Affichage des articles dont le libellé est je traverse la rue. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est je traverse la rue. Afficher tous les articles

02 avril 2019

Sibeth Ndiaye a du mal avec les petites phrases

Des fois, ce qui va sans dire va mieux en ne le disant pas. Sibeth Ndiaye, nouvelle porte-parole du gouvernement, disait naguère : « j'assume parfaitement de mentir pour protéger le président ». Que la conseillère presse du président de la République soit prête à mentir si c’est utile, nul n’en doute. Il faut juste éviter de le dire.

Sibeth Ndiaye ne nie d’ailleurs pas. Elle assure juste que cette phrase de 2017 a été extraite de son contexte. Elle ne va pas jusqu’à dire : « Non, je ne suis pas prête à mentir pour défendre le président ». Elle laisse d’autres en accepter l’augure. « Je ne doute pas qu'elle n'aura pas la même dimension et la même approche maintenant dans sa responsabilité gouvernementale que celle qu'elle avait au sein d'un cabinet », a déclaré Hughes Renson, vice-président LREM de l’Assemblée nationale.

D’autres défenseurs de Sibeth Ndiaye préfèrent glisser sur cette justification du mensonge pour se focaliser plutôt sur une autre petite phrase fameuse : « la meuf est dead », aurait-elle écrit à un journaliste après la mort de Simone Veil. Certains chasseurs de fake news proclament victorieusement que la phrase est fausse : en réalité, Sibeth Ndiaye a écrit « la meuf est morte ». Comme si avoir écrit « morte » au lieu de « dead » l’excusait d’avoir qualifié Simone Veil de « meuf ».

On rappelle aussi beaucoup ces jours-ci l’épisode du « pognon dingue ». En juin dernier, une petite vidéo d’une réunion de travail à l’Élysée était diffusée sur les réseaux sociaux. « On met un pognon de dingue dans des minima sociaux », y déclarait Emmanuel Macron. De toutes les petites phrases malheureuses du président, celle-ci est sans doute l’une de celles qui ont eu le retentissement le plus large et le plus négatif. Or la vidéo avait été mise en ligne délibérément par Sibeth Ndiaye. Celle-ci l’avait accompagnée du tweet suivant :

« Le Président ? Toujours exigeant. Pas encore satisfait du discours qu’il prononcera demain au congrès de la Mutualité, il nous précise donc le brief ! Au boulot ! »

La vidéo était censée montrer combien Emmanuel Macron est travailleur. De toute évidence, Sibeth Ndiaye n’avait absolument pas compris le danger du « pognon dingue ». Pas plus que celui de la « meuf ». Et elle n’a pas su éviter de nombreuses petites phrases qui ont fait du tort à son patron, ou convaincre la presse que l’important dans ses discours était ailleurs.

Les petites phrases sont un phénomène éminemment culturel. Positive ou négative, leur puissance n’est pas dans leur formulation littérale, elle est dans leur contenu implicite qui renvoie à la culture de leur public. Née à Dakar, Sibeth Ndiaye a été élevée au Sénégal avant de venir faire des études supérieures en France (elle a été naturalisée française en 2016). Il n’est pas impossible que, sur le terrain des petites phrases, sa double culture soit un handicap plus qu’un avantage. Prête à mentir pour protéger le président, il lui arrive de le desservir en disant la vérité ! Elle n'est probablement pas la bonne personne au bon endroit. Se pourrait-il qu'elle soit à la communication d’Emmanuel Macron ce qu’était Alexandre Benalla à sa sécurité ?

Michel Le Séac’h


À propos des petites phrases d’Emmanuel Macron, voir aussi :

A lire :

Michel Le Séac'h, Les Petites phrases d'Emmanuel Macron, 2022

09 décembre 2018

Pour Emmanuel Macron, une crise construite à force de petites phrases

« Le président de la République s’exprimera », annonce le Premier ministre. Est-ce bien raisonnable ? Car, y compris chez les représentants du pouvoir, beaucoup estiment désormais que les petites phrases d’Emmanuel Macron sont pour quelque chose dans le déclenchement de la crise des gilets jaunes. Sans nul doute, sa prochaine intervention sera très maîtrisée afin qu’aucune formule ne dépasse. Et on lui reprochera son insincérité…

Depuis une semaine, c’est un déferlement dans la plupart des médias : d’abord surpris par des revendications qui partent dans tous les sens, beaucoup de commentateurs finissent par y repérer un plus petit dénominateur commun : la démission du président de la République. Ce président presque inconnu il y a dix-huit mois est désormais détesté alors que les effets de ses décisions restent marginaux à ce jour. Comment l’expliquer ? En bonne partie par ses petites phrases. L’avis du professeur Arnaud Mercier a été évoqué ici. Il est désormais partagé largement.

