D’une seule phrase, Michel Barnier a soulevé jeudi dernier
une énorme agitation dans les milieux politiques et médiatiques. Personne n’a
parlé de « petite phrase », pourtant. Et pour cause. Cette phrase,
prononcée lors d’une journée parlementaire des Républicains, la voici :
Nous ne pouvons pas faire tout
cela sans avoir retrouvé notre souveraineté juridique, en étant menacés en
permanence d'un arrêt ou d'une condamnation de la Cour de justice européenne ou
de la Convention des droits de l'homme, ou d'une interprétation de notre propre
institution judiciaire.
Une phrase de 45 mots peut pouvait difficilement être
qualifiée de « petite ». Et celle-ci ne semble pas avoir ému le grand
public. Mais que les commentaires des spécialistes se soient focalisés sur elle
a de quoi surprendre. Le message important, a priori, était le « faire
tout cela » : ce que le candidat à la présidence de la République
s’engage à réaliser s’il est élu. En l’occurrence, un moratoire de l’immigration comprenant une quinzaine de
mesures : durcir les conditions du regroupement familial, distribuer des
cartes vitales biométriques, renforcer Frontex, etc.
Ces mesures avaient déjà été avancées par Michel Barnier
dans une tribune
du 28 juillet 2021. L’une d’elles était ainsi libellée : « Loi
constitutionnelle pour garantir la primauté du droit français en la
matière. » C’est-à-dire, en douze mots, exactement la même chose que
le 9 septembre en quarante-cinq. La bouffée d’indignation de ces derniers jours
pourrait donc bien être le fruit d’une réflexion plutôt qu’une réaction
spontanée.
Les positions sont, dépêche AFP aidant, assez
stéréotypées :
- Stupéfaction
à Paris et Bruxelles après les critiques de Barnier contre la justice
européenne – Le
Parisien
- La
classe politique divisée après les critiques de Michel Barnier contre la
justice européenne – Le
Figaro
- Michel
Barnier provoque la consternation en Europe – Les
Échos
- Les
propos anti-européens de Michel Barnier consternent Bruxelles – Challenges
- Les
propos anti-européens de Michel Barnier sèment la consternation à
Bruxelles – Le
Monde
- Les
propos de Michel Barnier contre la justice européenne créent la
stupéfaction – Ouest-France
On note que ces réactions sont « bruxelloises »,
alors que l’avertissement de Michel Barnier vise tout autant le Conseil
constitutionnel et le Conseil d’État français. Évidemment, si un ancien
commissaire européen est capable de contester aussi ouvertement la suprématie
du droit européen, les autres candidats à la présidence pourraient surenchérir. Le risque est clair pour des institutions européennes déjà
fragilisées par le Brexit et les attitudes de certains pays d’Europe de l’Est.
Les partisans de la supranationalité, alertés par les propos
du 28 juillet, auraient pu la jouer lénifiante : « les institutions
européennes respectent la souveraineté juridique des États membres dans le
cadre prévu par les Traités », etc. Au contraire, ils ont saisi la
première occasion explicite pour déclencher un tir de barrage. Et non contents de
contester la proposition, ils attaquent l’homme lui-même. « Cela le
discrédite complètement », proclame par exemple Sylvie Guillaume, eurodéputée
socialiste. De là à penser qu’ils tapent fort pour tenter de dissuader d'éventuels imitateurs…
Se montrer ferme ou pas
L’épisode contient aussi une leçon pour Michel Barnier en
tant que candidat à la présidence. Expert ès milieux européens, il ne pouvait
ignorer ni le caractère scandaleux de l’expression « primauté du droit
français » ni la virulence de ces milieux envers les contestataires.
Dès la révélation de ses intentions, c’est-à-dire dès le 28 juillet, il aurait
dû s’attacher à leur donner une forme plus visible afin d’imposer sa marque, d'afficher une autorité intellectuelle.
François Fillon, lui aussi, savait bien qu’il allait
scandaliser une partie de son propre camp en lançant, fin août 2016, son fameux
« Qui
imagine le général de Gaulle mis en examen ? ». Une question
rhétorique, largement qualifiée de petite phrase, elle. Les critiques avaient
été vives mais l’ancien Premier ministre, lui aussi réputé terne et pondéré,
avait acquis une stature.
À retardement, Michel Barnier cherche à présenter sa
position au grand public le 9 septembre avec ce tweet : « Il faut
retrouver notre souveraineté juridique pour ne plus être soumis aux arrêts de
la CJUE ou de la CEDH. » Même si les sigles sont ésotériques pour
beaucoup, la position se veut claire et déterminée : Michel Barnier est à
l’offensive.
Cependant, devant la vivacité des réactions, l’ancien commissaire
européen retire son tweet ! Il lui substitue celui-ci : « Restons
calmes ! Pour éviter toute polémique inutile et comme je l’ai toujours dit très
précisément, ma proposition de ‘’bouclier constitutionnel’’ ne s’appliquera
qu’à la politique migratoire. » Ses adversaires restent maîtres du terrain de
la twittosphère. Son geste de soumission, ou au moins de conciliation, a sûrement
ses raisons mais risque d’obérer la suite d'une campagne présidentielle.
Michel Le Séac’h
Illustration : Michel Barnier en 2017, photo The Jacques Delors Institute,
licence CC B Y 2.0 via Wikimedia
Commons