« Le budget tel qu’il est annoncé me paraît inacceptable », fulmine Gérald Darmanin sur FranceInfo le 3 octobre. La faute à 20 milliards d’euros d’impôts nouveaux. Au nom d’une somme qui représente 1,1 % de la dépense publique totale, il entre en rébellion contre un Premier ministre soutenu par son propre parti et nommé par un président qu’il a lui-même servi pendant sept ans.
« Je me suis engagé devant les
électeurs de Tourcoing et de ma circonscription : pas d’augmentation d’impôt
– je ne voterai aucune augmentation d’impôt », affirme l’ex-ministre
de l’Intérieur. Les promesses faites aux électeurs, divers commentateurs en ont
vu d’autres et soupçonnent plutôt Gérald Darmanin, redevenu simple député, de chercher
plutôt à faire encore les gros titres. Une sorte de déformation professionnelle,
peut-être. « Gérald Darmanin est un peu
le ministre des polémiques », assurait Renaud Dély sur Radio France (https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-edito-politique/edito-gerald-darmanin-s-est-il-rendu-indispensable-a-emmanuel-macron_5713427.html)
du temps du gouvernement précédent. « La fonction y est pour beaucoup.
Un locataire de la place Beauvau transparent, qui ne fait pas de vagues, passe
vite pour un faible aux yeux de l’opinion. Et puis Gérald Darmanin aime les petites
phrases choc, les formules provocatrices. »
Dès ses débuts au gouvernement comme ministre de l’Action et des comptes publics, en 2017, Gérard Darmanin apparaissait comme « le miracle macroniste », selon l'expression de Frédéric Says sur France Culture (https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-billet-politique/gerald-darmanin-le-miracle-macroniste-8769060). Ce qui lui valait cette appréciation flatteuse était « d’abord, un goût inaltéré pour la petite phrase bien placée (…) il n'hésite pas à monter au front, le doigt sur la gâchette, la répartie à la bouche. »
Sarkozy
et Darmanin
Devenu ministre de l’Intérieur, en 2020, Gérald
Darmanin apparaît comme « un ministre omniprésent qui joue la carte du terrain
et des petites phrases », selon Marie-Pierre Haddad sur RTL (https://www.rtl.fr/actu/politique/darmanin-un-ministre-omnipresent-qui-joue-la-carte-du-terrain-et-des-petites-phrases-7800742743).
« En plus de ses nombreux déplacements et de la publication régulière et à
un rythme soutenu de tweets, Gérald Darmanin a aussi eu recours à la stratégie
de la petite phrase. » Ce n’est pas un comportement original :
Gérald Darmanin s’inscrit « dans les pas de Nicolas Sarkozy qui a
occupé le même poste de 2005 à 2007 (…) pour couvrir un maximum de terrain
politique. »
Sarkozy et Darmanin : la comparaison
est inéluctable. « Quand je vois Gérald Darmanin, je vois la méthode
Sarkozy », s’étonne un syndicaliste policier cité par Antoine Albertini dans Le Monde (https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/07/06/gerald-darmanin-aux-petits-soins-avec-la-police_6180798_823448.html). « Un discours sécuritaire, la petite
phrase qui fait polémique mais aussi des moyens, du matériel, des hausses de
rémunération ». Mais si les méthodes se ressemblent, les objectifs sont-ils
les mêmes ?
Avec des formules comme « on va nettoyer au Kärcher la cité », en 2005, Sarkozy visait sans nul doute l’Élysée. Il était quinquagénaire. Gérald Darmanin n’a aujourd’hui que 41 ans. « Gérald Darmanin s’émancipe peu à peu d’Emmanuel Macron et vise de plus en plus clairement la présidentielle 2027 » assure néanmoins Florent Buisson dans Le Monde en 2023. « Un cas de figure qui rappelle à certains égards le Nicolas Sarkozy du début des années 2000 » (https://www.parismatch.com/actu/politique/ressemblances-et-differences-gerald-darmanin-et-nicolas-sarkozy-la-loupe-228595).
Le communicant Nicolas de Chalonge évoque lui aussi « l’héritage tactique sarkozyste que porte Gérald Darmanin, consistant précisément à faire siens des termes ou thématiques forgées à l’extrême droite pour créer des séquences médiatiques » (https://www.motscles.net/blog/novlangue/ensauvagement). Témoin « l’ensauvagement » : l’expression ne date pas d’hier mais « ce n’est que depuis cet été [2020] et son utilisation par Gérald Darmanin qu’elle acquiert le statut de formule ou de petite phrase politique. »
Au
service d’Emmanuel Macron, et après ?
Cependant, Philippe Moreau-Chevrolet, cité
par Marie-Pierre Haddad, voit plutôt derrière Darmanin ‑ derrière ce
Darmanin-là ‑ la main d’Emmanuel Macron. Ce dernier l’aurait transféré au ministère
de l’Intérieur en 2020 pour occuper le terrain dans la perspective d’une élection
présidentielle de 2022 qui se jouerait à droite : « En s'exposant
médiatiquement en première ligne, l'ancien membre des Républicains veut éviter
à Emmanuel Macron de devoir intervenir sur ces sujets. Faire monter les thèses
du Rassemblement national puis revenir rapidement sur des bases républicaines,
voilà la stratégie d’Emmanuel Macron ».
