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02 juillet 2024

Élections législatives : petites phrases et tectonique des leaders

La brève campagne des élections législatives a bien sûr donné lieu à de nombreuses petites phrases. Peu laissent des traces durables. D’une part, le rythme de la campagne est rapide. D’autre part, le Rassemblement national (RN), acteur central du débat et prétendant réel au pouvoir, ne recherche visiblement pas les formules fortes ‑ que ce soit par stratégie, par manque d’expérience ou par peur d’un nouveau « détail ».

Le président de la République, en revanche, demeure un fournisseur privilégié – un « verbomoteur sans frein », assure Catherine Nay[i]. Parmi ses déclarations expressément qualifiées de « petites phrases » par certains médias figurent par exemple : 

« Ses petites phrases plus ou mois provocatrices et maîtrisées, lancées ici ou là, n’arrangent pas les choses », estime le sociologue Jean-Pierre Le Goff. « Elles alimentent l’"essoreuse à idées" des réseaux sociaux, et des émissions de chaînes d’info, qui mélangent tous les genres et noient tout dans l’indistinction[ii]. »

Pourtant, l’indistinction n’est pas partout. Cette campagne aura aussi été marquée par des petites phrases d’un type plus original : les formules de distanciation.

La plupart des petites phrases politiques expriment une aspiration à exercer le pouvoir ou à s’en rapprocher. Quand le vent tourne, il en va autrement. « Je ne connais pas cet homme » assure saint Pierre lors du procès de Jésus ; trois jours plus tôt, lors de son entrée triomphale dans Jérusalem, il était le plus proche de lui. « Avant que le coq ne chante, tu m’auras renié par trois fois », avait prévu Jésus, sans illusion.

Le contexte n’est pas nécessairement aussi dramatique. Pourtant, à l’approche d’une défaite annoncée, des leaders importants s’efforcent de recadrer leur ethos – ce que l’opinion croit savoir de leur caractère et de leur position. Ce travail de recadrage n’est pas propre aux campagnes électorales. Dans la politique contemporaine, le cas le plus notable est sans doute celui de Laurent Fabius en 1984. Récemment nommé Premier ministre par un François Mitterrand autour duquel le mécontentement monte, il est interrogé lors d’un entretien télévisé sur ses rapports avec le président. « Lui c’est lui, moi c’est moi », répond-il.

Les médias de l’époque y voient à peu près unanimement une prise de distance, voire une franche critique. C’est en fait une manipulation : « Lui et moi avons mis au point ensemble cette formule, dans son bureau, le stylo à la main », raconte Laurent Fabius quelques années plus tard[iii]. Mais le simulacre de distanciation fonctionne ; surtout, les commentaires sont réorientés vers la petite phrase elle-même et non vers les causes éventuelles de désaccord au sommet de l’État

Deux piliers de la « macronie » s’écartent

En juin 2024, on remarque particulièrement une petite phrase de Bruno Le Maire. Il s’était déjà illustré début juin, pendant la campagne de l’élection européenne en affirmant : « J’ai sauvé l’économie française[iv]. » Un lapsus ? Manifestement pas ; plutôt l’affirmation d’une position de leadership, avec peut-être le pressentiment de bouleversements prochains. Après la dissolution de l’Assemblée nationale, il déclare sur TV5 Monde : « les parquets des ministères et des palais de la République sont pleins de cloportes[v] ». La métaphore est impitoyable. Est-elle suffisante pour marquer une différence avec le pouvoir en place ? Ministre depuis sept ans, Bruno Le Maire connaît peut-être trop bien ces parquets. Et employer un terme fort comme « cloportes » peut être dangereux. Dans la mémoire d’une opinion approximative, il risque de rester vaguement associé à celui qui le prononce.

Édouard Philippe, pour sa part, marque sa distance de manière moins populaire et davantage « politologique ». « C'est le président de la République qui a tué la majorité présidentielle […] Il a décidé de la tuer, on passe à autre chose », déclare-t-il à TF1[vi]. L’ancien Premier ministre semble chercher un repositionnement de son ethos non directement auprès de l’électorat mais auprès des milieux politiques – en particulier des députés macronistes qui ne seront pas réélus.


M.L.S.


