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23 février 2020

Je twitte donc je suis – L’art de gouverner selon Donald Trump, par Guillaume Debré

Donald Trump est-il contagieux ? Peut-on parler d’un personnage caricatural sans le caricaturer ? Pour écrire Je twitte donc je suis, Guillaume Debré disposait d’une ressource documentaire objective : les 13 421 tweets envoyés par le président américain entre son arrivée à la Maison-Blanche et le début de l’année 2020.

Décrire Donald Trump à travers ses tweets était un programme alléchant et nullement anecdotique. « Pour le Président, @realDonaldTrump est beaucoup plus qu’un outil de communication », écrit Guillaume Debré. « Il est devenu l’essence de sa présidence, son identité propre. Ses tweets sont à la fois sa doctrine et son programme, sa philosophie, son logiciel et son projet politique. » Restait à puiser dans cette masse pour dresser un portrait selon différentes thématiques : Donald Trump et l’électorat américain, et la vie à la Maison-Blanche, et les relations diplomatiques, et les autres chefs d’État, etc.

Le travail était énorme, et l’auteur a peut-être manqué de temps pour effectuer un vrai « minage » dans la masse des 13 421 tweets. Passé le premier chapitre du livre, consacré à la « Twitter addiction » du Président, ils n’occupent qu’une place secondaire d’illustration (Donald Trump a désigné son épouse par le prénom Melanie alors qu’elle s’appelle Melania ? C’est presque une affaire d’État !). Le livre relate surtout des faits et anecdotes déjà largement couverts par la presse. Environ la moitié de ses notes renvoient à des articles du New York Times, du Washington Post ou du Boston Globe.

La vérité c’est le mensonge ?

Corrélativement, il reflète l’hostilité générale de la presse américaine envers Donald Trump. Guillaume Debré y ajoute même une touche personnelle. Ainsi, p. 146, quand il traduit comme suit le début d’un tweet de 2018 : « Quand tu donnes sa chance à une crapule foldingue et pleurnicheuse ». Le texte originel de @realDonaldTrump, non repris dans le livre, disait : « When you give a crazed, crying lowlife a break », ce qui se traduirait plus normalement par : « Quand tu donnes une chance à une pauvresse affolée et en pleurs »[i]. Une mention toujours désobligeante mais quand même moins insultante. De même p. 75, à propos d’une conférence de presse, Guillaume Debré cite un journaliste voussoyant respectueusement le Président, qui en réponse le tutoie grossièrement. Alors qu’en V.O. l’un et l’autre se disent « you », bien entendu.

L’auteur va cependant au-delà de la caricature et montre que les tweets de Donald Trump ne sont pas des éructations irréfléchies. Il décrit le « protocole d’action clairement établi » instauré à la Maison-Blanche pour les gérer et le rôle que Trump assigne à Twitter, « un média qui lui permet de diffuser des messages courts, des pensées simples et d’éviter les nuances. Un média parfait pour renforcer les idées reçues et diffuser les caricatures ou les images à fort potentiel de mobilisation. Twitter est un forum qui n’invite pas le débat, qui protège autant qu’il expose et qui renforce la verticalité du pouvoir. » Trump y multiplie les erreurs factuelles ? Peut-être, mais « ces erreurs sont, pour beaucoup d’Américains, une preuve d’authenticité politique ». Le @realDonaldTrump est réellement réel ! Twitter le montre tel qu’en lui-même, hors toute langue de bois. Et permet d’exprimer « la dose de violence politique dont a besoin la base électorale du Président ».

M.A.G.A. élu par l’Amérique blanche

Une base électorale qui, en dépit de tout, persiste à le soutenir. Ce qui s’explique par son homogénéité : Donald Trump est le « premier président blanc de l’histoire » ‑ cette formule de l’écrivain noir américain Ta-Nehisi Coates sert de titre à l’un des chapitres du livre. Trump incarnerait le concept de « blanchitude », qui ne s’oppose pas à la négritude mais « au multiculturalisme bien-pensant, au politiquement correct, à l’élitisme urbain, à la discrimination positive, à l’égalité des genres, au progressisme inclusif ». Alors que les deux mandats de Barack Obama et la montée de l’immigration auraient suscité chez les « petits blancs » la peur de devenir minoritaires, « la blanchitude rassemble un ensemble de symboles et de référents qui dépasse le champ du politique et qui active chez les électeurs un réflexe de protection identitaire ». L’Amérique périphérique blanche, qui votait républicain dans le Sud et l’Ouest des États-Unis, et démocrate dans le Midwest et le Nord-Est s’est rassemblée autour de Donald Trump, dont elle attend une protection. Le sujet est capital, et il est évidemment dommage que l’auteur cite si peu de tweets présidentiels à l’appui de sa thèse ; le plus significatif affirme au contraire : « Je n’ai pas un os de raciste dans mon corps » !

