Ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini prépare pour cet automne un projet de loi sur l’efficacité de la fonction publique. Vaste sujet ! Mais ce qui a brièvement enflammé les esprits ces jours-ci en est un vague détail.
Dans un entretien avec Le
Parisien, le 9 avril M. Guerini déclare : « Je veux qu’on lève le tabou
du licenciement dans la fonction publique ». Cette formule est aussitôt
qualifiée de « petite phrase » par bon nombre de médias tels que :
Le Point : « C'est une petite phrase qui suscite l'ire des syndicats »
Ouest-France : « Une petite phrase qui passe mal »
Radio France : « C'est la petite phrase choc du ministre Stanislas Guerini »
Marianne : « une petite phrase lancée par Stanislas Guérini dans les colonnes du "Parisien" a suscité l’indignation des syndicats »
La Dépêche : « Une petite phrase qui n’a pas manqué d’échauder les partenaires sociaux »
TF1 : « Une petite phrase choc, allusion directe aux licenciements pour insuffisance professionnelle »
Un observateur étranger pourrait s’étonner. Les protestataires contestent-ils l’existence d’un tabou ou s’élèvent-ils contre l’idée de le lever ? Et le plus choquant n’est-il pas au fond qu’il y ait matière à légiférer sur l’efficacité de la fonction publique ? La masse salariale des fonctionnaires entre dans le calcul du produit intérieur brut (PIB), autrement dit, la fonction publique est réputée efficace. Le contester, c'est remettre en cause la comptabilité publique !
La forme de cette petite phrase, son logos, ne lui apporte aucune vertu prosodique. Banale à tous points de vue, elle ne contient ni rime, ni assonance, ni allitération, ni vocabulaire hors du commun, etc. Mais elle contient un mot, « licenciement » en résonance forte avec le pathos d’un public chez qui il inspire à lui seul un sentiment négatif.
L’ethos de la petite phrase est souligné par le « je
veux » initial. La première personne du singulier est propice aux petites
phrases quand le locuteur est un personnage de tout premier plan (« L’état c’est moi », « Je vous
ai compris »…). Mais d’après le sondage
mensuel Ipsos pour La Tribune Dimanche, Stanislas Guerini était au
mois de mars, avec le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau, l’un des plus
mauvais éléments du gouvernement (le sondage est antérieur à la petite phrase sur
le licenciement dans la fonction publique). L'Opinion le rangeait en janvier parmi les « ministres zombies ». Ce n’est pas sa personnalité qui
détermine l’ethos de sa phrase mais sa fonction gouvernementale. Même si celle-ci est fragile par nature, elle lui confère une légitimité pour réaliser sa
promesse.
L’élément le plus fort est sans conteste le pathos :
la phrase inspire des sentiments forts à un public distinct. On remarque que
les médias l’associent à une réaction négative des syndicats. L’idée de
faciliter les licenciements fait figure de chiffon rouge, et peut-être aussi l’idée
de modifier un statu quo (« lever un tabou »). Or selon
un sondage Odoxa-Le Figaro, 72 % des Français sont favorables à
des licenciements pour « insuffisance » plus faciles dans la fonction
publique. Mais aucun média n’évoque une « petite phrase qui satisfait les
Français ». Spontanément, la presse considère la formule de Stanislas
Guerini comme la petite phrase d’une minorité.
Cette formule présente donc une certaine convergence du logos,
de l’ethos et du pathos qui explique qu’on puisse y voir spontanément
une petite phrase -- une micro-rhétorique. Ces bases paraissent cependant assez faibles : la
longévité de cette petite phrase ne devrait pas être grande.
M.L.S.
Photo Forum de l'Emploi public à l'Ecole polytechnique,
Jeremy Barande, © Ecole polytechnique sous licence CC BY-SA 2.0,
via Flickr
(recadrée)