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17 janvier 2022

Jean-Luc Mélenchon n'a pas inventé les petites phrases olfactives

Jeudi, Jean-Luc Mélenchon s’abaisse à traiter le ministre de l’Éducation de « crétin utile » et néanmoins « bon à rien » ‑ une « petite phrase qui fait mal », note RTL. Dimanche, il s’élève à des hauteurs insurpassables avec un meeting-spectacle « immersif et olfactif » articulé autour de l’espace, l’électronique et la mer. Avant l’élection présidentielle de 2017, il avait déjà joué de la technologie en se multipliant grâce à des hologrammes.

Pour le meeting de Nantes, la nouveauté n’était pas vraiment dans les 200 mètres d’écrans et les seize vidéoprojecteurs installés pour entourer la salle de visuels à 360 degrés – les salles de cinéma organisés sur ce principe ne manquent pas. Plus original était l’aspect « olfactif » : la diffusion de parfums d’ambiance correspondant aux différents passages du discours. Hélas, raconte Ouest-France, les effets olfactifs sont « totalement imperceptibles à cause du masque FFP2 distribué à l’entrée ». Avec ou sans le virus, l’anosmie restera caractéristique de la pandémie.

Dommage : si les odeurs de l’électronique et de la mer sont assez familières, on était curieux de connaître celle de l’espace. Le vide sidéral a-t-il donc une odeur ? Oui, à en croire l’astronaute Tim Peake[1], qui affirme l’avoir senti plusieurs fois à l’occasion de sorties spatiales. Entre collègues, « on parle de steak trop cuit, de métal chaud, de fumées de soudure et de barbecue », raconte-t-il.

Neuwagengeruch, l’anti-nauséabond

Il y a une parenté entre les odeurs et les petites phrases : les unes et les autres mettent en jeu des mécanismes cognitifs étrangers au raisonnement logique. Les senteurs ont une place depuis des décennies dans la panoplie du marketing. Justement, un mois avant la visite de Jean-Luc Mélenchon, l’office de tourisme de Nantes a lancé son propre parfum, à l’imitation d’un grand nombre de villes. Et le plus vieux métier du monde sait depuis des millénaires que quelques gouttes de sent-bon aident à attirer le client.

Mais les odeurs en politique ? Les métaphores olfactives et gustatives abondent dans le vocabulaire politique. « Nauséabond » désigne classiquement des partis ou des hommes infréquentables. « Les larmes de nos souverains ont le goût salé de la mer qu’ils ont ignorée », disait Richelieu, cité par Jean-Luc Mélenchon. Lequel dénonçait naguère « l’odeur du micmac politicien ». Jacques Chirac a beaucoup ramé pour faire oublier « le bruit et l’odeur ». Il semble en revanche qu’Emmanuel Macron ignore l'olfactif.

Le marketing politique pourrait-il aller jusqu’à proposer des « slogans olfactifs » ou des « petites phrases odorantes » ? Il le fait déjà. Un parfumeur italien, La Via del profumo, propose ses services aux candidats. En 2018, le parti libéral allemand FDP a fait campagne en Bavière avec pour slogan « Frisches Bayern » (« une Bavière fraîche ») et pour parfum d’ambiance une odeur de voiture neuve (« Neuwagengeruch »), parce que ce qui sent bon est forcément bon ! Cette senteur artificielle est couramment utilisée par les vendeurs de voitures d’occasion. En 2010, Carl Paladino, candidat républicain au poste de gouverneur de l’État de New York, proclamait : « Something STINKS in Albany » (« Quelque chose PUE à Albany »). Ses tracts étaient imprégnés d’une odeur de poubelle. Il avait été largement battu.

M.L.S

Illustration : copie partielle d'une page Facebook du FDP/Frisches Bayern

[1] Tim Peake, Y a-t-il du wi-fi dans l’espace ? et autres questions auxquelles seul un astronaute peut répondre, Paris, Alisio, 2019.

17 février 2017

Les petites phrases d’Emmanuel Macron : en marche avant ou en marche arrière ?

« Emmanuel Macron qualifie la colonisation de crime contre l’humanité » : à diverses variantes près, on a pu lire ce titre dans Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Express, L’Obs, la plupart des quotidiens régionaux, et d’autres encore. Puis, le lendemain ou le surlendemain, dans une grande partie des mêmes : « Pour Emmanuel Macron, on a humilié les opposants au mariage pour tous ».

