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14 janvier 2023

« Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » : une petite phrase inexplicable d’Emmanuel Macron

À l’approche de sa réélection en 2022, Emmanuel Macron avait paru soucieux d’éviter les formules maladroites qui l’avaient probablement desservi aux premiers temps de son mandat[i] (« je traverse la rue », « on met un pognon dingue dans les minima sociaux », « des gens qui ne sont rien »…). À la toute fin de l’année, pourtant, lors de ses vœux pour 2023, il semble avoir retrouvé cette veine avec « Qui aurait pu prédire […] la crise climatique ? »

Les médias ont largement qualifié de « petite phrase » cette question rhétorique, parfois dès leurs titres :

  • Vœux : la phrase d'Emmanuel Macron sur le climat qui ne passe pas – Le Point
  • Vœux de Macron : "Qui aurait pu prédire la crise climatique ?", cette petite phrase qui agace les scientifiques du Giec – Midi libre
  • « Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » : la petite phrase polémique d’Emmanuel Macron – Ouest-France
  • "Qui aurait pu prédire la crise climatique ?" : la petite phrase d'Emmanuel Macron agace les scientifiques – Francetvinfo
  • Une petite phrase d’Emmanuel Macron a bien du mal à passer à propos du réchauffement climatique – Sud Radio
  • Les scientifiques ont-ils raison d'être en colère après la petite phrase d'E.Macron sur la crise climatique ? – France Bleu
  • Nicolas Poincaré : La petite phrase polémique d'Emmanuel Macron sur le climat  BFMTV

Le thème de la « petite phrase qui ne passe pas » est repris par Francetvinfo, Orange, Gala, Le Huffington Post, L’Indépendant et quelques autres. Les échos de la déclaration présidentielle retentissent même à l’étranger. Elle suscite d’innombrables réactions dans les milieux politiques et scientifiques. Bien entendu, la plupart des commentateurs rappellent que le thème du réchauffement global est ancien : le premier rapport du GIEC date de 1990. La crise climatique est au centre de maints travaux de recherche et d’innombrables conversations de bistro. « "Qui aurait pu prédire la crise climatique ?" Eh bien, beaucoup de gens, monsieur le président… », ironise L’Obs. C’est tellement évident que personne ne semble capable d’expliquer de manière plausible la logique du propos présidentiel.

Erreur délibérée ou simple gaffe ?

Interrogé par Le Point, Philippe Moreau-Chevrolet voit dans cette phrase une « erreur de communication » tout en envisageant qu’elle soit délibérée : « On peut y voir une démarche populiste pour parler à l'électorat qui vit l'écologie de manière punitive. Ou alors une phrase destinée à justifier une forme d'inaction environnementale. Une sorte de révisionnisme à dire qu'il n'y avait pas de consensus politique et qu'on ne pensait pas que ce serait si fort. » Autrement dit, c’est à n’y rien comprendre !

Pour le conseil en communication, « c'est dommage, car c'était un discours tiède et insipide dont on va retenir cette phrase, probablement rédigée trop vite sur un coin de table. » Elle serait donc de la veine des gaffes d’avant 2017 comme « le libéralisme est une valeur de gauche » ou « il n’y a pas une culture française, il y a une culture en France ».

Cette thèse du coin de table est-elle soutenable ? Le texte des vœux présidentiels, reproduit sur le site web officiel de l’Élysée, a certainement été soupesé par une équipe de communicants chez qui l’amateurisme de Sibeth Ndiaye[ii] n’est plus de mise. Et Emmanuel Macron n’a sûrement pas oublié les éloges que lui avait valu « Make our planet great again[iii] ». Il sait aussi ce que l’image de Jacques Chirac doit à « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Est-il possible qu’il ait à ce point perdu de vue son simple intérêt politicien ?

 Un portrait par les petites phrases

Bruno Le Maire, Agnès Pannier-Runacher et les autres ministres qui ont tenté de corriger le tir dans les premiers jours de l’année ont tenu à rappeler les positions prises par Emmanuel Macron depuis son élection dans le domaine de l'écologie. Ils n’ont fait qu’approfondir le mystère : si le président est conscient du problème, pourquoi semble-t-il dire qu’il était imprévisible ?

L’explication la plus vraisemblable est plus prosaïque : thème anecdotique dans le discours, la crise climatique a été traitée par-dessous la jambe. Voici l’intégralité du passage où elle est abordée :

Je repense aux vœux que je vous présentais à la même heure, il y a un an. Qui aurait imaginé à  cet instant, que, pensant sortir avec beaucoup de difficultés d’une épidémie planétaire, nous  aurions à affronter en quelques semaines, d’inimaginables défis : la guerre revenue sur le sol  européen après l’agression russe jetant son dévolu sur l’Ukraine et sa démocratie ; des dizaines, peut-être des centaines de milliers de morts, des millions de réfugiés, une effroyable crise énergétique, une crise alimentaire menaçante, l’invocation des pires menaces, y compris nucléaires ? Qui aurait pu prédire la vague d’inflation, ainsi déclenchée ? Ou la crise climatique aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ?

Pour quarante-huit mots sur la guerre en Ukraine, treize sur la crise climatique. Le président revient brièvement sur le thème de l’environnement dans la suite de son discours[iv]. Mais globalement, ce thème n’y occupe qu’une place mineure et n’a peut-être pas reçu toute l’attention nécessaire. La question « Qui aurait pu prédire… ? » n’était peut être applicable qu’à l’inflation dans l’esprit des rédacteurs. Ou peut-être concernait-elle les « effets spectaculaires encore cet été », que personne n’avait vu venir, et non la crise climatique en tant que telle. La thèse du « coin de table » n’est pas absurde, finalement.

