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10 avril 2017

« On n’a pas d’immunité ouvrière » : la « punchline » de Philippe Poutou

S’il est resté une petite phrase du débat télévisé du 4 avril entre les onze candidats à la présidentielle, c’est bien sûr la sortie de Philippe Poutou : « nous, on n’a pas d’immunité ouvrière ». Largement répercutée sur les médias sociaux, elle a même été remarquée à l’étranger. « Le ‘pas d’immunité ouvrière’ de Poutou marque le non-débat des onze », a titré la Tribune de Genève.

Les petites phrases sont relayées par la presse en fonction de leur contexte – dont l’importance respective des candidats est un élément. Un « petit » candidat comme Philippe Poutou a moins de chances qu’un « grand » de faire de gros titres. Cependant, le contexte d’un débat tendait à égaliser les conditions. Surtout, Philippe Poutou répondait ici à Marine Le Pen. Il a en quelque sorte bénéficié du statut de celle-ci. Si la formule est passée du statut de petite phrase émise à celui de petite phrase transmise, elle le doit moins à son auteur qu’à sa destinataire :
Marine Le Pen ‑ C’coup-là vous êtes pour la police !
Philippe Poutou ‑ Ouais, quand nous on est convoqué par la police, nous, vous voyez, par exemple, on n'a pas d'immunité ouvrière, on y va.

Les petites phrases les plus efficaces sont rarement négatives[1]. Mais celle-ci l’est-elle vraiment ? En réalité, son objet n’est pas de constater l’absence d’une hypothétique immunité ouvrière. Elle ne contient aucune information spécifique ; le « on y va » a rarement été repris. Elle n’a même pas suscité beaucoup d’interrogations sur la notion d’immunité parlementaire. Le graphique Google Trend ci-dessous est éloquent : peu d’internautes ont cherché à en savoir plus après le débat ; ils avaient été sept fois plus nombreux à faire une recherche sur « immunité parlementaire » un mois auparavant quand le Parlement européen avait en partie levé l’immunité de Marine Le Pen.

Clairement, la force de cette petite phrase est qu’elle signifie : « deux poids, deux mesures ». Elle doit sa puissance au rejet de la classe politique. Ce n’est pas une revendication ouvrière mais une manifestation d’antiparlementarisme. Si elle a atteint le stade ultime de petite phrase admise, c’est parce qu’elle a trouvé aisément sa place parmi des opinions préexistantes.

Punchline et petite phrase

La formule de Philippe Poutou répond parfaitement à la définition de la petite phrase par l’Académie française, c’est une « formule concise qui sous des dehors anodins vise à marquer les esprits ». Mais les médias sociaux et une partie de la presse l’ont souvent qualifiée de « punchline ». Le détail n’est pas innocent. Le mot anglais « punchline » (initialement « punch line ») désigne la chute d’une histoire drôle. Le titre du film Punchline de David Seltzer (1988) a été logiquement traduit en français par Le Mot de la fin.

Plus récemment, le mot « punchline » a été popularisé par les amateurs de rap. « Aujourd'hui tous les rappeurs manient les "punchlines" (les chutes) avec brio », écrit l’un d’eux[2]. « Nous buvions punchline, dormions punchline et rappions punchline. Pourquoi ? Parce qu'une punchline est ce qui reste une fois le morceau terminé et digéré. » De fait, les journaux qui ont titré sur le mot ne relèvent généralement pas de la presse politique mais plutôt de la presse du spectacle ou « people » :
  • « Philippe Poutou et ses punchlines au Grand Débat » ‑ Closer
  • « La meilleure punchline du grand débat est signée Philippe Poutou » – Vanity Fair
  • « Le top 10 des « punchlines » et coups bas du Grand Débat présidentiel » ‑ Gala
Même Le Figaro a noté cette parenté avec le rap dans un article intitulé « Poutou, il va plus vite qu'Eminem dans les punchlines! » (pour mémoire, Eminem est probablement le rappeur le plus connu au monde). La parenté entre petite phrase et punchline est évidente : on vient de le voir, si la première « vise à marquer les esprits », la seconde est « ce qui reste une fois le morceau terminé ». Mais l’emploi préférentiel du mot « punchline » pourrait bien être un symptôme de l’évolution (de la dérive ?) de la politique vers le spectacle, du débat vers le « battle ».

Michel Le Séac’h

Illustration : Philippe Poutou en meeting à Toulouse e 2012 par Pierre-Selim, via Wikipedia, licence CC BY 3.0



[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 223-224.
[2] Passi et Steeve Balende, Explication de textes, Paris, Éditions Fejtaine, 2013.

01 janvier 2016

Petites phrases de Xi Jinping sur un air de rap

Afin de fêter les deux ans de leur Groupe de direction central pour l’approfondissement général des réformes, les autorités chinoises viennent de diffuser sur le site web de la télévision chinoise CCTV un court dessin animé où des messages anti-corruption sont scandés sur un air de rap.

Le président chinoix Xi Jinping y fait de courtes apparition sous forme d’un portrait de style BD accompagné de ses petites phrases les plus emblématiques de la lutte contre la corruption. Leur tonalité les place quelque part entre pensées de Mao et préceptes de Sun Tzu : « Toute corruption doit être punie, tout responsable corrompu doit être poursuivi », « Que les désirs du peuple deviennent notre action », « Une fois tirée par un arc, une flèche ne revient pas », « Brandissez haut le sabre du combat contre la corruption »

Surprenante à première vue, cette vidéo est représentative, disent les experts, des nouvelles orientations imposées par Xi Jiping, arrivé au pouvoir en 2013 – la lutte contre la corruption mais aussi une présente massive de la propagande en ligne. « Le dessin animé est la plus récente tactique utilisée par la propagande de Pékin pour toucher une génération qui communique via des smartphones et des touches ‘j’aime’ », explique Jun Mai dans le South China Morning Post