Donald Trump, le 8 août, promet à la Corée du Nord
des représailles terribles au cas où elle continuerait à menacer les
États-Unis. Aussitôt, le thème de la « ligne rouge » resurgit.
« Trump vient de fixer sa propre ‘ligne rouge’ infranchissable – et la
Corée du Nord l’a franchie instantanément », titre
NBC News. Les guillemets à « ligne rouge » peuvent donner
l’impression que l’expression est de Donald Trump. Elle renvoie en fait à son
prédécesseur à la Maison Blanche[1].
Voici presque exactement cinq ans, le 20 août 2012, Barack
Obama déclare à propos de la guerre civile en Syrie : « Une ligne
rouge serait franchie si nous constations le déplacement ou l’utilisation d’une
certaine quantité d’armes chimiques ». Cette petite phrase – une
formule brève, détachable, relativement anodine mais pleine de sous-entendus
menaçants – s’adresse-t-elle vraiment aux belligérants ? En tout cas, elle
frappe l’opinion américaine. Très souvent condensée dans son élément le plus
significatif (« red line »), elle véhicule l’image d’un chef
d’État énergique et déterminé.
Un an plus tard exactement, des armes chimiques sont
effectivement utilisées en Syrie. Barack Obama accuse formellement le
gouvernement de Bachar el Assad. La ligne rouge est donc franchie. So what?
Barack Obama ne prend pas les décisions radicales que sa « ligne
rouge » semblait annoncer. Son image en est aussitôt affectée. Il
tente de recadrer ses propos de 2012, affirmant qu’il n’a fait que résumer la
position de la communauté internationale à l’époque (« I
didn’t set a red line. The world set a red line »).
Mais si la « red line » de 2012 était une
erreur, celle de 2013 est une faute. On ne se débarrasse pas aussi facilement
d’une petite phrase : une fois qu’elle a marqué l’opinion, il appartient à
cette dernière de l’oublier ou pas. Or toute nouvelle mention tend à la rendre
moins oubliable… La ligne rouge de Barack Obama a un côté sparadrap du
capitaine Haddock : elle colle à son image. Et désormais, son sens s’est
inversé : au lieu d’un président énergique, elle signale un président
faible. De nombreux commentateurs, comme le
professeur David Rothkopf, ont analysé la perte de crédibilité qu’Obama
s’était ainsi auto-infligée.
Donald Trump n’a pas qualifié de « red line »
son avertissement à la Corée. Certains commentateurs le font pour lui[2].
Pour le mettre en valeur par rapport à son prédécesseur ? Ou plutôt pour
le pousser dans le même corner ? Cette
petite phrase en deux mots, pourrait alors signifier quelque chose comme :
« Barack Obama était peut-être un président inconséquent, mais Donald
Trump ne vaut pas mieux ». Cette ligne n’est d’ailleurs pas réservée aux
partisans de Barack Obama : on la retrouve aussi dans
la bouche de Lindsey Graham, sénateur républicain de Caroline du Sud et candidat
malheureux à la candidature présidentielle face à Donald Trump.
Michel Le Séac'h
[1] Voir Michel
Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles 2015, p. 142.
[2] Ce n’est pas
la première fois. L’expression « red line » a déjà été
appliquée à des déclarations ou des décisions de Donald Trump à propos de la Syrie.
Photo [cc] Gage Skidmore via Wikipedia Commons
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