[i] Catherine Nay, « Avec Emmanuel Macron, trop de parole tue la parole », Le Figaro, 13 juin 2024.
[ii] Jean-Pierre Le Goff, « Le chef de l’État a encouragé l’autodestruction du politique », Le Figaro, 26 juin 2024
[iii] Voir Michel Le Séac’h, La petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 58.
[iv] Voir par exemple Rachel Garrat-Valcarcel, « Bruno Le Maire a-t-il le boulard ? », 20 minutes, 3 juin 2024, https://www.20minutes.fr/politique/4094215-20240603-sauve-economie-francaise-bruno-maire-boulard#
[v] Voir par exemple Sylvain Chazot, Chez Pol, « Bruno Le Maire flingue Bruno Roger-Petit et «les cloportes» qui conseillent Emmanuel Macron à l’Elysée », Libération, 21 juin 2024, https://www.liberation.fr/politique/bruno-le-maire-flingue-bruno-roger-petit-et-les-cloportes-qui-conseillent-emmanuel-macron-a-lelysee-20240621_Q6BO6WXP6BAQPMIUNJRY4IHGXA/
[vi] Paul Larrouturou, TF1 Info, sur X, 20 juin 2024, https://x.com/PaulLarrouturou/status/1803851311861108864?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1803851311861108864%7Ctwgr%5Edd5ab0f62d5a52f2ada870107c9b9b355e642316%7Ctwcon%5Es1_&ref_url=https%3A%2F%2Fwww.tf1info.fr%2Felections%2Flegislatives-2024-video-edouard-philippe-accuse-emmanuel-macron-d-avoir-tue-la-majorite-presidentielle-2305043.html

Photo : Bruno Le Maire en septembre 2023, photo EU2023ES via Flickr, CC BY-NC-ND 2.0, recadrée sur le ministre

20 mai 2024

Philippe de Villiers, le grand discours et la petite phrase

À la question « Qu’est-ce qu’un grand discours ? » Philippe de Villiers répond implicitement : c’est une petite phrase !

Son avis n’est pas à prendre à la légère. Qu’on partage ou pas ses convictions, on reconnaît en lui un grand communicant. Créateur de la Cinéscénie du Puy du Fou (1978), pionnier des radios libres avec Alouette FM (1981), secrétaire d’État à la Culture (1986-1987), auteur ou co-auteur d’une trentaine d’essais, de pamphlets et de romans, Philippe de Villiers maîtrise le verbe à l’oral comme à l’écrit. On sait moins qu’il se soucie aussi de théorie de la communication. Il a créé en 1984 un établissement d’enseignement supérieur, la Fondation pour les arts et les sciences de la communication, devenue Audencia SciencesCom après son intégration au groupe de la grande école de management de Nantes.

Il était donc légitime qu’Eliot Deval, ce vendredi 17 mai dans l’émission Face à Philippe de Villiers sur CNews, lui pose la question : « Qu’est-ce qu’un grand discours ? ».


« C’est une question piège », répond Philippe de Villiers, qui n’a pas l’air piégé du tout – et peut-être le piège est-il plutôt dans sa réponse. Il poursuit : « C’est une parole inhabituelle dans la forme, et qui marque l’histoire. […] Il faut être laconique et dans l’histoire les grands discours sont laconiques en fait. » Il en donne comme exemple « l’allocution la plus rapide de toute l’histoire de l’Antiquité », l’injonction de Caton l’Ancien « qui devant le Sénat romain prononce la phrase suivante : "Delenda est Carthago" ». On note qu’il parle spontanément non de discours mais de parole, de mot ou de phrase ‑ phrase qu’on qualifierait volontiers de « petite » aujourd’hui. Ainsi, le « grand discours » n’est pas un discours long mais en réalité un bref passage retenu comme représentatif.

Ce qui rejoint la pratique des historiens anglo-saxons. Fréquemment, ils désignent les discours fameux non par leur date mais par leur phrase la plus remarquée : « Blood, toil, tears and sweat », « Rivers of blood », « I have a dream », etc. Philippe de Villiers cite d’ailleurs l’un d’eux : le « Ich bin ein Berliner » prononcé par John Fitzgerald Kennedy en 1963.

Il cite ensuite, en guise de discours « d’un laconisme fulgurant et insolent » :

  • « Vive le Québec libre ». (Charles de Gaulle)
  • « Les missiles sont à l’Est, les pacifistes sont à l’Ouest ». (François Mitterrand)
  • « Celui qui gagnera la guerre, c’est celui qui gagnera le dernier quart d’heure. Politique étrangère, politique intérieure, c’est tout un. La politique étrangère : je fais la guerre ; la politique intérieure : je fais la guerre, je fais toujours la guerre » (Georges Clemenceau)[1].
  • « Aujourd’hui, foudroyés par la force mécanique nous serons demain vainqueurs par une force mécanique supérieure ». (Charles de Gaulle)
  • « La bataille d’Angleterre va commencer. À tous ceux qui se préparent à faire leur devoir, je fais la promesse suivante : si jamais, si jamais l’empire britannique doit durer mille ans, alors je vous le dis dans mille ans il y aura encore des hommes qui diront : ce fut leur plus belle heure » (Winston Churchill).