Les communicants de l’Élysée auront sans doute senti le vent du boulet. Si une phrase du président est ambiguë, mal construite, les médias et l’opinion demeurent tout disposés à l’interpréter de la manière la plus défavorable. Comme au temps des Gilets jaunes. En ce temps-là, leur quête de petites phrases présidentielles pouvait dénoter le désir de se faire un portrait d’un personnage encore mal connu. L’est-il mieux aujourd’hui ? Pas sûr. Les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Michel Le Séac’h


[i] Voir Michel Le Séac’h, Les petites phrases d’Emmanuel Macron, Paris, Librinova, 2022, chapitre 1.

[iv] « Parce que la transition écologique est une bataille que nous devrons gagner, il nous  faut la mener avec résolution et méthode. La planification écologique sera l’instrument de ce dépassement historique pour baisser nos émissions de C02 et sauver notre biodiversité. »

Illustration : copie partielle d'écran, site elysee.fr

06 avril 2022

Le Solitaire du palais, par Laurence Benhamou

Qu’est-ce qu’une petite phrase ? C’est « ce que les médias ou la médiatisation font aux discours des responsables politiques », répondent Alice Krieg-Planque et Caroline Ollivier(1). Les deux chercheuses ne s’en tiennent évidemment pas là, mais ce raccourci audacieux offre un bon point de départ pour l’étude des petites phrases : une petite phrase est une phrase dont la presse dit qu’elle est une petite phrase(2) !


Avec Le Solitaire du palais – Le livre du quinquennat Macron 2017-2022, Laurence Benhamou emmène ses lecteurs au cœur de ce réacteur. Journaliste de l’AFP accréditée à l’Élysée, elle a vu naître des petites phrases présidentielles pendant cinq ans – mieux, elle les a parfois portées sur les fonts baptismaux. Une déclaration qualifiée de « petite phrase » par l’AFP a de fortes chances de le devenir.

Laurence Benhamou désigne expressément comme petites phrases les déclarations suivantes :

  • « Ici, dans cette gare, se croisaient ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien… » (p. 48)
  • « Les Français détestent les réformes. Dès qu’on peut les éviter, on ne les fait pas ! C’est un peuple qui déteste cela ! » (p. 51)
  • « Je serai d’une détermination absolue, je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes. » (p. 54)
  • « Certains, au lieu de foutre le bordel, devraient aller voir s’ils ne trouvent pas de poste » (p. 58)
  • « Moi, je bois du vin midi et soir. Il y a un fléau de santé publique quand la jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière, mais ce n’est pas avec le vin. » (p. 99)
  • « Jusqu’à présent, la seule manière de faire ressentir rapidement un changement aux Français consistait à distribuer de l’argent public. Notre pays s’était habitué à cette morphine. » (p. 115)
  • « Le Gaulois réfractaire » (p. 144)
  • Les militants écologistes, « qu’ils aillent manifester en Pologne ! » (p. 243
  • « Quoi qu’il en coûte. » (p. 292)
  • « Je nous connais mieux. Ce sont toujours les mêmes qui participent aux réunions et les autres, au bout de deux mois, diront qu’ils en ont été exclus. » (p. 433)

Elle parle aussi à l’occasion de « reparties cinglantes » (« La médaille, si vous n’en voulez pas, vous ne la prenez pas ! », p. 321), de « flèches du Parthe » (« Nous sommes devenus une nation de 66 millions de procureurs ! », p. 385), de « punchlines » (« Chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu’en 2017 », p. 399), de « phrases fétiches » (« Parce que c’est notre projet », p. 150).

Se pourrait-il que cette sélection témoigne d’un parti-pris de la part de la journaliste ? Il est clair que les formules ci-dessus tendent à brosser le portrait d’un président arrogant et peu empathique et non pas à résumer les orientations de sa politique. Mais tel est bien le rôle des petites phrases, elles décrivent le caractère d’un leader et pas son programme. Délibérément ou non, l’usage qu’en fait Laurence Benhamou le confirme une fois de plus. Ce qui ne signifie pas, cependant, que les petites phrases disent toute la vérité du président ; on apprend ainsi que Brigitte Macron « exècre [ses] petites phrases provocatrices », ce qui n’empêche pas ses sentiments…

Sibeth Ndiaye, grave erreur de casting

On voit bien qu’Emmanuel Macron a raté son rendez-vous avec les journalistes. Délibérément peut-être. « La nouvelle équipe sait déjà comment elle veut traiter une presse dont elle se méfie : distance et parole rare », lit-on dès les premières pages du livre, à peine le nouveau président installé à l’Élysée. Et un peu plus loin : « Sa distance avec la presse ? Il la revendique : "Je ne m’intéresse pas aux journalistes, je m’intéresse aux gens. Quand les journalistes me posent des questions sur la communication, ils s’intéressent à eux, pas au pays, c’est du narcissisme. " Il faudra attendre certaines crises, notamment celle des Gilets jaunes, pour que l’Élysée comprenne que les médias sont une courroie de transmission indispensable entre l’exécutif et la population. »

Il faudra attendre aussi, semble-t-il, qu’Emmanuel Macron prenne conscience du tort que lui causent certains de ses proches. Et avant tout « Sibeth Ndiaye, la responsable de la communication, seule femme du premier cercle, fille d’un éminent homme politique sénégalais, militante PS devenue la communicante d’Emmanuel Macron à Bercy, et qui va le rester à l’Élysée. » Elle paraît s’ingénier à pourrir la situation. « Quelques jours après l’investiture, Sibeth Ndiaye débarque dans la salle de presse. Ironique et agressive, elle ne prend pas de gants. (…) C’est le début d’un bras de fer. Il va durer deux longues années. » Et alimenter les pages les plus critiques du livre, où abondent les notations du genre : « Sibeth Ndiaye ne se prive pas de nous envoyer promener, souvent en termes très crus. » Elle est la seconde personne la plus souvent citée dans le livre, avant même Brigitte Macron et le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler. À côté d’elle, Benjamin Griveaux, éphémère porte-parole du gouvernement, « particulièrement agressif et méprisant à l’égard de la presse » a presque l’air d’un enfant de chœur. Quand enfin le président se décide à l’évincer, l’épitaphe est sans appel : « Son départ marque la fin d’une époque. Ses maladresses, son langage cru, ses provocations, son ton cinglant et ses tirades antimasques ont cristallisé la rancœur de l’opinion. »

