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27 juillet 2023

« C’est un ami » : la petite phrase est-elle un baiser de Judas ?

« En 2027, peut-être que M. Edouard Philippe vous remplacera », lance un quidam à Emmanuel Macron à l’occasion d’un bain de foule, ce 24 juillet en Nouvelle-Calédonie. « Je tiens à ce qu’il y ait vraiment une suite à ce qu’on a mis en place. Et que celles et ceux qui m’ont accompagné depuis maintenant six ans puissent prendre le relais », répond le président de la République. Puis :  « Il a bien fait à mes côtés, c’est un ami ».

Nombre de médias entendent là une petite phrase, tels Europe 1, Le Télégramme, les quotidiens du groupe Rossel (Paris Normandie, L’Est Éclair, Le Courrier Picard, L’Union) et d’autres. RTL y voit « une première politique au détour d'une petite phrase et au cœur de l'été. Elle résonne comme le coup d'envoi de la guerre de succession à Emmanuel Macron. » Et note : « c'est peut-être aussi la première fois qu'Emmanuel Macron dit du bien d'Édouard Philippe ».

Le combat des chefs est l’une des principales vocations des petites phrases. Mais la figure la plus commune est celle qui vise à détruire l’adversaire, de « Vous n’avez pas le monopole du cœur » à « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » Il est exceptionnel que dire du bien d’un leader potentiel fasse figure de petite phrase. Et plus encore que ce « bien » soit interprété comme une vacherie !

Car de toute évidence le compliment du chef de l’État dérange celui qui est supposé en bénéficier. Le 25 juillet, Édouard Philippe, recevant Élisabeth Borne au Havre, refuse expressément de le commenter devant la presse (« je propose que nous en restions là »). Pour Sébastien Schneegans, dans Le Point, c’est un « cadeau empoisonné de Macron à Philippe ». Pas seulement parce que la cote de popularité du président est basse, mais aussi, suppose-t-on, parce qu’Édouard Philippe n’a pas envie qu’on le considère comme un candidat en campagne presque quatre ans à l’avance.

Reste une hypothèse : qu’il n’y ait rien derrière ce « bien », pas d’intention derrière le compliment. L’enregistrement audio ne donne pas vraiment l’impression d’un message délibéré. Encore en plein décalage horaire, Emmanuel Macron a pu être pris au dépourvu par une question totalement imprévue et bricoler une réponse improvisée, à la manière du « Je traverse la rue » de septembre 2018. Ce que montrerait alors l’épisode, c’est une appétence des médias pour les petites phrases fussent-elles abusivement sollicitées. Édouard Philippe n’est peut-être pas (encore) en campagne pour 2027 mais la presse l’est déjà.

M.L.S.

Photo : Édouard Philippe en 2021, photo Jérémy Barande / École Polytechnique, CC BY-SA 2.0, via Wikimedia Commons

01 septembre 2020

« Le masque ne sert à rien », le retour d’une petite phrase-sparadrap

Avec la rentrée, la France entre dans le dur des mesures anti-covid-19, à l’école, dans les entreprises et dans les transports en commun. Beaucoup de gens pour qui elles n’étaient pas une réalité quotidienne y sont désormais soumis. Et celle qui passe mal est évidemment le port du masque.

Porter un masque chirurgical en ville et au travail est une routine dans certains pays d’Asie. Mais les Français ne sont pas des Asiatiques. Et quand on voit une opposition dure monter en Allemagne et au Royaume-Uni, on se dit que la France y échappera difficilement. De fait, une hostilité croissante s'exprime depuis quelques jours sur le net et les réseaux sociaux. Beaucoup s’exclament : « le masque ne sert à rien ».


La force de cette expression est qu’il ne s’agit pas d’un slogan ou d’un mot d’ordre mais d’une petite phrase. Et pas une simple parole malheureuse mais une position officielle du gouvernement d’Édouard Philippe. Celui-ci déclarait lui-même en mars dernier, au journal de TF1 : « Porter un masque en population générale, ça ne sert à rien ». À la même époque, son entourage plussoyait :
  • « L’usage des masques est inutile en dehors des règles d’utilisation définies » ‑ Olivier Véran, ministre de la Santé.
  • Le masque est « totalement inutile pour toute personne dans la rue » ‑ Jérôme Salomon, directeur général de la Santé.
  • « Les Français ne pourront pas acheter de masques dans les pharmacies, car ce n’est pas nécessaire si on n’est pas malade » ‑ Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement.
(À propos de Sibeth Ndiaye, un site parodique lui avait fait dire que « le port du masque ne sert à rien » mais qu’il deviendrait obligatoire « dès que les stocks seront réapprovisionnés ». L’AFP avait rapidement dénoncé ces « propos inventés »…)

Quelles que puissent être ses raisons objectives, un changement de doctrine des experts médicaux par exemple, le gouvernement aura du mal à se débarrasser de cette petite phrase. Elle collera à ses semelles comme le légendaire sparadrap du capitaine Haddock. Elle nourrira toutes les oppositions au masque, et tout ce que le gouvernement pourra dire à ce sujet sera fatalement suspect d’insincérité. Il a lui-même délégitimé à l’avance une mesure qu’il entend imposer aujour’hui.

Voici deux ans, un objet du quotidien, aussi basique que le masque, la chasuble de sécurité, était devenu l’emblème d’une rébellion civique approuvée à ses débuts par plus de 60 % des Français. La révolte des Gilets jaunes était largement motivée par des petites phrases. Décidément, Emmanuel Macron et les siens ont du mal avec ces objets verbaux mal identifiés.

Michel Le Séac’h