L’avenir l’emporte sur le passé

Ce rapport au temps paraît essentiel. Pour Philippe de Villiers, « un grand discours c’est un discours qui porte un mot sur le temps à venir, et le mot est juste ». Ou encore : le grand discours est « en fait, une parole… une parole qui marque l’histoire, c’est une parole qui a prise sur les événements ». Elle est donc prospective, jamais rétrospective, elle parle de l’avenir et pas du passé. Peut-être même contribue-t-elle à façonner l’avenir. Ainsi, la formule de Caton « va déclencher la destruction de Carthage ».

Plus tard, dit Philippe de Villiers, « il suffira [on note le temps futur] d’un mot [on note le vocabulaire] du pape Urbain pour mettre en marche l’histoire et envoyer jusqu’à Jérusalem la fine fleur de la chevalerie de tout l’Occident ». Et le discours de Churchill fait miroiter une glorieuse perspective millénaire. Notons que le passage retenu est la conclusion d’un discours qui commence par une critique sévère contre la France (« The colossal military disaster which occurred when the French High Command failed to withdraw the northern Armies from Belgium… »), destinée peut-être à excuser le rembarquement de Dunkerque. C’est-à-dire que ce qui fait la grandeur du discours se rapporte à un avenir fantasmé et non à un vécu qu’on s’empresse d’écarter.

Micro-rhétorique

Et ce n’est pas tout. Le grand discours n’est pas seulement très bref, souvent réduit à une seule phrase, et tourné vers l’avenir. Pour convaincre, il s’appuie sur les trois piliers de la rhétorique décrits par Aristote : « D’abord, l’ethos, qui se rapporte à l’auteur, parce qu’il faut une aura, et il faut une cohérence, c’est ça l’ethos, entre celui qui parle et ce dont il parle. […] Ensuite, il y a le logos. Le logos, c’est l’argumentaire, c’est la logique, parce qu’il faut convaincre. Et enfin il y a le pathos, parce qu’il faut séduire, il faut de l’émotion, il faut exalter. »

Les « grands discours » cités par Philippe de Villiers sont ceux de grands hommes. Prononcés par des personnages secondaires, ils auraient sans doute disparu dans les oubliettes du temps – et de fait d’innombrables discours prononcé à la même époque n’ont pas laissé de trace. Ces grands discours et les petites phrases qu'on en retient sont magnifiés par l’aura de leur auteur, ils sont conformes à son image et contribuent à l’alimenter : voilà la cohérence de l’ethos.

Le raisonnement sur le logos mériterait d’être approfondi. Quel argumentaire, quelle logique un discours laconique de quelques mots peut-il contenir ? Réponse : le logos prend la forme de sous-entendus riches (« Les missiles sont à l’Est... »), soutenus peut-être par une prosodie séduisante. Quand au pathos, enfin, il ne relève ni de l’auteur, ni du contenu du discours. Pourtant, il est essentiel. Pourquoi le « Vive le Québec libre » du général de Gaulle est-il un grand discours ? Parce qu’il rencontre les aspirations d’un auditoire. « On a deux hommes qui parlent à deux peuples », relève encore Philippe de Villiers à propos de de Gaulle et Churchill. Le grand discours est grand non seulement par ce que son auteur y dit mais aussi par ce que son auditoire y entend. Il y a, en somme, co-construction implicite.

Le grand discours se présente donc comme une sorte de capsule rhétorique ‑ de « micro-rhétorique », pourrait-on dire par métonymie. En quelques minutes, Philippe de Villiers livre (sans la moindre note !) un cours entier sur la puissance du langage.

Michel Le Séac’h

Illustration : copie d'écran CNews

[1] La leçon sur le « dernier quart d’heure » est en fait postérieure à « je fais la guerre ». Entre les deux, il y avait une phrase non citée par Philippe de Villiers, à laquelle l’actualité pourrait donner un retentissement particulier : « "La Russie nous trahit, je continue de faire la guerre »…

02 mai 2024

« Vous n’avez pas le monopole du cœur » : cinquante ans après, que nous dit la petite phrase du débat VGE-Mitterrand ?