Malgré leur virulence, les tweets de Donald Trump ne paraissent pas souvent destinés à devenir des petites phrases marquant durablement les esprits. Avec au moins une exception remarquable, à laquelle Guillaume Debré consacre un chapitre entier : « Make America Great Again ». Ce tweet posté le 7 novembre 2012, juste après l’élection de Barack Obama, devient viral en quelques heures. « Cette phrase combine les éléments d’une promesse électorale, d’un cri de ralliement et d’une profession de foi », note l’auteur. Trump observe la puissance tout à la fois de Twitter et de ces quatre mots, en quelque sorte élus par le public. Il en fera son slogan de campagne trois ans plus tard et, y compris sous la forme de l’acronyme M.A.G.A., les twittera plus de 1 100 fois en huit ans !

Michel Le Séac’h



[i]  Le passage relate un conflit entre Donald Trump et l’une de ses anciennes assistantes, Omarosa Manigault Newman, qui avait participé à ses émissions de télévision et qu’il avait embauchée à la Maison-Blanche dès son arrivée. Guillaume Debré raconte : « Dix mois plus tard, elle claque la porte et accuse le Président de mysogynie et de racisme. En réponse, elle reçoit une bordée d’insulte dans un tweet du 14 août 2018 » -- le tweet cité ici. Dix mois plus tard ? Entre janvier 2017 et août 2018, dix-neuf mois se sont écoulés. En réalité, l’intéressée a quitté la présidence en janvier 2018 et a publié en août 2018 un livre très hostile à son ancien employeur. C’est ce livre, et non son départ, qui a suscité le tweet présidentiel.


Je twitte donc je suis -- L'art de gouverner selon Donald Trump 
par Guillaume Debré
Paris, Fayard, 2020. 240 p., 18 €

03 juin 2017

« Make our planet great again » : la petite phrase d’Emmanuel Macron, un snowclone qui tombe à pic

Emmanuel Macron ne s’était pas signalé au cours de sa campagne présidentielle par des petites phrases spécialement remarquables. Certaines sorties auraient même pu lui coûter cher en des circonstances moins favorables. Il vient de rattraper son retard d’un seul coup, le 1er juin 2017, avec une petite phrase… en anglais. En quelques heures « Make our planet great again » a fait le tour de la Terre et a battu le record de partages sur Twitter en France. Dans la foulée, le président de la République s’est même offert une deuxième petite phrase : « Il n'y a pas de plan B car il n'y a pas de planète B ».

Les petites phrases en langue étrangère ne sont pas inconnues en France[i]. Mais, de « Vae Victis » à « Yes we can » et de « No pasaran » à « Ich bin ein Berliner », en général, elles viennent d’ailleurs. Les rares petites phrases en langue étrangère d’hommes politiques français ne sont guère enviables : on songe au « What do you want… » de Jacques Chirac en Israël ou au « The yes needs the no to win » de Jean-Pierre Raffarin. Emmanuel Macron n’est décidément pas un homme politique ordinaire…

La force de « Make our planet great again » n’est cependant pas dans sa signification, ni dans l’identité de son auteur : elle est dans son origine et dans le choix du moment. Il s’agit d’un « snowclone », un détournement d’une formule très connue préexistante. Et quelle formule ! le slogan de Donald Trump au cours de sa campagne présidentielle victorieuse de l’an dernier, « Make American great again ». Jeudi dernier, alors que le président américain venait d’annoncer son intention de sortir de l’Accord de Paris sur le climat, le président français a repris la balle au bond en réutilisant ses propres paroles, le soir même, dans une déclaration solennelle.

Les trois bonnes fées de la communication s’étaient donc penchées sur le berceau de cette petite phrase :
  • Au niveau du contenu, elle prenait appui sur un texte déjà très connu.
  • Au niveau du contexte, elle portait sur un sujet d’intérêt brûlant pour la presse internationale, commenté par un responsable de premier plan
  • Au niveau de la culture, elle exploitait la défaveur de Donald Trump dans une grande partie de l’opinion française, américaine et mondiale.
La presse française a largement salué ce qu’elle a parfois appelé une « punchline » ou un « coup de com » « mais pas un coup improvisé », a souligné Christophe Barbier sur BFM TV, qui estime que la formule était mijotée depuis plusieurs jours. Et en effet, si la mise en scène était impeccable, le texte n’était pas très original. En réalité, le slogan de Donald Trump (qui a pris soin de le déposer, alors qu’il avait déjà été utilisé par Ronald Reagan sous la forme « Let’s make America great again ») a fait l’objet de nombreux détournements.

« Make Europe great again » a été largement utilisé au cours de la campagne électorale allemande par les partisans de Martin Schulz. Plaisantins et opportunistes ont imaginé, entre autres, « Make coal great again », « Make gin great again », « Make emoji great again », « Make the Internet great again » et même « Make periods great again », nom d’un site web créé par le fabricant de tampons hygiéniques Lola ! « Make Earth great again » est devenu le titre d’un web-sermon du pasteur James Hein et d’une affiche mettant en scène Donald Trump et Vladimir Poutine. Ainsi était-il amplement démontré que « Make America great again » était propice aux recyclages. Encore fallait-il saisir la bonne occasion, ce qu’Emmanuel Macron a remarquablement réussi.

Google Trends révèle un courant de recherches antérieur au 1er juin 2017 sur
des phrases comme "Make our planet great again" ou "Make the world great again"


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[i] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 113 et s.