Les images plus que les mots

Si ses relations avec les journalistes sont mauvaises, Emmanuel Macron est en revanche attentif aux images, et Laurence Benhamou aux attitudes du président. « Le couple évite le baiser sur la bouche qui avait agacé au soir du premier tour », note-t-elle au soir de la victoire électorale. « La Marseillaise retentit. Emmanuel Macron la chante à mi-voix, parfois les yeux clos. Il serre très fort les doigts de sa compagne. Et garde l’autre main sur le cœur, dans une posture à l’américaine. Comme s’il voulait transformer les usages. Il n’y renoncera que quelques semaines plus tard, lors de la visite de Donald Trump. Sans doute pour ne pas avoir l’air d’imiter l’Américain. » Lors des obsèques de Johnny Hallyday, il se retient de saisir le goupillon pour bénir le cercueil : « au dernier moment, il se rend compte de la gaffe, ce geste qui lui serait reproché, renonce et retient furtivement la main de son épouse qui allait faire de même. » Lors des obsèques de Jean d’Ormesson, « théâtralement, il dépose un crayon sur son cercueil ».

Mais les images présidentielles passent moins par la presse que par les médias sociaux : Emmanuel Macron  « aime autant les déguisements que les happenings, dont il fait poster les images sur Twitter. (…) Les chaînes d’info sont dépassées, la presse, ignorée, @EmmanuelMacron devient un média. Les journalistes qui ne font pas partie des pools ne le voient plus qu’à travers cette avalanche d’images ».

°°°

Bien entendu, les petites phrases n’occupent pas la place centrale dans ce livre de 440 pages. Il relate cinq ans (enfin… quatre ans et demi, il prend fin à l’automne 2021 et ne dit rien notamment de la guerre en Ukraine) d’une présidence riche en événements, en polémiques et en travaux législatifs et diplomatiques. Mais le sujet, ici, ce sont les petites phrases, et sous ce filtre singulier, déjà, l’ouvrage apporte un éclairage intéressant sur le quinquennat qui s’achève.

Laurence Benhamou, Le Solitaire du Palais – Le livre du quinquennat Macron 2017-2022, Paris, Robert Laffont, 2022, 440 pages, 21 euros.

Michel Le Séac’h

(1) Alice Krieg-Planque et Caroline Ollivier-Yaniv, « Poser les « petites phrases » comme objet d’étude », Communication & langages, n° 168, juin 2011, p. 17-22.

(2) Sarah Al-Matary et Chloé Gaboriaux notent elles aussi que « la plupart [des petites phrases] ont d’ailleurs été qualifiés de "petites phrases" dans la presse ». Voir « Une nouvelle lutte des "clashes" ? Fragmentation des discours de campagne et mutation des clivages (France, 2016-2017) », Mots – Les langages du politique, n°117, juillet 2018.

 


01 septembre 2020

« Le masque ne sert à rien », le retour d’une petite phrase-sparadrap

Avec la rentrée, la France entre dans le dur des mesures anti-covid-19, à l’école, dans les entreprises et dans les transports en commun. Beaucoup de gens pour qui elles n’étaient pas une réalité quotidienne y sont désormais soumis. Et celle qui passe mal est évidemment le port du masque.

Porter un masque chirurgical en ville et au travail est une routine dans certains pays d’Asie. Mais les Français ne sont pas des Asiatiques. Et quand on voit une opposition dure monter en Allemagne et au Royaume-Uni, on se dit que la France y échappera difficilement. De fait, une hostilité croissante s'exprime depuis quelques jours sur le net et les réseaux sociaux. Beaucoup s’exclament : « le masque ne sert à rien ».


La force de cette expression est qu’il ne s’agit pas d’un slogan ou d’un mot d’ordre mais d’une petite phrase. Et pas une simple parole malheureuse mais une position officielle du gouvernement d’Édouard Philippe. Celui-ci déclarait lui-même en mars dernier, au journal de TF1 : « Porter un masque en population générale, ça ne sert à rien ». À la même époque, son entourage plussoyait :
  • « L’usage des masques est inutile en dehors des règles d’utilisation définies » ‑ Olivier Véran, ministre de la Santé.
  • Le masque est « totalement inutile pour toute personne dans la rue » ‑ Jérôme Salomon, directeur général de la Santé.
  • « Les Français ne pourront pas acheter de masques dans les pharmacies, car ce n’est pas nécessaire si on n’est pas malade » ‑ Sibeth Ndiaye, porte-parole du gouvernement.
(À propos de Sibeth Ndiaye, un site parodique lui avait fait dire que « le port du masque ne sert à rien » mais qu’il deviendrait obligatoire « dès que les stocks seront réapprovisionnés ». L’AFP avait rapidement dénoncé ces « propos inventés »…)

Quelles que puissent être ses raisons objectives, un changement de doctrine des experts médicaux par exemple, le gouvernement aura du mal à se débarrasser de cette petite phrase. Elle collera à ses semelles comme le légendaire sparadrap du capitaine Haddock. Elle nourrira toutes les oppositions au masque, et tout ce que le gouvernement pourra dire à ce sujet sera fatalement suspect d’insincérité. Il a lui-même délégitimé à l’avance une mesure qu’il entend imposer aujour’hui.