Avant le cinquantième anniversaire de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence de la République, on célébrera ce mois-ci celui de sa fameuse réplique : « Vous n’avez pas le monopole du cœur ».

Le 10 mai 1974, avant le deuxième tour de l’élection présidentielle, VGE et François Mitterrand s’affrontent lors d’un débat télévisé. Celui-ci passionne les médias et les milieux politiques. Ils ont en tête le débat du 26 septembre 1960 entre John F. Kennedy et Richard Nixon qui, à la surprise générale, a tourné à l’avantage du premier. Ce débat constitue une « révolution dans la politique présidentielle américaine »[i], assure Theodore White dans La Victoire de Kennedy ou comment on fait un président (en anglais The Making of the President 1960), un best-seller mondial qui a, dit-on, « transformé à jamais les campagnes électorales »[ii].

L’expérience impressionne les milieux politiques à tel point que plus aucun duel télévisé de ce genre n’aura lieu aux États-Unis avant 1976. Le débat français de 1974 est donc en soi un événement considérable. Quatre ménages français sur cinq possèdent déjà un téléviseur. Ils n’ont pas beaucoup de choix : l’ORTF ne leur propose guère que deux chaînes de télévision, la troisième est embryonnaire. Le débat présidentiel fait recette.

Un diagnostic presque unanime

Instruites par l’expérience américaine de 1960, les équipes des candidats se sont attachées à neutraliser les risques dus à l’aspect de leurs champions, François Mitterrand, politicien chevronné de la quatrième République, et Valéry Giscard d’Estaing, ancien ministre des Finances de Pompidou. Cependant, le danger n’est pas dans le doigté du barbier ou la couleur de la cravate. Avec insistance, le premier reproche au second les inégalités sociales :

C’est une question d’intelligence mais c’est aussi une affaire de cœur.

Regard noir de VGE :

D’abord, je vais vous dire quelque chose : je trouve toujours choquant et blessant de s’arroger le monopole du cœur. Vous n’avez pas, M. Mitterrand, le monopole du cœur, vous ne l’avez pas. J’ai un cœur, comme le vôtre, qui bat sa cadence et qui est le mien. Vous n’avez pas le monopole du cœur !

Sûrement pas, bredouille Mitterrand.

« Chacun s’accorde pour dire que Giscard a gagné l’élection à cet instant », rapporte Olivier Duhamel[iii]. De nombreux experts – journalistes, politologues, politiciens, publicitaires, historiens... – abondent dans ce sens. « Vous n’avez pas le monopole du cœur, une petite phrase de quelques secondes grâce à laquelle, peut-être, Valéry Giscard d’Estaing est devenu à 48 ans le plus jeune président de la Cinquième République », résume l’Institut national de l’audiovisuel (INA)[iv].

Rationnellement, l’hypothèse de la phrase qui fait l’élection devrait faire sourire. Or elle semble admise presque sans discussion. Jean-François Kahn, l’un des rares à la contester, ne peut que le constater : « Pourquoi, nous explique-t-on, Giscard d'Estaing l'a-t-il emporté en 1974 sur François Mitterrand ? A cause d'un clip dont il se fit un pin's : "Vous n'avez pas le monopole du coeur. " […] Je n'en crois évidemment pas un mot. Mais il est significatif que cette appréhension, honteuse en vérité, d'un débat dit "de société", soit devenue un lieu commun[v]. »

L'Institut national de l'audiovisuel (INA) cite largement la petite phrase de VGE
Qu’en pensent les premiers intéressés ? Leur avis n’est pas équivoque. « Je crois que j'ai été élu président de la République, grâce à une phrase de dix mots », écrit Valéry Giscard d’Estaing[vi]. Il ajoute : « [François Mitterrand] m’a déclaré plus tard, quand nous en avons parlé ensemble : ″C’est là que vous avez gagné l’élection[vii].″ » Mitterrand en prend de la graine, prouvant avec « l’homme du passif » face à VGE en 1981, puis avec « le monopole du cœur pour les chiens et les chats » face à Chirac en1988, qu’il croit désormais à la force des petites phrases autant qu’à celles de l’esprit.

Prise de bec sans politique  

Sa réplique était une improvisation, affirme Valéry Giscard d’Estaing. « Il n’y avait pas une douzaine de mecs pour lui fignoler la fameuse petite phrase à servir chaud sur le plateau télé », badine Daniel Carton[viii]. Mais en tout état de cause, n’est-il pas stupéfiant que deux prétendants à la présidence de la République puissent, ensemble, considérer posément qu’ils ont été départagés par quelques mots, parfaitement anodins de surcroît ? Car, bien entendu, tout citoyen a un cœur qui bat sa cadence sans être présidentiable pour autant.

