Darmanin
est prodigue en déclarations tonitruantes. Les déclarations ci-dessous ont été qualifiées de
« petites phrases » par un ou plusieurs médias. Cependant, elles ne
le sont que de façon minoritaire, ce qui pourrait dénoter que leur force est
limitée :
·
« La différence avec vous, madame Le
Pen, c'est que Judas restera dans l'Histoire », octobre 2017
·
« Wauquiez a fait allemand première langue. Il est peut-être normalien mais il n’a rien de normal », février
2018
·
« Il n'y a pas deux catégories de Français, il n'y a pas deux catégories de territoires », mars
2018
·
« ce que c’est de vivre avec 950
euros par mois quand les additions dans les restaurants parisiens tournent
autour de 200 euros lorsque vous invitez quelqu’un et que vous ne prenez pas de
vin », novembre 2018
·
« Il manque sans doute autour [d’Emmanuel
Macron] des personnes qui parlent à la France populaire, des gens qui boivent
de la bière et mangent avec les doigts », décembre 2019
·
« Il faut stopper l'ensauvagement d'une
certaine partie de la société », juillet 2020
·
« Quand j’entends le mot "violences
policières", moi, personnellement, je m’étouffe », juillet 2020, six
mois après la mort de Cédric Chouviat, mort après avoir dit
« j’étouffe » lors d’un placage ventral (affaire pas encore jugée)
·
« Le brigadier Benmohamed a dénoncé -alors
pardonnez-moi de vous le dire, mais c’est exactement ce qu’il y a à ma
connaissance- avec retard -c’est d’ailleurs ce qui lui est un peu reproché, on
en reparlera plus tard si vous le souhaitez- a dénoncé ces camarades qui
auraient, je mets du conditionnel, mais les faits reprochés sont graves,
énoncer des insultes à caractère sexistes, homophobes et racistes »,
juillet 2020
·
« Les trafiquants de drogue vont arrêter de
dormir », août 2020
·
« Moi, ça m'a toujours choqué de rentrer
dans un supermarché et de voir en arrivant un rayon de telle cuisine
communautaire et de telle autre à côté. C'est mon opinion, c'est comme ça que
ça commence le communautarisme », octobre 2020
·
« C'est aux Marocains de s'occuper des
mineurs marocains, c'est une évidence, nous devons les ramener sur leur
territoire national », octobre 2020
·
« Nous
ne pouvons plus discuter avec des gens qui refusent d’écrire sur un papier que
la loi de la République est supérieure à la loi de Dieu », janvier 2021
·
« Il vous faut
prendre des vitamines, je ne vous trouve pas assez dure là », février 2021
·
« "Calmez-vous
Madame, ça va bien se passer » (à Apolline de Malherbe), février 2022
·
« C’est la faute des supporters
anglais », mai 2022
·
« Je n’ai pas à donner la nationalité des
personnes que nous interpellons », juin 2022
·
« Nous devons parler aux tripes des Français »»,
juillet 2022
·
« La Nupes ne cherche qu’à bordéliser le
pays », janvier 2023
·
« "Moi, j’espère avoir une sorte de
contrat moral avec le président de République. C’est comme cela que j’ai
compris ma mission qui est d’aller jusqu’aux jeux Olympiques », février
2023
·
« "Pardon de cette provocation, mais
je l'ai dit à la représentante du Front national (sic) : si je devais virer
tous les étrangers qui travaillent en France, il n'y aurait pas beaucoup ou en
tout cas moins de curés dans les paroisses en France », février 2023
·
« Je refuse de céder au terrorisme
intellectuel », avril 2023
·
« Je ne connais pas la subvention donnée
par l’État [à la LDH], mais ça mérite d’être regardé », avril 2023
·
« Mme Meloni, gouvernement d’extrême droite
choisi par les amis de Mme Le Pen, est incapable de régler les problèmes
migratoires sur lesquels elle a été élue », mai 2023
·
« Le petit-fils d'immigré, le fils de femme
de ménage que je suis serais indigne de ses responsabilités si (...) il
oubliait la chance qu'il a de servir son pays. Je ferai ce que le président me
dira de faire » mai 2023
·
« Oui il y a des gens qui, apparemment,
pourraient être issus de l’immigration. Mais il y a eu beaucoup de Kevin et de
Mathéo, si je peux me permettre », juillet 2023
·
« Ce qui m’intéresse, ce n’est plus de
regarder ce qu’il s’est passé en 2017 et 2022. Ce qui m’inquiète
maintenant, c’est ce qui se passera en 2027 », août 2023
·
« Je n’ai hérité d’aucune ville, d’aucune
circonscription, je ne suis pas élu sur une liste à la proportionnelle. Je
suis, c’est vrai, différent : d’origine modeste et issu de l’immigration, cela
gêne peut-être », août 2023
·
« C’est professionnel » (en réponse à
la question : « est-ce sympa de travailler avec Élisabeth Borne),
octobre 2023
·
« La sécurité fait peu de bruit, l’insécurité en
fait un peu plus », octobre 2023
·
« [Karim] Benzema est en lien, on le sait
tous, notoire avec les Frères musulmans...Nous nous attaquons à une hydre, qui
sont les Frères musulmans, parce qu'ils donnent un djihadisme d'atmosphère »,
octobre 2023
·
« il m'est actuellement impossible d'expulser ou
d'éloigner énormément de personnes sous OQTF, surtout lorsqu'elles ont commis
des crimes et des délits, en raison des réserves d'ordre public inventées par
le législateur », novembre 2023
·
« la majorité des députés ne représente pas
la majorité des Français », décembre 2023
·
« Je suis très heureux que les joueurs de
football ou de rugby viennent sur notre territoire et paient justement beaucoup
d’impôts et font payer beaucoup d’impôts de recettes. Si Neymar n’était pas
venu, aucun impôt n’aurait été payé, aucun maillot de foot n’aurait été vendu
en son nom et aucune cotisation sociale ne serait rentrée », janvier 2024
·
« Après les Jeux olympiques, un cycle au
ministère de l'Intérieur sera atteint », janvier 2024
·
« On ne répond pas à la souffrance en
envoyant des CRS », janvier 2024
·
« Elle a de grands discours Mme Garrido,
mais elle ne parle pas à ma maman qui est obligée de travailler jusqu'à plus de
67 ans pour avoir une retraite à peu près convenable, parce qu'elle n'est pas
propriétaire de son patrimoine », février 2024
·
« [Jordan Bardella] c’est la politique du
tango : un pas en avant, deux pas en arrière », juin 2024
·
« Je m'appelle Gérald Moussa Jean Darmanin.
(...) Il est assez évident si nous sommes honnêtes, que si
je m'étais appelé Moussa Darmanin, je n'aurais pas été élu maire et député, et
sans doute n'aurais-je pas été ministre de l'Intérieur du premier coup »,
septembre 2024.
Photo Suella Braverman, UK Home Office, via Wikimedia,
CC Attribution
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