Le destin d’une petite phrase n’est jamais écrit d’avance.
François Fillon vient d’en faire la fâcheuse expérience.
L’ancien premier ministre n’avait jamais été réputé pour ses
esclandres, à de rares exceptions près. Sa déclaration du 28 août 2016 a donc surpris à cause de ce passage :
« Ceux qui briguent la confiance des Français doivent en être dignes.
Ceux qui ne respectent pas les lois de la République ne devraient pas pouvoir
se présenter devant les électeurs. Il ne sert à rien de parler d'autorité quand
on n'est pas soi-même irréprochable. Qui imagine un seul instant le général de
Gaulle mis en examen ? »
Une petite phrase qui porte est rarement interrogative[1]. Mais ici, la question était purement rhétorique. Et personne ne l’avait prise
au premier degré. Les commentateurs avaient aussitôt estimé qu’elle constituait
une agression délibérée contre Nicolas Sarkozy, mis en examen dans deux affaires et que François Fillon allait affronter lors des primaires des Républicains
pour la présidentielle.
Dans la presse et les médias sociaux, le passage s’était
vite resserré autour du groupe de mots le plus fort : « général de
Gaulle ». « Qui imagine le général de Gaulle mis en
examen ? » était presque instantanément devenu l’une des
premières petites phrases de la campagne présidentielle de 2017. « L’ancien
Premier ministre est parvenu à signer la petite phrase qui a le plus fait
parler d’elle : ‘ Qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en
examen ?’ », estimait Louis Hausalter dans Marianne.
(Selon un phénomène de simplification habituel, « un seul
instant », qui n’apporte pas d’information spécifique, disparaît des
citations à peu près deux fois sur trois.)
Il est probable que
cette petite phrase, quand elle avait été retenue, avait pris des
significations implicites différentes pour des publics différents :
- « Nicolas Sarkozy n’est pas un candidat acceptable » pour une partie des électeurs de droite.
- « François Fillon est irréprochable comme le général de Gaulle » pour une autre partie de l’électorat, probablement plus large.
- « François Fillon est un homme d’une agressivité condamnable » pour les cadres des Républicains (selon une dépêche AFP reprise notamment par L’Express et Le Nouvel Obs, MM. Larcher et Retailleau « reprochent à Fillon sa phrase assassine »).
Étant donné son retentissement médiatique à l’époque, il
n’est guère envisageable que la déclaration du 28 août ait été sans effet sur
l’électorat. Il est vrai que, dans l’immédiat, les sondages n’ont pas montré
d’évolution en faveur de François Fillon pour la primaire de la droite.
Pourtant, sa campagne commencée sur des intentions de vote décevantes a vite
tourné à la marche triomphale. Un effet boule de neige amorcé par sa petite
phrase ? Les enquêtes ne permettent pas de l’affirmer, mais l’hypothèse ne
peut être écartée. Comme l’a souligné
Emmanuel Voguet, la victoire de l’ancien premier ministre à la primaire a
été une « victoire de la réputation sur la communication ».
Hélas, l’affaire Pénélope Fillon est venue troubler le jeu.
La formule du mois d’août dernier est réapparue en force (Google en répertorie
à peu moitié autant d’occurrences depuis la parution du Canard enchaîné
le 25 janvier que dans les deux semaines qui ont suivi le 25 août), et elle ne
cadre pas du tout avec la réputation victorieuse. Comment le cerveau de l'électeur peut-il
s’accommoder de cette dissonance ? Il ne peut pas. Ou plutôt, il ne le
peut qu’en réévaluant le sens implicite de la petite phrase :
- « François Fillon est un hypocrite ».
Et tel est bien le sens d’une grande partie des commentaires
qui circulent depuis une douzaine de jours sur les réseaux sociaux. Manuel
Valls, qui sait ce que petite phrase veut dire, l’a bien saisi avec sa formule
miroir : « Vous imaginez le général de Gaulle employer tante
Yvonne à l'Elysée ? » Nicolas Sarkozy, à
en croire Europe 1, renchérit en petit comité : « Et il dit
quoi, le général, là ? ». (On note dans les deux cas la forme
interrogative, qui souligne le parallélisme avec la phrase d’origine.)
Sans l’affichage implicite de sa probité, la faute commise
par François Fillon en rémunérant son épouse aurait probablement été beaucoup
moins grave pour sa campagne politique (après tout, il est loin d’être seul
dans son cas et le comportement de François Mitterrand en son temps avait été
autrement plus critiquable). Sa petite phrase du mois d’août, revenant comme un
boomerang, a réduit en miettes la précieuse réputation qu’il avait réussi à
construire. Quel gâchis !
Sa campagne n’est pas condamnée pour autant. L’opinion est
volatile. Mais comme la petite phrase y laissera longtemps une rémanence,
François Fillon devra se reconstruire une réputation différente. Faire oublier
l’épisode ? Inutile d’y songer ! En revanche, il devrait chercher à
l’intégrer dans son nouveau personnage. Dur métier.
Michel Le Séac’h
Photo de François Fillon : archives
du gouvernement russe
[1] Voir Michel
Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 244.