Et c’est peut-être, au fond, la principale leçon de « Vous n’avez pas le monopole du cœur » : le point saillant, voire déterminant, de ce débat entre candidats à la fonction suprême n’est pas du tout « politique ». Il n’est pas question de Constitution, de fiscalité ou de relations internationales mais d’une prise de bec entre deux individus. Celui qui l’emporte est celui qui cloue le bec à l’autre – ou qui lui arrache le cœur. Dans cette petite phrase politique, l’ethos joue un rôle majeur.

Michel Le Séac’h

[i] Theodore H. White, The Making of the President 1960, New York, Pocket Books, 1961, p. 335.

[ii] Scott Porch, « The Book That Changed Campaigns Forever », Politico, mai-juin 2015, https://www.politico.com/magazine/story/2015/04/22/teddy-white-political-journalism-117090/

[iii] Olivier Duhamel, Histoire des présidentielles, Paris, Le Seuil, 2008, p. 130.

[iv] https://www.youtube.com/watch?v=Y8vfxuwtr4o, https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i00017840/valery-giscard-d-estaing-vous-n-avez-pas-le-monopole-du-coeur

[v] Jean-François Kahn, La Pensée unique, Fayard, 1995.

[vi] Valéry Giscard d’Estaing, Le Pouvoir et la vie, Paris, Cie 12, 2004.

[vii] Olivier Duhamel, Histoire des présidentielles, Paris, Le Seuil, 2008, p. 130.

[viii] Daniel Carton : « Bien entendu… c’est off » – Ce que les journalistes politiques ne racontent jamais, Paris, Albin Michel, 2003.

09 janvier 2021

Les élections présidentielles à pile ou phrase

LCP diffusera lundi 11 janvier à 20h30 la première partie d’un documentaire de Cécile Cornudet et Benjamin Colmon intitulé « Face à face pour l’Élysée ». Elle est consacrée aux débats télévisés entre François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing en 1974 et 1981, et au débat entre François Mitterrand et Jacques Chirac en 1988.

Le documentaire présente la mécanique des débats et les interminables négociations entre les équipes des candidats. En 1974, le marketing politique était focalisé sur le visuel. C’était un héritage du débat du 26 septembre 1960 entre John Kennedy et Richard Nixon. Les états-majors avaient lu et relu les pages de The Making of the President 1960 où Theodore H. White détaillait le bronzage de Kennedy, la chemise trop grande de Nixon, le gris trop clair du décor plusieurs fois peint et repeint, les éclairages dérangés par le piétinement des journalistes, etc.

Pour des Américains habitués aux émissions politiques radiophoniques, l’image était une grande nouveauté en 1960. On comprend qu’elle ait préempté les commentaires. En 1974, et a fortiori en 1981 et 1988, la télévision n’était plus si nouvelle pour les Français. Les mémoires n’ont pas été marquées par la couleur des cravates mais par trois petites phrases :

  • Vous n’avez pas le monopole du cœur (VGE en 1974)
  • C’est ennuyeux quand même que vous soyez devenu l’homme du passif (Mitterrand en 1981)
  • Mais tout à fait, monsieur le Premier ministre (Mitterrand en 1988)

Sorj Chalandon le rappelle avec force en commentant le documentaire de LCP dans le dernier numéro du Canard enchaîné (« Des hauts et débats », 6 janvier 2021) : « replongeons-nous avec curiosité dans le premier face-à-face télévisé de l’élection présidentielle française […] devenu l’exercice imposé de tout candidat à la magistrature. Et qui s’est bien souvent joué sur une petite phrase. Une formule choc, éprouvée lors des meetings ou balancée comme ça, réplique magique dans un moment d’état de grâce, faisant comprendre aux journalistes, aux états-majors et à la France entière que l’élection était presque gagnée ou quasiment perdue. »

Ainsi, le sort d’une élection présidentielle pourrait se jouer sur une petite phrase ! Mais si les petites phrases, certaines d’entre elles du moins, valent à des candidats élection « presque gagnée », n’est-il pas étrange qu’on persiste souvent à les considérer, dans leur ensemble, comme une nuisance anecdotique de la vie politique ?

