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20 avril 2019

Notre-Dame des gilets jaunes et le « pognon de dingue »

Une petite phrase est une formule qui marque les esprits. On sait qu’une formule a marqué quand elle est : (1) citée, (2) reprise, (3) détournée, (4) snowclonée. Ces quatre possibilités dénotent un degré d’impact croissant. Le locuteur qui détourne la formule initiale cherche à exploiter un élan acquis. Celui qui en fait un snowclone estime même que ses auditeurs la reconnaîtront sous un déguisement. (Bien entendu, tout n’est pas si simple : si l’on considère la petite phrase comme négative, on évitera une reprise, mais un détournement reste possible.)

Ces piqûres de rappel contribuent elles-mêmes à graver la petite phrase dans les mémoires. Elles sont d’autant plus efficaces qu’elles sont à leur tour citées ou reprises – en raison de leur auteur ou des circonstances.

Le tragique incendie de Notre-Dame de Paris vient d’en fournir une illustration intéressante. Avant même l’extinction des flammes, les promesses de dons pour la restauration ont commencé à affluer. Des grandes fortunes très médiatisées (Bernard Arnault, François Pinault…) ont annoncé des montants à neuf chiffres. Un consensus national était-il en train de se former ? Certains s’en sont aussitôt dissociés, sur le thème : « puisqu’on trouve tant d’argent en quelques minutes pour un monument, on pourrait aisément en trouver pour le social ».

Que cette position soit sincère ou tactique (le milliard promis pour Notre-Dame ne représente pas un dixième des sommes engagées par Emmanuel Macron le 10 décembre 2018 en réponse aux demandes des gilets jaunes), le contexte politique lui était favorable. Et une figure des « gilets jaunes » a trouvé un détournement parfaitement adapté : sur BFM TV, Ingrid Levavasseur a condamné « l'inertie des grands groupes face à la misère sociale alors qu'ils prouvent leur capacité à mobiliser en une seule nuit 'un pognon de dingue' pour Notre-Dame »[1].

Dans ce « pognon de dingue », on a tout de suite reconnu une formule prononcée par Emmanuel Macron en juin 2018 (« on met un pognon de dingue dans les minima sociaux ») dans une vidéo imprudemment mise en ligne par Sibeth Ndiaye. À l’époque, le « pognon de dingue » avait abondamment été qualifié de « petite phrase ». Compte tenu du thème et des circonstances, son détournement par Ingrid Levavasseur a également été très remarqué, y compris hors de France (ci-dessous, copie d’écran partielle de deux journaux belges, L’Écho et L’Avenir).



Michel Le Séac’h



[1] L’extrait de l’entretien avec Ingrid Levavasseur mis en ligne par BFM TV ne reprend pas ce passage.

03 juin 2017

« Make our planet great again » : la petite phrase d’Emmanuel Macron, un snowclone qui tombe à pic

Emmanuel Macron ne s’était pas signalé au cours de sa campagne présidentielle par des petites phrases spécialement remarquables. Certaines sorties auraient même pu lui coûter cher en des circonstances moins favorables. Il vient de rattraper son retard d’un seul coup, le 1er juin 2017, avec une petite phrase… en anglais. En quelques heures « Make our planet great again » a fait le tour de la Terre et a battu le record de partages sur Twitter en France. Dans la foulée, le président de la République s’est même offert une deuxième petite phrase : « Il n'y a pas de plan B car il n'y a pas de planète B ».

Les petites phrases en langue étrangère ne sont pas inconnues en France[i]. Mais, de « Vae Victis » à « Yes we can » et de « No pasaran » à « Ich bin ein Berliner », en général, elles viennent d’ailleurs. Les rares petites phrases en langue étrangère d’hommes politiques français ne sont guère enviables : on songe au « What do you want… » de Jacques Chirac en Israël ou au « The yes needs the no to win » de Jean-Pierre Raffarin. Emmanuel Macron n’est décidément pas un homme politique ordinaire…

La force de « Make our planet great again » n’est cependant pas dans sa signification, ni dans l’identité de son auteur : elle est dans son origine et dans le choix du moment. Il s’agit d’un « snowclone », un détournement d’une formule très connue préexistante. Et quelle formule ! le slogan de Donald Trump au cours de sa campagne présidentielle victorieuse de l’an dernier, « Make American great again ». Jeudi dernier, alors que le président américain venait d’annoncer son intention de sortir de l’Accord de Paris sur le climat, le président français a repris la balle au bond en réutilisant ses propres paroles, le soir même, dans une déclaration solennelle.