De fait, les formules choc de Gérald
Darmanin apparaissent plutôt comme des armes tactiques. Leur espérance de vie,
en général, est brève : une nouvelle phrase chasse la précédente. « Ensauvagement :
une phrase choc, à durée de vie limitée », écrit par exemple Nicolas
de Chalonge. Cette mission tactique au service d’un président peut-elle
coïncider avec une stratégie personnelle de conquête de l’Élysée ? Gérald
Darmanin est-il à la fois un bon petit soldat et un futur leader ? Grâce à
des déclarations comme « il faut stopper l'ensauvagement d'une
certaine partie de la société » ou « les trafiquants de drogue
vont arrêter de dormir », il se construit activement un ethos autoritaire
à partir de l’été 2020. Mais, sans doute pour ne pas se trouver enfermé sur un
terrain occupé par le RN, il tente aussi, dans un « en même temps » tout
macronien, de s’en distancier, en particulier sur les thèmes relatifs à l’immigration.
Une petite phrase est emblématique à cet égard.
Interrogé au Sénat sur l’identité des personnes interpellées lors des émeutes du
début de l’été 2023, il répond : « Oui il y a des gens qui,
apparemment, pourraient être issus de l’immigration. Mais il y a eu beaucoup de
Kevin et de Mathéo, si je peux me permettre ». L’année d’avant, contre
toute évidence, il avait incriminé les supporters anglais dans les troubles qui
avaient entouré la finale de la Ligue des Champions. Tout en portant la loi
Asile & immigration, il compte ouvertement qu’elle sera retoquée par le
Conseil constitutionnel.
Rebondir
à gauche
Et puis, chaque fois que l’occasion lui en est
donnée, il ne manque pas d’évoquer son grand-père tirailleur algérien et sa mère
prolétaire : « le petit-fils d'immigré, le fils de femme de ménage
que je suis serais indigne de ses responsabilités si (...) il oubliait la
chance qu'il a de servir son pays. » En quittant le gouvernement, en
septembre 2024, il gauchit son ton :
« Je m'appelle Gérald Moussa Jean Darmanin. (...) Il est assez évident
si nous sommes honnêtes, que si je m'étais appelé Moussa Darmanin, je n'aurais
pas été élu maire et député, et sans doute n'aurais-je pas été ministre de
l'Intérieur du premier coup ». Cette étrange déclaration paraît faire
écho aux accusations de « racisme systémique » adressées par l’extrême-gauche
à la société française.
Il est peu probable que de telles proclamations
suffisent à le rabibocher avec la gauche après tant de positions sécuritaires. « Gérard
Darmanin découvre le racisme le jour de son départ du ministère de l’Intérieur »,
titre Libération le 23 septembre. « Trop facile ! »
commente Rachid Laireche (https://www.liberation.fr/societe/immigration/gerald-darmanin-decouvre-le-racisme-le-jour-de-son-depart-du-ministere-de-linterieur-20240923_GV7VXLW5HVBNFLK33WZIEFQHYQ/).
Mais elles brouillent à coup sûr son image à droite et embarrassent son propre
camp. En tout état de cause, se costumer en immigré bien assimilé ne serait
probablement pas une voie royale vers l’Élysée aujourd’hui. À tenter de construire
deux ethos contradictoires, il est probable que Gérard Darmanin heurte dans
l’électorat deux pathos irréconciliables. Le « en même temps »
façon Emmanuel Macron paraît avoir fait son temps, s’il en a jamais eu un.
Plus qu’un soupçon de mysoginie
Par ailleurs, Gérald Darmanin pourrait
souffrir d’une autre faiblesse. Dans le débat politique, une bonne partie des petites
phrases servent à affirmer des relations de pouvoir – surtout quand elles sont prononcées
lors de débats entre personnalités. Or il paraît plus à l’aise dans le registre
du mépris que dans celui de l’autorité. Pire, cette attitude se manifeste particulièrement
à l’égard des femmes – quand il évoque Marine Le Pen, Raquel Garrido,
Christiane Taubira ou Giorgia Meloni. Voire quand il parle de son propre camp. Le
jour où on lui demande si « c’est sympa » de travailler avec Élisabeth
Borne, alors première ministre, il répond : « C’est professionnel ».
La plus toxique de ces petites phrases restera
sans doute sa sortie à l’égard d’Apolline de Malherbe, qui lui posait une
question délicate sur BFM TV : « Calmez vous madame, ça va bien se
passer… ça va bien se passer… ça va bien se passer ! » Le podcast Mansplaining (https://www.youtube.com/watch?v=38RqrvP3no0)
estime que « cette petite phrase (…) a fait polémique pour sa misogynie.
Mais le problème est en réalité plus profond. Non, Gérald Darmanin, ça ne va
pas "bien se passer" ». La vidéo est impitoyable : l’air
supérieur de Gérard Darmanin insupporte beaucoup de femmes. « Je pense
que Gérald Darmanin n’aurait probablement pas dit cela à un homme »,
commente la journaliste. Le ministre s’excusera plus tard mais il a commis « une
petite phrase qui pourrait le poursuivre longtemps », estime Décideurs
Magazine (https://www.decideurs-magazine.com/politique-societe/53709-politique-les-pires-petites-phrases-de-2022.html).
L’équivalent pour Darmanin de « la République c’est moi » pour
Mélenchon ? En tout cas un épisode toxique qui réapparaîtra le jour où
Gérald Darmanin aspirerait à de hautes fonctions.
Michel Le Séac’h
Photo Suella Braverman, UK Home Office, via Wikimedia,
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