« L’État, c’est moi » : ces quatre
syllabes d’un roi adolescent sont peut-être la citation la plus connue de toute
l’histoire de France. Elles représentent l’archétype du mot historique :
bref, célèbre, chargé de sens… et apocryphe.
La formule date du printemps 1655. La France a besoin
d’argent, il faut augmenter les impôts pour faire face aux dépenses du royaume,
en guerre contre l’Espagne. Depuis des années, le parlement de Paris conteste à
peu près systématiquement les tours de vis fiscaux ; il est à l’origine de
la révolte de la Fronde qui a ébranlé le pouvoir royal quelques années plus
tôt. Cette fois encore, il se réunit pour manifester son opposition.
Louis XIV, qui n’a pas 17 ans, accourt aussitôt. Voltaire a
décrit cette scène fameuse dans son Siècle de Louis XIV. Le roi
se présente vêtu de son habit de chasse, « en grosses bottes, le fouet
à la main » et déclare : « On sait les malheurs qu’ont
produits vos assemblées ; j’ordonne qu’on cesse celles qui sont commencées
sur mes édits. » Apparemment sûr de ses sources, Voltaire
précise : « Ces paroles, fidèlement recueillies, sont dans les
Mémoires authentiques de ce temps-là : il n’est permis ni de les omettre
ni d’y rien changer dans aucune histoire de France.»
« L’État, c’est moi » ne figure pas dans la
description de Voltaire mais dans les Mémoires secrets sur le règnes de
Louis XIV, la Régence et le règne de Louis XV de l’historien breton Charles
Pinot Duclos, qui en tant qu’historiographe royal assure avoir « lu une
infinité de mémoires » ‑ mais qui ne dit pas où et quand la phrase
aurait été prononcée. La tradition a rapproché l’image de Voltaire et les
paroles de Duclos. Reste que les deux ouvrages ont été rédigés pas loin d’un
siècle après la scène. Beaucoup d’historiens doutent que celle-ci ait
réellement eu lieu.
Mais peu importe : la petite phrase est profondément
ancrée dans les mémoires car elle « démontre » à l’évidence le
comportement despotique des rois de France (tout comme d’autres formules plus douteuses encore : « ainsi sera car tel est notre bon
plaisir »[1], « s’ils
n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche »[2]…).
Pourquoi sait-on que les rois étaient des despotes ? Parce que Louis XIV a
dit : « l’État c’est moi » ! Même apocryphe, cette
petite phrase a véritablement « fait l’histoire », elle raconte une
histoire qu’elle a contribué à fabriquer. Y compris à l’étranger. « L’État
c’est moi: the cult of Sarko », titrait en 2009 le quotidien britannique
The Independent[3].
[1] Voir Michel
Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 35.
[2] Idem, p. 95, et http://www.phrasitude.fr/2016/10/car-tel-est-notre-bon-plaisir-une.html
[3] [3]
John Lichfield, « L’Éétat
c’est moi: the cult of Sarko », The Independent, 23 octobre 2009,
http://www.independent.co.uk/news/world/europe/iltat-cest-moii-the-cult-of-sarko-1807658.html,
consulté le 31 janvier 2017.
Portrait de Louis XIV en 1654 par Juste d’Egmont, musée du château d’Ambras à Innsbrück, Wikipedia Commons