Voici deux ans, un objet du quotidien, aussi basique que le masque, la chasuble de sécurité, était devenu l’emblème d’une rébellion civique approuvée à ses débuts par plus de 60 % des Français. La révolte des Gilets jaunes était largement motivée par des petites phrases. Décidément, Emmanuel Macron et les siens ont du mal avec ces objets verbaux mal identifiés.

Michel Le Séac’h

23 juin 2020

Sibeth Ndiaye peine à expliquer les jets de pierre

Le 21 juin, Sibeth Ndiaye est l’hôte de l’émission Dimanche en politique sur France 3. Francis Letellier l’interroge sur le sort judiciaire d’une infirmière poursuivie pour avoir jeté des pierres sur des policiers lors d’une manifestation à Paris. Faut-il la condamner ? C’est à la justice de faire son travail, répond, comme il se doit, la porte-parole du gouvernement. Mais elle ajoute : « Je ne saurais pas expliquer, à mes enfants  par exemple, s'il est normal, ou pas, de jeter des pierres sur les forces de l'ordre », une déclaration qualifiée de « petite phrase » notamment par Voici et Orange. C’est-à-dire, semble-t-il, que jeter des pierres sur les policiers pourrait être normal selon l’inspiration du moment.


Ces propos circulent largement sur les réseaux sociaux. Sibeth Ndiaye reçoit cependant de nombreux renforts qui condamnent, parfois avec vivacité, un détournement de ses déclarations. Le Huffington Post évoque ainsi une « citation tronquée de Sibeth Ndiaye [qui] fait enrager les syndicats » -- syndicats de police en l’occurrence. La porte-parole du gouvernement est finalement mieux défendue qu’Emmanuel Macron quand ses propres déclarations étaient prises en mauvaise part.

Ses défenseurs n’ont aucune peine à démontrer, en citant d’autres parties de l’émission,  qu’elle n’a pas justifié les violences anti-policières et qu’elle souhaite que la justice fasse son travail. En même temps, ses accusateurs n’ont aucune peine à prouver qu’elle a réellement déclaré, la vidéo en atteste : « Je ne saurais pas expliquer, à mes enfants  par exemple, s'il est normal, ou pas, de jeter des pierres sur les forces de l'ordre ».

Le député européen LR François-Xavier Bellamy ne veut pas accabler Sibeth Ndiaye mais ne l’absout pas entièrement : « Je ne crois pas qu’on ait besoin de tant de mots pour dire une chose très simple : il ne faut pas jeter de pierre sur les policiers. Un point c’est tout. ». Et là est bien le problème. Il réside plus dans la forme que dans le fond. L’intention réelle de Sibeth Ndiaye n’a pas beaucoup d’importance.

Sa phrase avec un conditionnel et deux négations est peu compréhensible, donc propice aux incompréhensions. Et à cette pratique vieille comme la communication politique : la citation tronquée, déformée ou sortie de son contexte. N’est-il pas étrange qu’une porte-parole du gouvernement tende, une fois de plus, de telles verges pour se faire battre ?

Michel Le Séac’h
Illustration : copie d’écran France 3

14 novembre 2019

Gilets jaunes : avec le recul du temps, les petites phrases encore en cause ?

La France souffle la première bougie des « gilets jaunes ». À l’origine, ce mouvement semblait motivé par la hausse de la taxe sur les carburants. Son retrait n’avait pas ramené le calme. Le vrai problème était donc ailleurs.

Plusieurs observateurs désignaient les « petites phrases » d’Emmanuel Macron. Une déclaration d’un député anonyme de La République en marche était largement reprise dans la presse : « 80 % du bordel des "gilets jaunes" est le résultat des petites phrases du chef de l’État depuis six mois »[i]. Après tout, les petites phrases sont des intruses qui s’invitent dans un débat où elles ne devraient pas avoir leur place. Elles sont à l’éloquence politique traditionnelle ce que les gilets jaunes sont au corps politique traditionnel !

Pour les auteurs de Dans la tête des Gilets jaunes, le premier ressort de la révolte est le sentiment d’être méprisé éprouvé par les manifestants : « on se sent blessé en tant qu’individu par l’attitude d’un acteur en particulier, et c’est souvent par E. Macron intuitu personae qu’on est socialement humilié. Des phrases-cultes sur les illettrés, les Gaulois réfractaires, le pognon de dingue, les gens qui ne sont rien, ceux qui n’ont qu’à traverser la rue reviennent en boucle »[ii].

Au minimum, on pouvait voir dans les petites phrases le prétexte, l’allumette de la révolte des Gilets jaunes. Ainsi commence un appel solennel de Raphaël Glucksmann, Claire Nouvian et Thomas Porcher, fondateurs du mouvement de gauche Place publique, publié le 8 décembre 2018[iii] : « La crise vient de loin. Par des mesures injustes et des petites phrases arrogantes, Emmanuel Macron a certes allumé l’étincelle, mais le feu ne demandait qu’à prendre. ».

Mieux : l’épouse du chef de l’État serait sur la même ligne. À en croire Nathalie Schuck, co-auteure de Madame la Présidente, « Brigitte Macron déteste toutes les petites phrases : traverser la rue pour trouver du boulot ; les feignants ; les gens qui ne sont rien… explique-t-elle. Elle lui a dit : 'T'es en train de foutre en l'air ton quinquennat arrête tes conneries !' »[iv].

La thèse du rôle prééminent des petites phrases a été développée par Arnaud Mercier, professeur d’information-communication à Paris 2 Panthéon-Assas[v]. Selon lui, Emmanuel Macron a rompu le fil de la confiance « en multipliant depuis son élection, les petites phrases assassines à destination des Français qui ont été prises comme autant de marques d'humiliation à l'égard de ceux qui sont en galère, au profit des "premiers de cordée" ».

