S’il est resté une petite phrase du débat télévisé du 4
avril entre les onze candidats à la présidentielle, c’est bien sûr la sortie de
Philippe Poutou : « nous, on n’a pas d’immunité ouvrière ».
Largement répercutée sur les médias sociaux, elle a même été remarquée à
l’étranger. « Le ‘pas d’immunité ouvrière’ de Poutou marque le
non-débat des onze », a
titré la Tribune de Genève.
Les petites phrases sont relayées par la presse en fonction
de leur contexte – dont l’importance respective des candidats est un élément. Un
« petit » candidat comme Philippe Poutou a moins de chances qu’un
« grand » de faire de gros titres. Cependant, le contexte d’un débat
tendait à égaliser les conditions. Surtout, Philippe Poutou répondait ici à
Marine Le Pen. Il a en quelque sorte bénéficié du statut de celle-ci. Si la
formule est passée du statut de petite phrase émise à celui de petite phrase
transmise, elle le doit moins à son auteur qu’à sa destinataire :
Marine Le Pen ‑ C’coup-là vous
êtes pour la police !
Philippe Poutou ‑ Ouais, quand
nous on est convoqué par la police, nous, vous voyez, par exemple, on n'a pas
d'immunité ouvrière, on y va.
Les petites phrases les plus efficaces sont rarement
négatives[1].
Mais celle-ci l’est-elle vraiment ? En réalité, son objet n’est pas de
constater l’absence d’une hypothétique immunité ouvrière. Elle ne contient
aucune information spécifique ; le « on y va » a rarement été
repris. Elle n’a même pas suscité beaucoup d’interrogations sur la notion
d’immunité parlementaire. Le graphique Google Trend ci-dessous est
éloquent : peu d’internautes ont cherché à en savoir plus après le
débat ; ils avaient été sept fois plus nombreux à faire une recherche sur « immunité
parlementaire » un mois auparavant quand le Parlement européen avait
en partie levé l’immunité de Marine Le Pen.
Clairement, la force de cette petite phrase est qu’elle
signifie : « deux poids, deux mesures ». Elle doit sa puissance
au rejet de la classe politique. Ce n’est pas une revendication ouvrière mais
une manifestation d’antiparlementarisme. Si elle a atteint le stade ultime de
petite phrase admise, c’est parce qu’elle a trouvé aisément sa place parmi des
opinions préexistantes.
Punchline
et petite phrase
La formule de Philippe Poutou répond parfaitement à la
définition de la petite phrase par l’Académie française, c’est une « formule
concise qui sous des dehors anodins vise à marquer les esprits ». Mais
les médias sociaux et une partie de la presse l’ont souvent qualifiée de « punchline ».
Le détail n’est pas innocent. Le mot anglais « punchline »
(initialement « punch line ») désigne la chute d’une histoire
drôle. Le titre du film Punchline de David Seltzer (1988) a été
logiquement traduit en français par Le Mot de la fin.
Plus récemment, le mot « punchline » a été
popularisé par les amateurs de rap. « Aujourd'hui tous les rappeurs
manient les "punchlines" (les chutes) avec brio », écrit
l’un d’eux[2].
« Nous buvions punchline, dormions punchline et rappions punchline.
Pourquoi ? Parce qu'une punchline est ce qui reste une fois le morceau terminé
et digéré. » De fait, les journaux qui ont titré sur le mot ne
relèvent généralement pas de la presse politique mais plutôt de la presse du
spectacle ou « people » :
- « Philippe
Poutou et ses punchlines au Grand Débat » ‑ Closer
- « La
meilleure punchline du grand débat est signée Philippe Poutou » – Vanity
Fair
- « Le
top 10 des « punchlines » et coups bas du Grand Débat présidentiel » ‑
Gala
Même Le
Figaro a noté cette parenté avec
le rap dans un article intitulé « Poutou, il va plus vite qu'Eminem
dans les punchlines! » (pour mémoire, Eminem est probablement le
rappeur le plus connu au monde). La parenté entre petite phrase et punchline
est évidente : on vient de le voir, si la première « vise à
marquer les esprits », la seconde est « ce qui reste une fois
le morceau terminé ». Mais l’emploi préférentiel du mot « punchline »
pourrait bien être un symptôme de l’évolution (de la dérive ?) de la
politique vers le spectacle, du débat vers le « battle ».
Michel Le Séac’h
Illustration : Philippe Poutou en meeting à Toulouse e 2012 par Pierre-Selim, via Wikipedia, licence CC BY 3.0
[1] Voir Michel
Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 223-224.
[2] Passi et
Steeve Balende, Explication de textes, Paris, Éditions Fejtaine, 2013.
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