La conférence de presse présidentielle du 25 avril 2019 clôture solennellement le Grand débat national engagé après les troubles des « Gilets jaunes ». Un débat voulu par Emmanuel Macron pour tourner la page d’une période troublée. Cette conférence de presse est donc destinée à être un temps fort de son mandat. Plusieurs journaux qualifient la mise en scène de « gaullienne ».
Le chef de l’État
estime entre les lignes que le mouvement des Gilets jaunes est dû au moins en
partie à ses petites phrases. « Il y a des phrases que je regrette »,
assure-t-il. Et il affiche sa volonté de changer : « Je crois
que j'ai compris beaucoup de choses de la vie du pays. »
La première manifestation de cette volonté de changement est
lexicale. De la conférence de presse,
la presse retient avant tout une expression : « l’art d’être
Français ». C’est clairement le but recherché : elle figure pas moins
de quatre fois dans l’introduction d’Emmanuel Macron. Sibeth Ndiaye, qui
s’occupe alors de sa communication, la répète sur France Inter le lendemain.
Un concept insaisissable
Comme le note alors Arnaud Benedetti dans Atlantico, cet art d’être Français-là prolonge en fait l’expression « en même temps », familière à Emmanuel Macron. Ce que celui-ci confirme entre les lignes en expliquant :
L’art d’être Français c’est à la fois être enraciné et universel, être
attaché à notre histoire, nos racines mais embrasser l’avenir, c’est cette
capacité à débattre de tout en permanence et c’est, très profondément, décider
de ne pas nous adapter au monde qui nous échappe, de ne pas céder à la loi du
plus fort mais bien de porter un projet de résistance, d’ambition pour
aujourd’hui et pour demain.
Selon toute apparence, « l’art d’être Français » était destiné à servir
de devise au chef de l’État pour la suite de son mandat. Mais avec cette
définition alambiquée et ambiguë, « l’art d’être Français » est mal
parti. Les sarcasmes pleuvent. Le chef de l’État ne s’acharne pas. Il ne renonce pas totalement à l'expression, pourtant. En février 2020, à la veille du Salon international de
l’agriculture[i], il salue
une profession « qui participe à l’art d’être français » (on note
cependant la disparition de la majuscule à « français », au moins sur
le site d’En Marche).
La formule réapparaîtra-t-elle
au cours de la prochaine campagne présidentielle ? C’est à peu près exclu
désormais : Michel Onfray a publié hier un livre intitulé L’Art d’être
français[ii]. Il y écrit
ceci :
L'art d'être français fut une expression utilisée par un président de
la République française qui, paradoxalement, fit aussi savoir en son temps,
appelé à ne pas durer dans l'Histoire, qu'il y avait pas de culture française,
seulement des cultures en France...
Tout « art
d’être français » dans la bouche d’Emmanuel Macron deviendrait une
publicité pour un philosophe absolument pas « Macron-compatible ». La
cause est entendue.
Michel Le Séac'h
[i] Voir https://en-marche.fr/articles/actualites/agriculture-emmanuel-macron-1.
[ii] Michel Onfray, L’Art d’être français, Paris, Bouquins, 2021.