13 juillet 2015

Le snowclone, bâton de maréchal de la petite phrase

Le snowclone est devenu quasi clandestinement l’une des figures de style les plus courantes de notre époque. Inutile de le chercher dans les dictionnaires : il n'y est pas. Wikipédia le présente comme « le terme anglais qui désigne une expression ou une phrase connue très souvent parodiée ». C’est un peu court, jeune homme !

On définira mieux le snowclone comme « une figure de style qui consiste à réutiliser une expression ou phrase très connue par mutation d’un ou plusieurs de ses éléments caractéristiques de manière à ce que le sens de l’expression ou phrase d’origine s’applique, au moins métaphoriquement, aux éléments mutés ». Cela paraît compliqué ? Quelques exemples seront plus éloquents !
Le mot snowclone (littéralement « clone de neige ») est apparu voici une dizaine d'années. C'est un sous-produit d'un débat ésotérique entre linguistes sur la diversité du vocabulaire des esquimaux pour désigner la neige. Un chercheur américain, Geoffrey K. Pullum, contestant une affirmation de Franz Boas, a noté en substance que « si les Esquimaux ont N mots pour désigner la neige, alors les X ont Y mots pour désigner Z ». De ce débat est né le mot snowclone pour désigner des formules brèves transformées par le public en phrases-modèles (phrasal templates) à compléter selon les pointillés.


Ce logo créé par Milton Glaser en 1977
fonctionne comme un snowclone : on peut
remplacer NY par n'importe quoi -- Paris,
Mozart, les fraises... -- l'allusion à la
formule d'origine reste claire et son
sens non ambigu.
 
Les Américains s’y sont intéressés davantage que les Français. Le mot lui-même soulève des débats. Pour certains, le snowclone est le modèle sur lequel est construite l’imitation. Pour d’autres, c’est l’imitation elle-même. « L’histoire des snowclones se déroule en deux parties », estime ainsi Arnold Zwicky, professeur de linguistique à Stanford. « Dans la première phase, un modèle fixe s’impose, dans la seconde des variations apparaissent autour du modèle et conduisent quelquefois à un second ancrage, une cristallisation de ces allusions ludiques sous forme de snowclone. »

En tout état de cause, il n’y a snowclone que si la phrase-modèle s’est imposée au point d’être reconnaissable immédiatement dans l’imitation. Ce critère de spontanéité rappelle évidemment la petite phrase : on la reconnaît sans peine. Si l’on entend ses premiers mots, le Système 1 du cerveau* la complète automatiquement. L’apparition d’imitations signale donc que le modèle s’est inscrit dans l’esprit du public. Le snowclone est ainsi la preuve concrète du succès de la petite phrase, son bâton de maréchal**.

Michel Le Séac'h
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* Voir Daniel Kahneman, Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2012, p. 29.
** Voir Michel Le Séac’h, La petite phrase : D'où vient-elle ? Comment se propage-t-elle ? Quelle est sa portée réelle ?, Eyrolles, Paris 2015, p. 135.

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