Des petites phrases assassines ! Le mot est fort, l’accusation est grave : un assassinat est un « meurtre commis avec préméditation » (article 221-3 du code pénal). Mais, « oh ! encore une question », comme dirait le lieutenant Colombo, quelles sont ces petites phrases assassines à destination des Français ?

Le professeur Mercier en cite quatre expressément : « Je traverse la rue, je vous trouve du travail », « des Gaulois réfractaires au changement », « on met un pognon de dingue dans les minima sociaux », « des gens qui ne sont rien ». Et en effet, ces formules ont souvent été reprises par les protestataires. « Dans le dos de leur habit fluo ou en chanson, les manifestants en colère se réapproprient des expressions du président qui les ont parfois agacés ou choqués » notait Camille Caldini[vi], qui avait repéré en particulier des « Gaulois réfractaires », des « pognon de dingue » et des « traverser la rue ».

Interrogeons davantage les quatre suspectes.

1. « Je traverse la rue, je vous trouve du travail »


Les visiteurs défilent au palais de l’Élysée, ouvert au public pour les Journées du patrimoine en septembre 2018. Emmanuel Macron leur fait les honneurs du logis et s’enquiert de leurs préoccupations. Un jeune horticulteur cherche du travail mais n’en trouve pas. Emmanuel Macron l’incite à en envisager d’autres métiers, car certains secteurs – le bâtiment, les hôtels-cafés-restaurants… – proposent des emplois à guichets ouverts : « Je traverse la rue, je vous en trouve ».

Cette petite phrase est-elle préméditée ? Évidemment non : le président n’a pu préparer les dizaines voire les centaines de dialogues brefs noués ce jour-là. Est-elle prononcée « à destination des Français » ? Pas davantage : elle s’adresse à un interlocuteur donné, localisé, confronté à une situation particulière. La formule se veut un encouragement, pas un reproche. Elle n’est même pas très claire à cause du relatif « en », dont l’antécédent est incertain (travail ? entreprise ?).

Néanmoins, la presse donne un retentissement national à la parole présidentielle. Elle la redresse aussi : la formule devient « je traverse la rue, je vous trouve du travail » ou « je vous trouve un emploi ». Ainsi clarifiée, elle devient l’épicentre des commentaires. Plusieurs médias, comme Le Midi libre, Paris Match, Gala, RTL, Sud Radio ou LCI la qualifient expressément de petite phrase. Elle est reprise des milliers de fois sur les réseaux sociaux, souvent sur un ton moqueur – témoin le hashtag #TraverseLaRueCommeManu lancé sur Twitter.

2. « Des Gaulois réfractaires au changement » 


Le 29 août 2018, en visite officielle au Danemark, Emmanuel Macron prononce un discours devant la reine Margrethe II. Comme le veut la coutume, il rend hommage au pays qui l’accueille. Il vante sa pratique de la « flexi-sécurité » et ajoute : « Il ne s'agit pas d'être naïf, ce qui est possible est lié à une culture, un peuple marqué par son histoire. Ce peuple luthérien, qui a vécu les transformations de ces dernières années, n'est pas exactement le Gaulois réfractaire au changement ! Encore que ! Mais nous avons en commun cette part d'Européen qui nous unit. »

Y a-t-il préméditation ? Sans doute : un discours officiel prononcé lors d’une visite d’État a sûrement été préparé à l’avance. Est-il « à destination des Français » ? Non, il est destiné à la reine du Danemark et au-delà d’elle aux Danois : le président de la République française dit qu’ils ne sont pas des Gaulois. Il ne dit pas expressément que les Français en sont, même si la conclusion paraît s’imposer d’elle-même. Elle n’est pas forcément offensante pour un peuple qui a fait un triomphe à Astérix.

Mettre sur un même plan religion d’État (« peuple luthérien ») et origine ethnique (« Gaulois ») aurait pu choquer. Ce n’est pas ce raccourci qui est retenu. La presse française se focalise sur le volet « gaulois » de ce passage. Le JDD, LCI, France Culture et d’autres y voient explicitement une « petite phrase ». Les réseaux sociaux français font de même : le discours est tronqué, son sujet, les Danois, disparaît entièrement. Il n’y en a que pour le Gaulois (souvent mis au pluriel comme en atteste la version retenue par le professeur Mercier, « des Gaulois réfractaires au changement »). La réserve « encore que ! » est ignorée : la formule est prise pour une affirmation sans nuance.

3. « On met un pognon de dingue dans les minimas sociaux » 


Le 12 juin 2018, des images « volées » d’une réunion de travail entre Emmanuel Macron et ses plus proches collaborateurs commencent à circuler sur l’internet. Dans une discussion à bâtons rompus, le président déclare : « La politique sociale, regardez, on met un pognon de dingue dans des minima sociaux, les gens, y sont quand même pauvres, on n'en sort pas, les gens qui naissent pauvres, ils restent pauvres, ceux qui tombent pauvres, ils restent pauvres, on doit avoir un truc qui permet aux gens de s'en sortir [...] Il faut prévenir la pauvreté et responsabiliser les gens pour qu'ils sortent de la pauvreté. Et sur la santé c'est pareil. » En réalité, cette petite vidéo d’un peu moins de deux minutes a été délibérément mise en ligne via Twitter par Sibeth Ndiaye, alors conseillère du président de la République chargée de la communication. « On met un pognon de dingue dans les minima sociaux » y occupe trois secondes.

Y a-t-il préméditation ? A priori non, la scène est une véritable réunion de travail. En tout cas, la petite phrase n’est pas destinée à être mise en valeur. Est-elle à destination des Français ? Non, elle s’adresse aux collaborateurs de l’Élysée. Sibeth Ndiaye a tenté de précises son intention dans un tweet : « Le Président ? Toujours exigeant. Pas encore satisfait du discours qu’il prononcera demain au congrès de la Mutualité, il nous précise donc le brief ! Au boulot ! »  L’intention était de montrer le président au travail, pas de présenter une déclaration politique.

