Le 5 avril 2019, clôturant la réunion des ministres de
l’Intérieur du G7 à Paris, Christophe Castaner a fait une déclaration qui
contenait le passage suivant :
Cette déclaration a soulevé une émotion certaine dans les milieux
de gauche, qui ont surtout cité sa dernière phrase – sous une forme optimisée (« les
ONG ont pu se faire complices des passeurs »). Pourtant, la presse n’a
presque jamais utilisé l’expression « petite phrase » à son sujet.
Cette absence de qualification est anecdotique, bien sûr. Elle a pourtant de
quoi étonner puisque, de nos jours, l’étiquette « petite phrase » s’accroche
aisément à tout propos un peu détonant d’un personnage politique.
Sur un thème connexe, le prédécesseur de Christophe Castaner
au ministère de l’Intérieur, Gérard Collomb, avait évoqué au printemps 2018 « les
migrants qui font un peu de benchmarking pour regarder les différentes
législations à travers l’Europe ». À l’époque, cette sortie avait été
largement qualifiée de « petite phrase », par exemple chez France
Télévisions, Le
Parisien ou France
Soir.
Comment expliquer cette différence de traitement ? La question, je le redis, est purement anecdotique. Mais peut-être la réponse éclairerait-elle un peu le fonctionnement des petites phrases ? Trois types d’explication, correspondant aux trois phases d’une petite phrase, sont envisageables.
- Au
niveau du contenu, le léger doute introduit dans la formule
généralement citée (« ont pu ») l’affaiblit peut-être.
Surtout, il n’est pas impossible que l’allégation du ministre de
l’Intérieur soit déjà largement admise implicitement, y compris par certains de ceux
qui s’offusquent de l’entendre explicitée. La convergence d’intérêts entre
passeurs, migrants et sauveteurs relève du simple bon sens. La mer est
grande. Plutôt que de la parcourir à la recherche de petites embarcations
comme des aiguilles dans des bottes de foin autant aller chercher du côté
où un coup de fil vous a obligeamment dit qu’elles pourraient se trouver, comme
l’a noté Frontex p. 32 de son rapport d’analyse des risques de 2017.
La déclaration de M. Castaner a pu paraître purement factuelle et objective.
- Au
niveau du contexte, une petite phrase suppose un grand personnage – grand par rapport à son sujet, du moins (tout est relatif !).
Peut-être Christophe Castaner n’était-il pas audible, début avril, sur un thème politique majeur. À cette date, son image était sûrement influencée
par sa fameuse fiesta en boîte de nuit. En tout cas, sa sortie à
propos des ONG a été relativement peu reprise sur les réseaux sociaux. Et les
recherches sur Google ne mentent pas : le graphique de tendance
des recherches reproduit plus bas montre un grand intérêt pour la recherche
« Castaner + boîte de nuit » au mois de mars et pratiquement
aucun pour « Castaner + ONG » début avril (le
résultat est le même si la recherche porte sur « passeurs » ou
sur « migrants »). Un gros plan sur le début avril (second graphique) montre que le thème des ONG n'éclipse que très fugitivement celui de la boîte de nuit.
- Au niveau de la culture, la déclaration du ministre de l’Intérieur n’a pas de valeur heuristique, elle ne dit ni quoi faire ni quoi penser. Sa version « canonique » (« Les ONG ont pu se faire complices des passeurs ») évoque des acteurs qui concernent peu l’opinion publique. Celle-ci connaît les migrants, pas les passeurs ni les ONG. Si M. Castaner avait plutôt présenté les ONG comme « complices des migrants », sa déclaration aurait sans doute trouvé plus d’écho. Mais lequel ? Selon le dernier sondage Harris Interactive Epoka, l’immigration est le thème qui préoccupe le plus les électeurs aujourd’hui. En définitive, la déclaration du ministre de l’Intérieur était peut-être trop consensuelle pour faire petite phrase.
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