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02 juillet 2024

Élections législatives : petites phrases et tectonique des leaders

La brève campagne des élections législatives a bien sûr donné lieu à de nombreuses petites phrases. Peu laissent des traces durables. D’une part, le rythme de la campagne est rapide. D’autre part, le Rassemblement national (RN), acteur central du débat et prétendant réel au pouvoir, ne recherche visiblement pas les formules fortes ‑ que ce soit par stratégie, par manque d’expérience ou par peur d’un nouveau « détail ».

Le président de la République, en revanche, demeure un fournisseur privilégié – un « verbomoteur sans frein », assure Catherine Nay[i]. Parmi ses déclarations expressément qualifiées de « petites phrases » par certains médias figurent par exemple : 

« Ses petites phrases plus ou moins provocatrices et maîtrisées, lancées ici ou là, n’arrangent pas les choses », estime le sociologue Jean-Pierre Le Goff. « Elles alimentent l’"essoreuse à idées" des réseaux sociaux, et des émissions de chaînes d’info, qui mélangent tous les genres et noient tout dans l’indistinction[ii]. »

Pourtant, l’indistinction n’est pas partout. Cette campagne aura aussi été marquée par des petites phrases d’un type plus original : les formules de distanciation.

La plupart des petites phrases politiques expriment une aspiration à exercer le pouvoir ou à s’en rapprocher. Quand le vent tourne, il en va autrement. « Je ne connais pas cet homme » assure saint Pierre lors du procès de Jésus ; trois jours plus tôt, lors de son entrée triomphale dans Jérusalem, il était le plus proche de lui. « Avant que le coq ne chante, tu m’auras renié par trois fois », avait prévu Jésus, sans illusion.

Le contexte n’est pas nécessairement aussi dramatique. Pourtant, à l’approche d’une défaite annoncée, des leaders importants s’efforcent de recadrer leur ethos – ce que l’opinion croit savoir de leur caractère et de leur position. Ce travail de recadrage n’est pas propre aux campagnes électorales. Dans la politique contemporaine, le cas le plus notable est sans doute celui de Laurent Fabius en 1984. Récemment nommé Premier ministre par un François Mitterrand autour duquel le mécontentement monte, il est interrogé lors d’un entretien télévisé sur ses rapports avec le président. « Lui c’est lui, moi c’est moi », répond-il.

Les médias de l’époque y voient à peu près unanimement une prise de distance, voire une franche critique. C’est en fait une manipulation : « Lui et moi avons mis au point ensemble cette formule, dans son bureau, le stylo à la main », raconte Laurent Fabius quelques années plus tard[iii]. Mais le simulacre de distanciation fonctionne ; surtout, les commentaires sont réorientés vers la petite phrase elle-même et non vers les causes éventuelles de désaccord au sommet de l’État

Deux piliers de la « macronie » s’écartent

En juin 2024, on remarque particulièrement une petite phrase de Bruno Le Maire. Il s’était déjà illustré début juin, pendant la campagne de l’élection européenne en affirmant : « J’ai sauvé l’économie française[iv]. » Un lapsus ? Manifestement pas ; plutôt l’affirmation d’une position de leadership, avec peut-être le pressentiment de bouleversements prochains. Après la dissolution de l’Assemblée nationale, il déclare sur TV5 Monde : « les parquets des ministères et des palais de la République sont pleins de cloportes[v] ». La métaphore est impitoyable. Est-elle suffisante pour marquer une différence avec le pouvoir en place ? Ministre depuis sept ans, Bruno Le Maire connaît peut-être trop bien ces parquets. Et employer un terme fort comme « cloportes » peut être dangereux. Dans la mémoire d’une opinion approximative, il risque de rester vaguement associé à celui qui le prononce.

Édouard Philippe, pour sa part, marque sa distance de manière moins populaire et davantage « politologique ». « C'est le président de la République qui a tué la majorité présidentielle […] Il a décidé de la tuer, on passe à autre chose », déclare-t-il à TF1[vi]. L’ancien Premier ministre semble chercher un repositionnement de son ethos non directement auprès de l’électorat mais auprès des milieux politiques – en particulier des députés macronistes qui ne seront pas réélus.


M.L.S.


[i] Catherine Nay, « Avec Emmanuel Macron, trop de parole tue la parole », Le Figaro, 13 juin 2024.
[ii] Jean-Pierre Le Goff, « Le chef de l’État a encouragé l’autodestruction du politique », Le Figaro, 26 juin 2024
[iii] Voir Michel Le Séac’h, La petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 58.
[iv] Voir par exemple Rachel Garrat-Valcarcel, « Bruno Le Maire a-t-il le boulard ? », 20 minutes, 3 juin 2024, https://www.20minutes.fr/politique/4094215-20240603-sauve-economie-francaise-bruno-maire-boulard#
[v] Voir par exemple Sylvain Chazot, Chez Pol, « Bruno Le Maire flingue Bruno Roger-Petit et «les cloportes» qui conseillent Emmanuel Macron à l’Elysée », Libération, 21 juin 2024, https://www.liberation.fr/politique/bruno-le-maire-flingue-bruno-roger-petit-et-les-cloportes-qui-conseillent-emmanuel-macron-a-lelysee-20240621_Q6BO6WXP6BAQPMIUNJRY4IHGXA/
[vi] Paul Larrouturou, TF1 Info, sur X, 20 juin 2024, https://x.com/PaulLarrouturou/status/1803851311861108864?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1803851311861108864%7Ctwgr%5Edd5ab0f62d5a52f2ada870107c9b9b355e642316%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.tf1info.fr%2Felections%2Flegislatives-2024-video-edouard-philippe-accuse-emmanuel-macron-d-avoir-tue-la-majorite-presidentielle-2305043.html

Photo : Bruno Le Maire en septembre 2023, photo EU2023ES via Flickr, CC BY-NC-ND 2.0, recadrée sur le ministre