Le sort d’une petite phrase est déterminé par le public, qui peut être imprévisible.
Le 27 janvier,
interrogé par Darius Rochebin sur LCI à propos de l’accueil des migrants en
France, François Bayrou déclare : « Je pense que la rencontre des
cultures est positive, mais dès l'instant que vous avez le sentiment
d'une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, de ne plus reconnaître les
modes de vie ou la culture, dès cet instant là vous avez rejet ».
Cette considération du Premier ministre déclenche aussitôt une
sorte de tremblement de terre politique avec pour épicentre le mot « submersion ».
Les réactions sont très nombreuses, en particulier chez les socialistes, que
François Bayrou tentait de convaincre d’accepter son budget afin d’éviter un recours
à l’article 49.3 suivi d’une motion de censure. « Après sa petite phrase sur
la submersion migratoire, rien ne va plus pour le Premier ministre », constate TMC
mardi. « Les négociations sont officiellement au point mort entre le
gouvernement et le parti socialiste à la veille d'un vote capital par les
députés et les parlementaires. »
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Extrait d'une copie d'écran TF1 Info |
Diaboliser une expression réclame un travail de
communication intense et vigilant. Il a été accompli avec un certain succès
pour « seuil de tolérance » ou « grand remplacement ». Au
tour de « submersion migratoire » ? Le Parti socialiste réclame au
Premier ministre un changement de vocabulaire en menaçant de le censurer sur la
question du budget : censure politique contre censure lexicale, en somme.
Un bras de fer qui tourne mal
La presse française estime majoritairement que le Premier
ministre est mis en difficulté par cette affaire. « Bayrou en mauvaise
position », assure
TMC. « Le Premier ministre a choqué jusque dans son camp », estime
Ouest-France. François Bayrou refuse pourtant de faire amende
honorable. « Ce ne sont pas les mots qui sont choquants, c’est les
réalités », maintient-il à l’Assemblée nationale face à Boris Vallaud,
président du groupe socialiste. Non seulement il persiste et signe, mais il aggrave
son cas !
Ou pas… Car, de quelque manière qu’on l’exprime, le
sentiment que trop d’immigrés arrivent en France est largement majoritaire dans
l’opinion, de nombreux sondages l’ont montré ces dernières années. Le bras de
fer politico-lexical déclenché par le Parti socialiste est loin d’être gagné d’avance.
Peut-être même est-il déjà perdu. Un sondage
réalisé par Elabe pour BFMTV ce mercredi montre que 74 % des Français
se rangent du côté de François Bayrou. Pas mal pour un Premier ministre qui,
quelques jours plus tôt, n’obtenait que 20 à 25 % d’opinions favorables. Ce
résultat a de quoi refroidir ceux qui envisageaient de joindre leur voix à
celle des socialistes (et pourrait susciter des émules).
Corrélativement, le débat sur le vocabulaire occulte le
débat parlementaire. LFI, qui comptait occuper le centre du jeu en déposant une
motion de censure, voit l’attention des médias se détourner vers un autre
objet. La députée LFI Alma Dufour tente de la recentrer en déclarant à BFM TV :
« Les socialistes s'honorent à considérer la censure, pas que pour une
histoire de petite phrase, parce que cette phrase intervient, déjà c'est la
phrase de trop, et effectivement c'est une concession de trop faite au Rassemblement
national, mais aussi parce que le pays va très mal. »
Si les socialistes votent la censure, ils risquent de donner
tout à la fois l’impression de s’incliner devant leur allié et de sanctionner
le gouvernement en raison d’un mot validé par les trois quarts des Français. S’ils
ne la votent pas, ils descendent d’un cran vers l’insignifiance. Paradoxalement,
le Rassemblement national pourrait être tenté, lui, de voter la censure afin de
montrer qu’un terme isolé ne suffit pas à combler un fossé politique. Même
réduite à un seul mot, une petite phrase peut peser un poids réel et
significatif dans la vie politique d’un pays.
Michel Le Séac'h
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