Michel Le Séac’h

Illustration : débat télévisé Nixon-Kennedy en 1960, photo The Granger Collection via NDLA, licence CC BY-NC-SA 4.0

30 octobre 2016

Centenaire de Mitterrand : À la recherche du « temps au temps » perdu

C’était de circonstance : le centenaire de la naissance de François Mitterrand, le 26 octobre, a été l’occasion d’exhumer « il faut laisser le temps au temps ». Cette petite phrase « lui est attribuée à tout propos », note Hubert Védrine sur le site de l’Institut François Mitterrand. « "Laisser du temps au temps" fait un succès étonnant dans les reprises médias ou les appropriations de la rue », insiste Jack Lang dans son Dictionnaire amoureux de François Mitterrand (EDI8, 2015). Cette semaine, on l’a retrouvée, entre autres, dans le titre d’un article de Libération.

Mais que signifie donc cette formule tautologique ? On n’en sait trop rien. Hubert Védrine envisage deux interprétations :

  • un prétexte à procrastination, dans la foulée de Henri Queuille (« il n’y a pas de problème qu’une absence de solution ne finisse par faire disparaître »),
  • un principe de sage lenteur respectant les évolutions naturelles. Les admirateurs de François Mitterrand se rangent plutôt à cette version genre « force tranquille ». François Hollande en a proposé une exégèse ‑ « Ça ne justifiait pas l’immobilisme mais il s’agissait de respecter les rites pour mieux surgir » ‑ lors de l’hommage rendu à son lointain prédécesseur, mercredi dernier au Louvre.
De moins révérencieux en évoquent une troisième :

  • l’excuse de mauvaise foi d’un président qui refusait de porter une montre et gérait très mal son temps. Au point de tomber parfois dans la plus extrême impolitesse, comme ce jour où il a fait patienter pendant trois quarts d’heure le Bundestag allemand.
En vérité, Mitterrand lui-même n’a jamais expliqué le sens d’« il faut laisser du temps au temps ». Et d’ailleurs, qui l’a vraiment entendu le dire ? Auteur d’un recueil précisément intitulé Il faut laisser le temps au temps : les mots de François Mitterrand (Presses de la Cité, 1995), Michel Martin-Roland indique qu’il s’agit d’une déclaration faite au Nouvel Observateur en avril 1981. Jack Lang reprend cette référence et cite ainsi ce qu’il qualifie de « métaphore potagère » : « Les idées mûrissent comme les fruits et les hommes. Il faut qu’on laisse le temps au temps. Personne ne passe du jour au lendemain des semailles aux récoltes et l’échelle de l’histoire n’est pas celle des gazettes. »

Hubert Védrine est d’un autre avis : selon lui, la formule est parue dans Le Point le 2 mai 1981. Et elle se réduit à : « Les idées mûrissent comme les fruits et les hommes. Personne ne passe du jour au lendemain des semailles aux récoltes et l’échelle de l’histoire n’est pas celle des gazettes. » Le « temps au temps » n’y figure même pas !

On le rencontre en revanche chez Cervantès, qui dans Don Quichotte évoque trois fois le dicton populaire espagnol « dar tiempo al tiempo », cité aussi par le poète Antonio Machado. Ou, signale François Brune/Bruno Hongre, dans une lettre du pape Alexandre VII au cardinal de Retz (« tempo al tempo »). Cela nous mène loin de la présidence de la République française.

C’est le public qui fait la petite phrase

Ainsi, cette formule souvent présentée comme la « maxime favorite » de François Mitterrand n’aurait été prononcée par lui – et encore, entre quatre-z-yeux seulement – qu’avant le début de sa présidence et pas une seule fois ensuite.

Ce qui montre bien qu’en matière de petite phrase, l’homme politique propose et le public dispose. Peu importe que François Mitterrand ait ou non prononcé sa « maxime favorite », ce n’est pas lui qui en a fait une petite phrase, c’est le public. Celui-ci l’a reprise, propagée et mémorisée en l’attribuant à Mitterrand parce qu’il avait le sentiment qu’elle représentait bien un aspect de son personnage. Même si elle n’avait pas été formellement prononcée, elle était « plus vraie que vraie »[1].

Corrélativement, on notera que cette petite phrase confirme la puissance des rimes et répétitions internes – un phénomène bien connu, même si la psychologie cognitive ne l’explique encore pas tout à fait[2].

Michel Le Séac’h

Photo : François Mitterrand en 1981 par Jacques Paillette, via Wikimedia Commons



[1] Cf. Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 188.
[2] Idem, p. 218.