Deux petites phrases adressées par un candidat à des publics radicalement différents ? On pense aux méthodes mises en œuvre par le marketing politique américain depuis l’élection présidentielle de 1996 : face à un électorat éclaté aux valeurs disparates, il faut s’adresser tour à tour à chacune de ses « microtendances ». C’est du moins ce qu’a expliqué le publicitaire Mark Penn, inventeur du concept auprès du président Clinton[1]. Emmanuel Macron aurait-il tapé un coup subliminal à gauche puis un coup subliminal à droite ?

Certainement pas. Dans le premier cas, en visite à Alger, l’ancien ministre de l’Économie cherchait de toute évidence à se racheter d’une déclaration précédente, au Point, l’automne dernier : « en Algérie, il y a eu la torture, mais aussi l’émergence d’un État, de richesses, de classes moyennes. Il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie ». Ce relativisme lui avait été reproché. Et voici ce qu’il a déclaré cette semaine à la chaîne de télévision algérienne Echorouk News : « Je pense qu'il est inadmissible de faire la glorification de la colonisation. Certain ont voulu faire cela en France, il y a dix ans. Jamais vous ne m’entendrez tenir ce genre de propos. J’ai toujours condamné la colonisation comme un acte de barbarie. La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime contre l’humanité. » C’était une tentative « diplomatique » et non un message à l’électorat français.

Rectifier le tir ? On n’arrête pas une flèche partie

Hélas pour Emmanuel Macron, l’électorat français l’écoute. Et plus encore ses concurrents à l’élection présidentielle. Qu’elle ait amadoué ou pas les officiels algériens, sa déclaration, reformulée et simplifiée (« la colonisation est un crime contre l’humanité ») a été abondamment répétée, surtout par ses adversaires, et donc mémorisée à un certain degré par le public. Elle est devenue une petite phrase à part entière, et sa signification implicite est quelque chose du genre : « Emmanuel Macron fait des déclarations scandaleuses ».

Et voilà le candidat obligé (ou qui se croit obligé) de rectifier le tir une fois de plus dans une vidéo diffusée par les réseaux sociaux pour dénoncer « une instrumentalisation de ses propos », ce qui a surtout pour effet de les répéter une fois de plus, donc de favoriser davantage encore leur mémorisation… On n’arrête pas une flèche tirée, on ne peut qu’en tirer une autre.

C’est sans aucun doute par malchance, et non par calcul, qu’est paru dans L’Obs le surlendemain un entretien au cours duquel Emmanuel Macron déclarait : « Une des erreurs fondamentales de ce quinquennat a été d’ignorer une partie du pays qui a de bonnes raisons de vivre dans le ressentiment et les passions tristes. C’est ce qui s’est passé avec le mariage pour tous, où on a humilié cette France-là. Il ne faut jamais humilier, il faut parler, il faut "partager" des désaccords. » Là encore, l’ancien ministre cherchait probablement à se faire pardonner une visite précédente à Philippe de Villiers au Puy-du-Fou. Et le résultat est du même ordre : simplification (« on a humilié les adversaires du mariage pour tous »), répétition, mémorisation et signification implicite du genre : « Emmanuel Macron fait des déclarations scandaleuses ».

Le spectre de la bravitude

Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron est victime de petites phrases involontaires. Et qu’il se montre incapable de concevoir et de mettre en valeur des formules qui seront répétées et mémorisées à son avantage. Il aura intérêt à y veiller. L’électorat a besoin de formules concises qui résument ce qu’il croit savoir de la personnalité d’un candidat (osera-t-on l’expression « roman macronal » ?). Si on ne lui en donne pas, il en trouvera. Emmanuel Macron se trouve ainsi exposé à une mésaventure analogue à la « bravitude » de Ségolène Royal en 2007[2].

Et ce n’est sûrement pas en revenant sur ses interventions antérieures qu’il l'évitera. Les petites phrases n’ignorent pas le passé mais ne sont pas rétrospectives. En tant qu’heuristiques, elles guident une réaction présente ou future, elles ne disent pas ce qu’il aurait fallu faire ou penser hier[3]. En marche ! d’accord, mais pas en marche arrière.

Michel Le Séac’h

Illustration : capture partielle d’écran d'une vidéo explicative mise en ligne par Emmanuel Macron



[1] Voir Mark Penn, avec Kinney Zalesne, Microtrends – The  Small Forces Behind Todays’s Big Changes, New York, Twelve, 2007.
[2] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 85-86.
[3] Idem, p. 225-226.