La brève campagne des élections législatives a bien sûr donné lieu à de nombreuses petites phrases. Peu laissent des traces durables. D’une part, le rythme de la campagne est rapide. D’autre part, le Rassemblement national (RN), acteur central du débat et prétendant réel au pouvoir, ne recherche visiblement pas les formules fortes ‑ que ce soit par stratégie, par manque d’expérience ou par peur d’un nouveau « détail ».
Le président de la République, en revanche, demeure un fournisseur privilégié – un « verbomoteur sans frein », assure Catherine Nay[i]. Parmi ses déclarations expressément qualifiées de « petites phrases » par certains médias figurent par exemple :
- « C’est
un peu mon petit frère » (à propos de Gabriel Attal)
- « Hormis une dérive des dépenses
initialement prévues qui est du fait des collectivités territoriales, il
n’y a pas de dérapage de la dépense de l’État »
- « Des choses complètement ubuesques comme aller changer de sexe en mairie » (à propos du programme du Nouveau front populaire)
- « La vie publique
n’est pas faite que de gratitude »
- « Je
suis ravi, je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes,
maintenant, on va voir comment ils s’en sortent » (à propos de la dissolution)
« Ses petites phrases plus ou moins provocatrices et
maîtrisées, lancées ici ou là, n’arrangent pas les choses », estime le
sociologue Jean-Pierre Le Goff. « Elles alimentent l’"essoreuse à
idées" des réseaux sociaux, et des émissions de chaînes d’info, qui
mélangent tous les genres et noient tout dans l’indistinction[ii]. »
Pourtant, l’indistinction n’est pas partout. Cette campagne
aura aussi été marquée par des petites phrases d’un type plus original :
les formules de distanciation.
La plupart des petites phrases politiques expriment une
aspiration à exercer le pouvoir ou à s’en rapprocher. Quand le vent tourne, il
en va autrement. « Je ne connais pas cet homme » assure saint Pierre
lors du procès de Jésus ; trois jours plus tôt, lors de son entrée
triomphale dans Jérusalem, il était le plus proche de lui. « Avant que le
coq ne chante, tu m’auras renié par trois fois », avait prévu Jésus, sans
illusion.
Le contexte n’est pas nécessairement aussi dramatique.
Pourtant, à l’approche d’une défaite annoncée, des leaders importants s’efforcent
de recadrer leur ethos – ce que l’opinion croit savoir de leur caractère et de leur position. Ce travail de recadrage n’est pas propre aux campagnes
électorales. Dans la politique contemporaine, le cas le plus notable est sans doute celui
de Laurent Fabius en 1984. Récemment nommé Premier ministre par un François
Mitterrand autour duquel le mécontentement monte, il est interrogé lors d’un
entretien télévisé sur ses rapports avec le président. « Lui c’est lui,
moi c’est moi », répond-il.
Les médias de l’époque y voient à peu près unanimement une
prise de distance, voire une franche critique. C’est en fait une
manipulation : « Lui et moi avons mis au point ensemble cette
formule, dans son bureau, le stylo à la main », raconte Laurent Fabius
quelques années plus tard[iii].
Mais le simulacre de distanciation fonctionne ; surtout, les commentaires
sont réorientés vers la petite phrase elle-même et non vers les causes éventuelles de
désaccord au sommet de l’État
Deux piliers de la « macronie » s’écartent
En juin 2024, on remarque particulièrement une petite phrase
de Bruno Le Maire. Il s’était déjà illustré début juin, pendant la campagne de
l’élection européenne en affirmant : « J’ai sauvé l’économie
française[iv]. »
Un lapsus ? Manifestement pas ; plutôt l’affirmation d’une position
de leadership, avec peut-être le pressentiment de bouleversements prochains.
Après la dissolution de l’Assemblée nationale, il déclare sur TV5 Monde : « les
parquets des ministères et des palais de la République sont pleins de cloportes[v] ».
La métaphore est impitoyable. Est-elle suffisante pour marquer une différence
avec le pouvoir en place ? Ministre depuis sept ans, Bruno Le Maire connaît
peut-être trop bien ces parquets. Et employer un terme fort comme « cloportes »
peut être dangereux. Dans la mémoire d’une opinion approximative, il risque de
rester vaguement associé à celui qui le prononce.
Édouard Philippe, pour sa part, marque sa distance de
manière moins populaire et davantage « politologique ». « C'est le
président de la République qui a tué la majorité présidentielle […] Il a
décidé de la tuer, on passe à autre chose », déclare-t-il à TF1[vi].
L’ancien Premier ministre semble chercher un repositionnement de son ethos non
directement auprès de l’électorat mais auprès des milieux politiques – en particulier
des députés macronistes qui ne seront pas réélus.
M.L.S.
[ii] Jean-Pierre Le Goff, « Le chef de l’État a encouragé l’autodestruction du politique », Le Figaro, 26 juin 2024
[iv] Voir par exemple Rachel Garrat-Valcarcel, « Bruno Le Maire a-t-il le boulard ? », 20 minutes, 3 juin 2024, https://www.20minutes.fr/politique/4094215-20240603-sauve-economie-francaise-bruno-maire-boulard#
[vi] Paul Larrouturou, TF1 Info, sur X, 20 juin 2024, https://x.com/PaulLarrouturou/status/1803851311861108864?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1803851311861108864%7Ctwgr%5Edd5ab0f62d5a52f2ada870107c9b9b355e642316%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.tf1info.fr%2Felections%2Flegislatives-2024-video-edouard-philippe-accuse-emmanuel-macron-d-avoir-tue-la-majorite-presidentielle-2305043.html
Photo :
Bruno Le Maire en septembre 2023, photo EU2023ES via Flickr, CC BY-NC-ND 2.0,
recadrée sur le ministre