Les trois bonnes fées de la communication s’étaient donc penchées sur le berceau de cette petite phrase :
  • Au niveau du contenu, elle prenait appui sur un texte déjà très connu.
  • Au niveau du contexte, elle portait sur un sujet d’intérêt brûlant pour la presse internationale, commenté par un responsable de premier plan
  • Au niveau de la culture, elle exploitait la défaveur de Donald Trump dans une grande partie de l’opinion française, américaine et mondiale.
La presse française a largement salué ce qu’elle a parfois appelé une « punchline » ou un « coup de com » « mais pas un coup improvisé », a souligné Christophe Barbier sur BFM TV, qui estime que la formule était mijotée depuis plusieurs jours. Et en effet, si la mise en scène était impeccable, le texte n’était pas très original. En réalité, le slogan de Donald Trump (qui a pris soin de le déposer, alors qu’il avait déjà été utilisé par Ronald Reagan sous la forme « Let’s make America great again ») a fait l’objet de nombreux détournements.

« Make Europe great again » a été largement utilisé au cours de la campagne électorale allemande par les partisans de Martin Schulz. Plaisantins et opportunistes ont imaginé, entre autres, « Make coal great again », « Make gin great again », « Make emoji great again », « Make the Internet great again » et même « Make periods great again », nom d’un site web créé par le fabricant de tampons hygiéniques Lola ! « Make Earth great again » est devenu le titre d’un web-sermon du pasteur James Hein et d’une affiche mettant en scène Donald Trump et Vladimir Poutine. Ainsi était-il amplement démontré que « Make America great again » était propice aux recyclages. Encore fallait-il saisir la bonne occasion, ce qu’Emmanuel Macron a remarquablement réussi.

Google Trends révèle un courant de recherches antérieur au 1er juin 2017 sur
des phrases comme "Make our planet great again" ou "Make the world great again"


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[i] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 113 et s.

07 décembre 2016

Ségolène Royal, de la « bravitude » à la « castritude »

« Les Cubains se sont inspirés de la Révolution française sans pour autant connaître la Terreur » : si elle avait été prononcée par Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères, cette déclaration aurait probablement été reçue dans l’indifférence habituelle. On y aurait vu un de ces hommages forcés qu’il est usuel de prononcer aux funérailles des grands de ce monde, en l'occurrence celles de Fidel Castro. Au pire, un effet du décalage horaire.

Pour Ségolène Royal, au contraire, aucune mansuétude, tout de suite un soupçon de turpitude, si ce n’est de « cruchitude », comme elle dit elle-même, depuis ce jour funeste de janvier 2007 où,  frigorifiée au pied de la Grande muraille de Chine, elle déclara face aux caméras : « Comme le disent les Chinois : qui n’est pas venu sur la Grande muraille n’est pas un brave, et qui vient sur la Grande muraille conquiert la bravitude »[1].

Ce lapsus était né sous des auspices favorables : Ségolène Royal était alors candidate à l’élection présidentielle de 2007. Selon un sondage, elle était même en passe de la remporter avec 50,5 % des voix au second tour. Ses faits et gestes étaient donc observés avec attention. Pire : au lieu de se placer du côté des rieurs, son entourage a tenté d’expliquer sa « bravitude » comme un néologisme signifiant « plénitude d’un sentiment de bravoure ». Les moqueries ont évidemment redoublé, relayées par des réseaux sociaux en plein essor. L’avenir présidentiel de Ségolène Royal s’en est trouvé instantanément compromis.

