17 février 2017

Les petites phrases d’Emmanuel Macron : en marche avant ou en marche arrière ?

« Emmanuel Macron qualifie la colonisation de crime contre l’humanité » : à diverses variantes près, on a pu lire ce titre dans Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Express, L’Obs, la plupart des quotidiens régionaux, et d’autres encore. Puis, le lendemain ou le surlendemain, dans une grande partie des mêmes : « Pour Emmanuel Macron, on a humilié les opposants au mariage pour tous ».

Deux petites phrases adressées par un candidat à des publics radicalement différents ? On pense aux méthodes mises en œuvre par le marketing politique américain depuis l’élection présidentielle de 1996 : face à un électorat éclaté aux valeurs disparates, il faut s’adresser tour à tour à chacune de ses « microtendances ». C’est du moins ce qu’a expliqué le publicitaire Mark Penn, inventeur du concept auprès du président Clinton[1]. Emmanuel Macron aurait-il tapé un coup subliminal à gauche puis un coup subliminal à droite ?

Certainement pas. Dans le premier cas, en visite à Alger, l’ancien ministre de l’Économie cherchait de toute évidence à se racheter d’une déclaration précédente, au Point, l’automne dernier : « en Algérie, il y a eu la torture, mais aussi l’émergence d’un État, de richesses, de classes moyennes. Il y a eu des éléments de civilisation et des éléments de barbarie ». Ce relativisme lui avait été reproché. Et voici ce qu’il a déclaré cette semaine à la chaîne de télévision algérienne Echorouk News : « Je pense qu'il est inadmissible de faire la glorification de la colonisation. Certain ont voulu faire cela en France, il y a dix ans. Jamais vous ne m’entendrez tenir ce genre de propos. J’ai toujours condamné la colonisation comme un acte de barbarie. La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime contre l’humanité. » C’était une tentative « diplomatique » et non un message à l’électorat français.

Rectifier le tir ? On n’arrête pas une flèche partie

Hélas pour Emmanuel Macron, l’électorat français l’écoute. Et plus encore ses concurrents à l’élection présidentielle. Qu’elle ait amadoué ou pas les officiels algériens, sa déclaration, reformulée et simplifiée (« la colonisation est un crime contre l’humanité ») a été abondamment répétée, surtout par ses adversaires, et donc mémorisée à un certain degré par le public. Elle est devenue une petite phrase à part entière, et sa signification implicite est quelque chose du genre : « Emmanuel Macron fait des déclarations scandaleuses ».

Et voilà le candidat obligé (ou qui se croit obligé) de rectifier le tir une fois de plus dans une vidéo diffusée par les réseaux sociaux pour dénoncer « une instrumentalisation de ses propos », ce qui a surtout pour effet de les répéter une fois de plus, donc de favoriser davantage encore leur mémorisation… On n’arrête pas une flèche tirée, on ne peut qu’en tirer une autre.

C’est sans aucun doute par malchance, et non par calcul, qu’est paru dans L’Obs le surlendemain un entretien au cours duquel Emmanuel Macron déclarait : « Une des erreurs fondamentales de ce quinquennat a été d’ignorer une partie du pays qui a de bonnes raisons de vivre dans le ressentiment et les passions tristes. C’est ce qui s’est passé avec le mariage pour tous, où on a humilié cette France-là. Il ne faut jamais humilier, il faut parler, il faut "partager" des désaccords. » Là encore, l’ancien ministre cherchait probablement à se faire pardonner une visite précédente à Philippe de Villiers au Puy-du-Fou. Et le résultat est du même ordre : simplification (« on a humilié les adversaires du mariage pour tous »), répétition, mémorisation et signification implicite du genre : « Emmanuel Macron fait des déclarations scandaleuses ».

Le spectre de la bravitude

Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron est victime de petites phrases involontaires. Et qu’il se montre incapable de concevoir et de mettre en valeur des formules qui seront répétées et mémorisées à son avantage. Il aura intérêt à y veiller. L’électorat a besoin de formules concises qui résument ce qu’il croit savoir de la personnalité d’un candidat (osera-t-on l’expression « roman macronal » ?). Si on ne lui en donne pas, il en trouvera. Emmanuel Macron se trouve ainsi exposé à une mésaventure analogue à la « bravitude » de Ségolène Royal en 2007[2].

Et ce n’est sûrement pas en revenant sur ses interventions antérieures qu’il l'évitera. Les petites phrases n’ignorent pas le passé mais ne sont pas rétrospectives. En tant qu’heuristiques, elles guident une réaction présente ou future, elles ne disent pas ce qu’il aurait fallu faire ou penser hier[3]. En marche ! d’accord, mais pas en marche arrière.

Michel Le Séac’h

Illustration : capture partielle d’écran d'une vidéo explicative mise en ligne par Emmanuel Macron



[1] Voir Mark Penn, avec Kinney Zalesne, Microtrends – The  Small Forces Behind Todays’s Big Changes, New York, Twelve, 2007.
[2] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 85-86.
[3] Idem, p. 225-226.

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