Il suffit d’ailleurs d’observer les « gilets jaunes » eux-mêmes. « Dans le dos de leur habit fluo ou en chanson, les manifestants en colère se réapproprient des expressions du président qui les ont parfois agacés ou choqués » a noté Camille Caldini, de France Télévision, qui a repéré en particulier des « Gaulois réfractaires », des « pognon de dingue » et des « traverser la rue ». Adrienne Sigel, de BFM TV, partage cette observation : « ses sorties sont aujourd’hui détournées contre lui, comme en témoigne le tag “Ok Manu, on traverse”, observé boulevard Haussman à Paris samedi ». Le phénomène est national. Sylvie Ducatteau, dans L’Humanité, signale par exemple des « Gaulois réfractaires » sur une banderole dans le Puy-de-Dôme.

Comment des formules aussi vagues et anodines que « traverser la rue » ou « pognon dingue » peuvent-elles susciter tant d’émotion ? On n’imagine guère qu’une analyse sémantique puisse apporter une réponse satisfaisante. Il faudrait plutôt se tourner vers la psychosociologie. Le problème n’est pas dans ce que disent les petites phrases mais dans ce qu’en perçoivent les auditeurs-électeurs. Emmanuel Macron ne semble pas s’être rendu compte qu’il disait en substance à une grande partie des Français : « nous ne sommes pas du même monde ». Un vice rédhibitoire quand on prétend représenter un peuple. « Encore quelques-unes du même tonneau et Emmanuel Macron devra se préparer sérieusement à traverser la rue », écrivais-je ici au mois de septembre après « je traverse la rue ».

« Pas de grand homme sans petite phrase » (La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 234)  bien sûr, mais, on le sait depuis Esope, sa langue peut-être la meilleure ou la pire des choses pour l'homme politique. On peut comprendre que le président de la République n’ait pas vu le danger : il n’a pas fait ses classes électorales. Il est plus étonnant, voire consternant, que les professionnels de la communication qui l’entourent à l’Élysée et au gouvernement ne l’aient pas alerté.

Retour sur quelques petitesphrases d’Emmanuel Macron :

18 septembre 2018

« Je traverse la rue » : la flèche de l’image d’Emmanuel Macron s’égare

Le président de la République est le personnage le plus important vers lesquels les citoyens puissent se tourner. On espère de lui, en tant que leader, un rôle protecteur et un guidage dans la bonne direction. On attend ses oracles et l’on cherche à le connaître ; les petites phrases résument sa pensée. S’il n’en fournit pas lui-même, on en trouvera pour lui.

Emmanuel Macron semble avoir du mal à intégrer cette constante de la communication politique. Bien entendu, il lui arrive de proposer délibérément des formules calibrées pour frapper l’opinion. Certaines fonctionnent (« Make our planet great again »). D’autres sont plus laborieuses (« Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays »). Mais dans l’ensemble, ces petites phrases ne sont probablement pas assez congruentes avec ses attitudes et ses comportements. Souvent, les médias et les citoyens préfèrent picorer à leur gré dans ses expressions publiques.

Au hasard ? Sûrement pas. Ces petites phrases successives sont ce que leurs sélectionneurs retiennent du chef de l’État. Emmanuel Macron est un personnage complexe dont l’image politique n’est pas encore figée. Les petites phrases choisies sont donc disparates, elles passent par des flambées soudaines puis disparaissent plus ou moins vite. Mais elles dessinent peu un peu un portrait en patchwork. Elles forment une « flèche de l’image » progressivement révélée.

L’orientation de cette flèche a de quoi inquiéter les communicants présidentiels. Le dernier épisode en date semble confirmer qu’elle vole dans une direction dangereuse. « Je traverse la rue, je vous trouve un emploi », réponse d’Emmanuel Macron à un jeune chômeur qui visitait l’Élysée ce dimanche à l’occasion des Journées du patrimoine, a remporté un succès énorme.


Cette formule anodine était en concurrence avec des centaines d’autres prononcées publiquement ce jour-là par le président de la République. Elle n’était pas vraiment « détachable », elle ne signifie pas grand chose hors de son contexte. Pourtant, elle été reconnue très vite comme une « petite phrase » par de nombreux médias comme Le Midi libre, Paris Match, Gala, RTL, Sud Radio ou LCI. Elle a été reprise des milliers de fois sur les réseaux sociaux, souvent sur un ton moqueur – témoin le hashtag #TraverseLaRueCommeManu lancé sur Twitter.

Or son interprétation générale n’est pas douteuse : le président manque d’empathie, pour le dire diplomatiquement. Venant après le « pognon dingue » ou « les Français détestent les réformes », le fait même qu'elle ait été retenue par les acteurs de l'opinion dénote une dégradation progressive de l'image du président -- image qu'elle contribue en même temps à façonner. S'il continue à alimenter ce cercle vicieux, Emmanuel Macron devra se préparer sérieusement à traverser la rue.

Illustration : copie partielle d’un écran BFM TV

Michel Le Séac’h