« There is a risk that weak inflation will be even more persistent
than we currently anticipate » (il existe un risque que l’inflation faible soit encore
plus durable que nous ne le prévoyons actuellement), a déclaré tout à l’heure
Jerome Powell, président de la Réserve fédérale (la « Fed »)
américaine, devant le Congrès des États-Unis. Un risque qu’une prévision soit
dépassée… Était-ce parler pour ne rien dire ?
L’outil principal des banques centrales, en principe, ce sont les taux d’intérêt. Mais quand les taux sont proches de zéro et qu’on n’ose pas les relever, que reste-t-il aux patrons des banques centrales ? La parole. Ce n’est pas nouveau : en 1781, Necker soulignait que « le mystère de l’état des Finances » favorisait les rumeurs*. Il en concluait que publier la situation du Trésor royal « pourrait avoir la plus grande influence sur la confiance publique »**.
Ce qui ne remplissait pas les caisses pour autant, bien entendu. Mais, avertissait Necker, l’augmentation des emprunts publics « qui séduit parce qu’elle éloigne le moment des embarras, ne fait qu’accroître le mal et creuser plus avant le précipice ». Une petite phrase à la manière de l’époque, clairement destinée au roi Louis XVI. On est parfois plus direct aujourd’hui, à l’instar de François Fillon déclarant en 2007 : « je suis le Premier ministre d’un État en faillite ».
Les petites phrases des banquiers centraux contemporains ne sont pas le fruit du hasard comme celles de nombreux hommes politiques. Elles sont pesées au trébuchet. Le rôle des banques centrales est délicat : elles doivent gérer des anticipations. Dire clairement ce qu’elles comptent faire, c’est risquer d’en épuiser l’effet avant l’heure. Il faut donc laisser des portes ouvertes. Cultiver l’ambiguïté.
Profession : interprète du Fedspeak
Alan Greenspan, président de la Réserve fédérale (la « Fed ») américaine de 1987 à 2006, était réputé exceller dans cet art. Il a laissé plusieurs formules célèbres. La plus fameuse date de 2005 : « if I turn out to be particularly clear, you've probably misunderstood what I said » (si je semble clair, c’est probablement que vous m’avez mal compris -- mais la formule est souvent présentée sous la forme « si je semble clair c'est que je me suis mal exprimé » ). Il est à l’origine de ce qu’on a appelé le « Fedspeak », le langage de la Fed, fait d’allusions compréhensibles uniquement des initiés, et encore…
Car le Fedspeak a fait naître une caste d’interprètes ou d’augures censés le comprendre. Cécile Chevré nous ramène à l’Ancien régime quand elle écrit : « La Fed, c'est le Roi Soleil dans sa cour de Versailles : ce qu'elle fait, ce qu'elle dit, ce qu'elle mange, avec qui elle passe ses nuits... tout est analysé, décrypté, interprété (avec plus ou moins de justesse)... »***.
Les successeurs de Greenspan ont aussi laissé des petites phrases fameuses, tel l’« helicopter money » de Ben Bernanke. Les banquiers centraux européens ne sont pas en reste. Certain « whatever it takes » de Mario Draghi est resté aussi fameux que mystérieux.
Et non, ce n’est pas parler pour ne rien dire : ces paroles font de l’effet. La formule particulièrement alambiquée prononcée tout à l’heure par Jerome Powell a enthousiasmé la Bourse, car elle signifie (ou pourrait signifier…) que la Fed va maintenir des taux bas. À cause d’elle, l’indice S&P 500 a progressé de 0,6 %. Les actionnaires ont gagné des milliards de dollars en quelques minutes. Petites sont les phrases, grande est leur valeur.
L’outil principal des banques centrales, en principe, ce sont les taux d’intérêt. Mais quand les taux sont proches de zéro et qu’on n’ose pas les relever, que reste-t-il aux patrons des banques centrales ? La parole. Ce n’est pas nouveau : en 1781, Necker soulignait que « le mystère de l’état des Finances » favorisait les rumeurs*. Il en concluait que publier la situation du Trésor royal « pourrait avoir la plus grande influence sur la confiance publique »**.
Ce qui ne remplissait pas les caisses pour autant, bien entendu. Mais, avertissait Necker, l’augmentation des emprunts publics « qui séduit parce qu’elle éloigne le moment des embarras, ne fait qu’accroître le mal et creuser plus avant le précipice ». Une petite phrase à la manière de l’époque, clairement destinée au roi Louis XVI. On est parfois plus direct aujourd’hui, à l’instar de François Fillon déclarant en 2007 : « je suis le Premier ministre d’un État en faillite ».
Les petites phrases des banquiers centraux contemporains ne sont pas le fruit du hasard comme celles de nombreux hommes politiques. Elles sont pesées au trébuchet. Le rôle des banques centrales est délicat : elles doivent gérer des anticipations. Dire clairement ce qu’elles comptent faire, c’est risquer d’en épuiser l’effet avant l’heure. Il faut donc laisser des portes ouvertes. Cultiver l’ambiguïté.
Profession : interprète du Fedspeak
Alan Greenspan, président de la Réserve fédérale (la « Fed ») américaine de 1987 à 2006, était réputé exceller dans cet art. Il a laissé plusieurs formules célèbres. La plus fameuse date de 2005 : « if I turn out to be particularly clear, you've probably misunderstood what I said » (si je semble clair, c’est probablement que vous m’avez mal compris -- mais la formule est souvent présentée sous la forme « si je semble clair c'est que je me suis mal exprimé » ). Il est à l’origine de ce qu’on a appelé le « Fedspeak », le langage de la Fed, fait d’allusions compréhensibles uniquement des initiés, et encore…
Car le Fedspeak a fait naître une caste d’interprètes ou d’augures censés le comprendre. Cécile Chevré nous ramène à l’Ancien régime quand elle écrit : « La Fed, c'est le Roi Soleil dans sa cour de Versailles : ce qu'elle fait, ce qu'elle dit, ce qu'elle mange, avec qui elle passe ses nuits... tout est analysé, décrypté, interprété (avec plus ou moins de justesse)... »***.
Les successeurs de Greenspan ont aussi laissé des petites phrases fameuses, tel l’« helicopter money » de Ben Bernanke. Les banquiers centraux européens ne sont pas en reste. Certain « whatever it takes » de Mario Draghi est resté aussi fameux que mystérieux.
Et non, ce n’est pas parler pour ne rien dire : ces paroles font de l’effet. La formule particulièrement alambiquée prononcée tout à l’heure par Jerome Powell a enthousiasmé la Bourse, car elle signifie (ou pourrait signifier…) que la Fed va maintenir des taux bas. À cause d’elle, l’indice S&P 500 a progressé de 0,6 %. Les actionnaires ont gagné des milliards de dollars en quelques minutes. Petites sont les phrases, grande est leur valeur.
Michel Le Séac’h
____________
* Joseph Droz, Histoire du règne de Louis XVI,
Bruxelles, Société typographique belge Adolphe Wahlen et Compagnie, 1839, p.
265
** Jacques Necker, Compte rendu au Roi, Paris,
Imprimerie royale, 1781.
*** Cécile Chevré, « Et si la Fed avait déjà relevé ses
taux ? », La Chronique Agora, 11 novembre 2015