Peine perdue : la presse et les réseaux sociaux ne s’intéressent qu’au « pognon dingue », qualifié de « petite phrase » dans La Dépêche, Capital, Gala et d’autres. Sibeth Ndiaye a voulu montrer un président bosseur qui s’adresse à ses collaborateurs ; on voit finalement un président gaffeur qui s’adresse aux Français. L’objectif est de lutter contre la pauvreté ? Beaucoup croient comprendre qu’il s’agit de réduire les budgets sociaux.

4. « Des gens qui ne sont rien » 


La Station F est un lieu parisien très branché. Installée à l’initiative de Xavier Niel dans l’ancienne Halle Freyssinet de la SNCF, c’est le plus gros incubateur du monde pour les start-ups du numérique. François Hollande, président de la République, a posé la première pierre en 2014. Emmanuel Macron inaugure l’établissement le 29 juin 2017.

Devant un parterre d’invités de marque et de jeunes « start-upeurs », il rappelle que la Halle Freyssinet était un grand dépôt ferroviaire et brode sur l’esprit des lieux :  « Ne pensez pas une seule seconde que si demain vous réussissez vos investissements ou votre start-up, la chose est faite. Non, parce que vous aurez appris dans une gare, et une gare, c'est un lieu où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien, parce que c'est un lieu où on passe, parce que c'est un lieu qu'on partage ». Les « gens qui ne sont rien » sont immédiatement isolés du discours et présentés comme une petite phrase.

Y a-t-il préméditation ? C’est douteux : prononcé sans prompteur, le discours d’Emmanuel Macron était très peu structuré ; il paraît largement improvisé. La petite phrase est-elle destinée aux Français ? Non, elle s’adresse explicitement aux dirigeants des start-ups hébergées par la Station F. Lesquels s’imaginent plutôt du côté des « gens qui réussissent » évoqués dans la même phrase.

°°°

Résumons les caractéristiques des quatre petites phrases suspectées d’avoir provoqué le mouvement des Gilets jaunes :


Préméditation
Destinataires immédiats
Orientation principale du passage incriminé
Interprétation dominante de la petite phrase
« Je traverse la rue, je vous trouve du travail »
Non
Un jeune chômeur
Où trouver du travail
Macron prend les chômeurs pour des flemmards
« Des Gaulois réfractaires au changement »
Oui
S.M. la reine Margrethe II
Les qualités du Danemark et des Danois
Macron juge les Français rétrogrades
« On met un pognon de dingue dans les minima sociaux »
Non
Des collaborateurs de l’Élysée
Comment sortir les gens de la pauvreté
Macron voudrait réduire les budgets sociaux
« Des gens qui ne sont rien »
Peut-être
Des créateurs de start-ups
Rien n’est acquis dans la vie
Macron prend les gens de haut

Ainsi, sur quatre « petites phrases assassines à destination des Français », au moins deux ne présentent pas le caractère de préméditation propre à l’assassinat, aucune n’est directement destinée à l’ensemble des Français et aucune ne reflète fidèlement le message du fragment incriminé.

Aujourd’hui, pour retrouver le sens réel de la plupart des formules citées ci-dessus, il faut se replonger dans la presse de l’époque. Seules demeurent dans les mémoires des petites phrases qui témoignent moins de ce que pense Macron que de ce que les Français ou les journalistes pensent qu’il pense.

Cela n’infirme pas du tout l’hypothèse du « bordel par les petites phrases ». Mais cela montre au minimum que le fonctionnement des petites phrases, aspect majeur de la communication politique, est bien plus complexe qu’on ne l’imagine parfois.

Michel Le Séac’h





[i] Mathilde Siraud, « La République en marche se fissure sur les ‘gilets jaunes’ », Le Figaro, 2 décembre 2018.
[ii] François-Bernard Huyghe, Xavier Desmaison et Damien Liccia, Dans la tête des giles jaunes, Paris, V.A. Éditions, 2018, p. 13.
[iii] Raphaël Glucksmann, Claire Nouvian et Thomas Porcher, «Fonder un nouveau pacte fiscal, social et écologique», Le Parisien, 9 décembre 2018, http://www.leparisien.fr/politique/fonder-un-nouveau-pacte-fiscal-social-et-ecologique-l-appel-de-place-publique-09-12-2018-7963845.php.
[iv] Interview de Nathalie Schuck dans un documentaire diffusé par BFM TV le 19 septembre 2019. Voir https://www.programme-tv.net/news/societe/239941-brigitte-macron-furieuse-contre-les-petites-phrases-demmanuel-macron-tes-completement-con-pourquoi-tu-as-dit-ca/.
[v] Arnaud Mercier, « "Gilets jaunes" contre Macron : aux racines de l’incommunication », TheConversation, 3 décembre 2018, https://theconversation.com/gilets-jaunes-contre-emmanuel-macron-aux-racines-de-lincommunication-108048
[vi] https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/video-gilets-jaunes-quand-les-gaulois-refractaires-reprennent-a-leur-compte-les-petites-phrases-d-emmanuel-macron_3085583.html#xtor=AL-67-[video]

29 avril 2019

« L’art d’être Français » : une tentative de méta-petite phrase ?

Emmanuel Macron, devenu chef de l’État sans grande expérience pratique de la communication politique, a tardé à comprendre que les citoyens recherchent dans la parole présidentielle des signes, voire des consignes. S’il ne met pas de petites phrases dans ses interventions, les Français en trouvent quand même. En général, pas celles qu’il aurait voulu.

Sa conférence de presse d’après Grand débat national, le 25 avril 2019, donne l’impression qu’il a intégré cette dimension – y compris dans une mise en scène souvent qualifiée de « gaullienne ». Dans son discours introductif, la presse a presque unanimement remarqué l’expression « l’art d’être Français ». C’était clairement un but recherché puisque le président l’a répétée pas moins de quatre fois dans son discours introductif.

