Si j’ai pu m’inquiéter d’une contradiction
entre deux définitions de la « petite phrase », loin de moi, bien
sûr, l’idée de donner des leçons de français à l’Académie française ! Au
contraire : je dois souligner que, son nouveau site web
en témoigne, la locution « petite phrase » n’est pas rare sous la
plume de ses membres, et même dans leur bouche. Et le plus souvent, cette
petite phrase n’est pas telle que l’Académie la déprécie à l’article
« petit » mais bien telle qu’elle la salue à l’article
« phrase ». Elle est une formule assez puissante pour marquer les
esprits et non une formulation faiblarde.
En voici trois exemples parmi plus de vingt, représentant
des dates et des circonstances très différentes.
- Discours prononcé par Maurice Druon, délégué de l’Académie pour l’inauguration de la rue Georges Duhamel, à Valmondois, le 27 juin 1970 :
Quand une génération
prochaine, de même que la nôtre a redécouvert Tocqueville, redécouvrira en
Georges Duhamel le moraliste et l’observateur des faits sociaux, elle ne
manquera pas de s’arrêter sur cette petite phrase écrite ici, à
Valmondois, en 1930, dans les Scènes de la vie future : « Puisque la
machine existe, pourquoi ne pas tout lui demander ? Qu’elle nous délivre de
tout, même de vivre. » Car le problème capital des temps modernes y était
posé.
- Discours du marquis Robert de Flers, directeur de l’Académie, sur les prix de vertu, le 17 décembre 1925
De génération en génération,
votre influence bienfaisante continue de s’exercer. Votre ombre est donc en
droit de négliger les railleries dont, vivant, on vous a poursuivi. Toutes
celles dont le souvenir pourrait persister encore s’évanouissent devant une petite
phrase de votre testament, une petite phrase si simple et si noble,
qu’à la prononcer nous éprouvons une émotion très pure : « Je demande pardon
aux hommes, avez-vous dit, de ne pas leur avoir fait tout le bien que je
pouvais et que, par conséquent, je devais leur faire. »
- Réponse d’Alexandre-Vincent Pineux-Duval au discours de réception d’Emmanuel Mercier Dupaty, le 10 novembre 1836
Je ne sais comment m’exprimer
sur un sujet si délicat. Que ne puis-je me faire entendre par une petite
phrase bien innocente, bien polie ! Je vais l’essayer. On prétend que
Voltaire, à qui des dames demandaient une histoire de voleurs, la commença
gravement par ces mots : « Il y avait une fois un fermier général ».
Les circonstances spécialement remarquables que sont les
discours de réception des nouveaux académiciens sont aussi l’occasion de
petites phrases : on en trouve chez Marcel
Achard, Philippe
Beaussant, Paul
Bourget, André
Chaumeix, Jean
Cocteau, Robert
de Flers, Auguste-Armand
de La Force, Jacques
Laurent, Jean
d’Ormesson, Jean-Louis
Vaudoyer. On en trouve aussi dans des réponses de François
Mauriac, Marcel
Pagnol, Maurice
Schumann et quelques autres.
Une phrase qui pose le problème capital des temps moderne,
une phrase qui suscite une émotion très pure, une phrase qui résume innocemment
une position sur un sujet délicat… de toute évidence, pour les académiciens une
« petite phrase » n’est pas négligeable.
Michel Le Séac’h
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