Depuis lors, la « bravitude » poursuit la ministre de l’Environnement. C’est devenu une petite phrase en un seul mot : sous des dehors anodins, elle a incontestablement marqué les esprits. C’est même devenu un « snowclone » : le suffixe « tude » suffit à l’invoquer. On a parlé de ridiculitude, de ségolénitude… (et ce blog est intitulé Phrasitude). Les petites phrases se nourrissent de la répétition : chaque position contestée de Ségolène Royal lui vaut une réactivation de cette « bravitude » qui signifie implicitement quelque chose comme « Ségolène dit n’importe quoi ».  Sa déclaration du 3 décembre à Santiago de Cuba a relancé la mécanique. « Castritude » a titré Le Figaro en Une lundi dernier : d’un mot, tout était dit, le reste de l’éditorial était superflu. Depuis lors, le mot roule aux quatre coins de l’internet.

On compare souvent les petites phrases auto-dommageables au sparadrap du capitaine Haddock. Dans certains cas, c’est très au-dessous de la vérité.

Michel Le Séac’h


[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 85.

Photo : Ségolène Royal à la COP21, Flickr, domaine public

02 septembre 2016

Petites phrases et politique-fiction : Philippulus fait parler les présidentiables

Les petites phrases ont leur place dans la politique-fiction. Tout au long du mois d’août, Philippulus a imaginé dans Le Figaro les premiers jours du prochain président de la République. En plusieurs versions, selon l’identité de l’élu de 2017. L’auteur n’en est pas à son coup d’essai. Il connaît sur le bout du doigt les milieux politiques. Il sait que les petites phrases sont un excellent moyen de renvoyer succinctement à une situation de référence à l’instar d’une image, une petite phrase vaut mille mots. Et ses spéculations présidentielles sont truffées de petites phrases, à commencer par le titre même de la série, « Eux présidents », dans lequel chacun reconnaît le « snowclone » d’une fameuse anaphore de François Hollande.

Au moins une autre forme de snowclone apparaît dans « Eux présidents ». Dominique de Villepin, usant d’un suffixe célèbre[1], écrit au nouveau président : « si le divin Arthur était toujours parmi nous, il écrirait que toute cela est époustouflantesque ! » Nommée premier ministre, Valérie Pécresse invoque une réplique culte d’un film de Michel Audiard : « on va leur faire comprendre qui c’est, Raoul ! ».

Car Philippulus ne fait pas toujours dans la dentelle. Dès son premier scénario, celui de l’élection de Marine Le Pen, il rappelle la « forte phrase » de Jacques Chirac à propos de Margaret Thatcher : « Qu’est-ce qu’elle veut encore, cette ménagère, mes couilles sur un plateau ? ». Une fois élu, son Bruno Le Maire invoque des formules gaullistes : « Le quarteron. Le ‘Hélas, Hélas, Hélas !’, puis le ‘J’ai besoin de vous’. » Bernard Cazeneuve festoyant à La Lanterne avec Valls à peine élu, cite Mitterrand : « Le centre n’est ni de gauche… ni de gauche ! »

Évidemment, Philippulus ne se contente pas de citations. Imaginant les déclarations à venir du personnel politique, il s’en donne à cœur joie. Quelques exemples :
  • Jean-Louis Borloo : « les bourgeois bohèmes sont au mieux des niais, au pire de sinistres cons ».
  • Montebourg : « mon ennemi a un visage et il porte des lunettes. Mon ennemi, c’est François Hollande ».
  • Valls : « Allons-y pour le grand charivari ! »
  • Bruno Le Maire : « Nicolas qui, dites-vous ? »
Et François Hollande ? Philippulus ne paraît pas le tenir pas en haute estime. À défaut de petite phrase, il lui attribue une « petite blague », ce qui n’est pas du tout la même chose, adressée à un Montebourg élu : « Toi qui n’aimes pas les Allemands, j’espère que tu ne vas pas bombarder Berlin ». Il le fait s’auto-caricaturer, aussi, dans un discours de non-candidature « en se lançant dans une interminable anaphore qui le vit répéter vingt-cinq fois ‘Moi plus président…’ ». Certes, quand le président battu doit laisser sa place à Marine Le Pen, il demande à son « amie de cœur » : « penses-tu que je doive préparer une phrase historique pour bien marquer l'énormité du moment ? ». Mais cette question ne vient qu’en second, après « À ton avis, comment dois-je m'habiller ? »



[1] Voir « Abracadabrantesque » in Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles 2015.