Personne ne l’a qualifiée de « petite phrase » (hormis L’Express, qui y voit aussi une « formule poétique ») ; il lui manquait en tout cas, à ce stade, un contenu implicite largement compris. Cependant, Emmanuel Macron s’est ensuite attaché à lui conférer du sens :

L’art d’être Français c’est à la fois être enraciné et universel, être attaché à notre histoire, nos racines mais embrasser l’avenir, c’est cette capacité à débattre de tout en permanence et c’est, très profondément, décider de ne pas nous adapter au monde qui nous échappe, de ne pas céder à la loi du plus fort mais bien de porter un projet de résistance, d’ambition pour aujourd’hui et pour demain.

La démarche rappelle celle du « Moi président » de François Hollande[1], sans la lourdeur de l’anaphore : il s’agit de faire entrer beaucoup de choses dans quelques mots. C’est la démarche du Credo. On pourrait parler de « méta-petite phrase » : un bouquet de contenus dans une formule concise.

Avec quelles perspectives de mémorisation ? L’élément de répétition est bien là, dans le discours présidentiel, dans la presse, dans les réseaux sociaux. Invitée du Grand débat de France Inter, Sibeth Ndiaye s’est aussi efforcée de faire tourner la formule le lendemain (« à travers ce que le président de la république a employé comme expression, l'art d'être Français, il y a au fond ce qui fonde notre volonté d'être de ce pays, de lui appartenir et de l'aimer »). En revanche, le contenu laisse probablement à désirer. Le Credo, comme d’autres méta-petites phrases qui ont réussi (« I have a dream »[2], « Yes we can »[3]…), exprime une vison homogène, cohérente. Or, comme l’a noté Arnaud Benedetti dans Atlantico, cet art d’être Français-là est « une traduction lexicale de la posture du “en même temps" ».

Ce qui n’a rien d’étonnant : Emmanuel Macron a de la suite dans les idées. Il le déclarait lui-même le 17 avril 2017[4] :

« Je continuerai à utiliser 'en même temps' dans mes phrases mais aussi dans ma pensée, parce que en même temps ça signifie simplement que l'on prend en compte des impératifs qui paraissaient opposés mais dont la conciliation est indispensable au bon fonctionnement d'une société. »

S’il a finalement renoncé à utiliser « en même temps », Emmanuel Macron entend sans doute lui donner un successeur plus sémillant dans sa forme mais tout aussi inaccessible à un cerveau normal dans son fond. « L’art d’être Français » a d’ailleurs provoqué les mêmes sarcasmes en ligne que le « en même temps ». Ses perspectives ne paraissent pas très solides.

Michel Le Séac’h



[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 59.
[2] Idem, p. 115.
[3] Ibidem, p. 121.
[4] Voir « “En même temps" : du tic de langage à la petite phrase chez Emmanuel Macron ? », Phrasitude, 18 mai 2017, http://www.phrasitude.fr/2017/05/en-meme-temps-du-tic-de-langage-la.html

02 avril 2019

Sibeth Ndiaye a du mal avec les petites phrases

Des fois, ce qui va sans dire va mieux en ne le disant pas. Sibeth Ndiaye, nouvelle porte-parole du gouvernement, disait naguère : « j'assume parfaitement de mentir pour protéger le président ». Que la conseillère presse du président de la République soit prête à mentir si c’est utile, nul n’en doute. Il faut juste éviter de le dire.

Sibeth Ndiaye ne nie d’ailleurs pas. Elle assure juste que cette phrase de 2017 a été extraite de son contexte. Elle ne va pas jusqu’à dire : « Non, je ne suis pas prête à mentir pour défendre le président ». Elle laisse d’autres en accepter l’augure. « Je ne doute pas qu'elle n'aura pas la même dimension et la même approche maintenant dans sa responsabilité gouvernementale que celle qu'elle avait au sein d'un cabinet », a déclaré Hughes Renson, vice-président LREM de l’Assemblée nationale.

D’autres défenseurs de Sibeth Ndiaye préfèrent glisser sur cette justification du mensonge pour se focaliser plutôt sur une autre petite phrase fameuse : « la meuf est dead », aurait-elle écrit à un journaliste après la mort de Simone Veil. Certains chasseurs de fake news proclament victorieusement que la phrase est fausse : en réalité, Sibeth Ndiaye a écrit « la meuf est morte ». Comme si avoir écrit « morte » au lieu de « dead » l’excusait d’avoir qualifié Simone Veil de « meuf ».

On rappelle aussi beaucoup ces jours-ci l’épisode du « pognon dingue ». En juin dernier, une petite vidéo d’une réunion de travail à l’Élysée était diffusée sur les réseaux sociaux. « On met un pognon de dingue dans des minima sociaux », y déclarait Emmanuel Macron. De toutes les petites phrases malheureuses du président, celle-ci est sans doute l’une de celles qui ont eu le retentissement le plus large et le plus négatif. Or la vidéo avait été mise en ligne délibérément par Sibeth Ndiaye. Celle-ci l’avait accompagnée du tweet suivant :

« Le Président ? Toujours exigeant. Pas encore satisfait du discours qu’il prononcera demain au congrès de la Mutualité, il nous précise donc le brief ! Au boulot ! »

La vidéo était censée montrer combien Emmanuel Macron est travailleur. De toute évidence, Sibeth Ndiaye n’avait absolument pas compris le danger du « pognon dingue ». Pas plus que celui de la « meuf ». Et elle n’a pas su éviter de nombreuses petites phrases qui ont fait du tort à son patron, ou convaincre la presse que l’important dans ses discours était ailleurs.

Les petites phrases sont un phénomène éminemment culturel. Positive ou négative, leur puissance n’est pas dans leur formulation littérale, elle est dans leur contenu implicite qui renvoie à la culture de leur public. Née à Dakar, Sibeth Ndiaye a été élevée au Sénégal avant de venir faire des études supérieures en France (elle a été naturalisée française en 2016). Il n’est pas impossible que, sur le terrain des petites phrases, sa double culture soit un handicap plus qu’un avantage. Prête à mentir pour protéger le président, il lui arrive de le desservir en disant la vérité ! Elle n'est probablement pas la bonne personne au bon endroit. Se pourrait-il qu'elle soit à la communication d’Emmanuel Macron ce qu’était Alexandre Benalla à sa sécurité ?

Michel Le Séac’h


À propos des petites phrases d’Emmanuel Macron, voir aussi :

A lire :

Michel Le Séac'h, Les Petites phrases d'Emmanuel Macron, 2022

24 juin 2018

Le « pognon dingue » d’Emmanuel Macron : une petite phrase probablement pas délibérée

Journalistes ou politologues, la plupart des commentateurs semblent d’accord sur le « pognon dingue » d’Emmanuel Macron : c’est une petite phrase et elle est délibérée. Dans La Dépêche, Cyril Brioulet évoque ainsi « une petite phrase volontairement filmée et mise en ligne par Sibeth Ndiaye, la conseillère communication d'Emmanuel Macron, et retweetée par le chef de l'État ». On trouve des analyses du même genre dans les médias les plus divers, de Capital à Gala en passant par RTL.

Que la vidéo ait été délibérément mise en ligne, c’est incontestable et revendiqué. Mais qu’elle ait été destinée à diffuser une « petite phrase », et cette petite phrase-là, c’est moins sûr. Qu’a dit en réalité le président de la République ?

[…] on met trop de pognon, on déresponsabilise et on est dans le curatif. Et donc toute notre politique sociale[...], c'est qu'on doit mieux prévenir [...] et on doit mieux responsabiliser tous les acteurs. [...] Prévenir, responsabiliser. [...] La politique sociale, regardez, on met un pognon de dingue dans des minima sociaux, les gens ils sont quand même pauvres, on n'en sort pas, les gens qui naissent pauvres, ils restent pauvres, ceux qui tombent pauvres ils restent pauvres, on doit avoir un truc qui permet aux gens de s'en sortir [...] Il faut prévenir la pauvreté et responsabiliser les gens pour qu'ils sortent de la pauvreté. Et sur la santé c'est pareil [...]

« On met un pognon de dingue dans des minima sociaux » occupe trois secondes, de la 27e à la 30e d’une vidéo de 1 minutes 53 secondes. La formule attire l’attention par son caractère argotique, mais rien ne permet de dire que le chef de l’État ait souhaité qu’on la retienne de préférence à « Prévenir, responsabiliser » ou à « il faut prévenir la pauvreté et responsabiliser les gens ».

Plus de la moitié des commentateurs transforment spontanément « des minima sociaux » en « les minima sociaux ». Sans s’engager dans le vieux débat sur la valeur sémantique respective de l’article défini et de l’article indéfini, on sent bien que la première formule est moins forte que la seconde. De plus, quand d’Emmanuel Macron ajoute « sur la santé c’est pareil », il indique clairement qu’il vise non pas spécifiquement les minima sociaux mais la politique sociale en général.

Par ailleurs, le commentaire de Sibeth Ndiaye accompagnant la vidéo a été maintes fois reproduit mais rarement analysé :

« Le Président ? Toujours exigeant. Pas encore satisfait du discours qu’il prononcera demain au congrès de la Mutualité, il nous précise donc le brief ! Au boulot ! »

Et de fait, la vidéo montre un simple échange d’idées du président de la République avec ses collaborateurs. Faut-il vraiment voir du billard à trois bandes dans sa mise en ligne ? On pourrait très bien prendre au premier degré ce qu’écrit Sibeth Ndiaye : en tant que conseillère communication, elle cherche à répandre l’image d’un président bosseur.

Pourtant, ce n’est guère incontestable, « on met un pognon dingue dans les minima sociaux », souvent résumé par « un pognon dingue », est devenu une petite phrase – une petite phrase abondamment commentée dans les réseaux sociaux et les courriers des lecteurs, et généralement considérée comme négative. Elle l’est devenue non parce qu’Emmanuel Macron l’a prononcée mais parce que les commentateurs l’ont prélevée, elle et pas ses voisines, dans une vidéo d’une séance de travail. Elle avait tous les atouts pour cela, elle était digne d’un « président des riches » et contribue à alimenter cette image, même si ‑ qu’on relise la déclaration ci-dessus ‑ le but explicite d’Emmanuel Macron est que les gens « sortent de la pauvreté ».

Quand un homme politique souhaite qu’une formule soit extraite d’un texte complexe et devienne une petite phrase, la moindre des choses est de la désigner clairement. Cela peut se faire par exemple en la redoublant. Qu’a redoublé Emmanuel Macron ? « Prévenir » et « responsabiliser ». Cela peut se faire aussi par un commentaire annexe. Qu’a signalé Sibeth Ndiaye par son tweet ? Rien de spécifique dans le contenu même de la vidéo. Il est vrai que le système du tweet explicite n’avait pas bien réussi au président de la République à propos de la séparation de l’Église et de l’État… 

Emmanuel Macron a décidément un peu de mal avec la mécanique des petites phrases. Les billets ci-dessous vous proposent quelques retours en arrière :
Paradoxalement, Emmanuel Macron s’en tire mieux quand il met ses pas dans ceux des présidents des États-Unis


"Macron, la politique des petites phrases", titre Causeur à propos
du "pognon dingue". Pourtant, la politique du président de la
République est probablement mieux maîtrisée que ses petites phrases.

Michel Le Séac’h