« C’est une petite phrase qui devrait ravir ses
opposants », assurait RTL voici tout juste quatre ans à la lecture
d’un entretien avec Emmanuel Macron publié dans l’hebdomadaire Le 1[i].
« Emmanuel Macron […] a lâché quelques mots qui pourraient faire
polémique », assurait pour sa part Le Point[ii].
« "Il nous manque un roi", a-t-il répondu au journaliste
quand celui-ci lui a demandé si "la démocratie est forcément
déceptive" ». « Il nous manque un roi » était
aussi signalé par Le Lab d’Europe 1, qui publiait cependant un correctif en fin
de journée : « cet article mentionnait à l'origine, et de manière
erronée, cette citation d'Emmanuel Macron : "Il nous manque un
roi." Une déclaration qui ne figure en réalité pas dans l'interview[iii]. »
Et de fait, pas trace de « il nous manque un roi » dans la réponse d’Emmanuel Macron à la question du 1 : « La démocratie est-elle forcément déceptive ? » :
« La démocratie comporte toujours une forme d’incomplétude, car elle ne se suffit pas à elle-même. Il y a dans le processus démocratique et dans son fonctionnement un absent. Dans la politique française, cet absent est la figure du Roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n'a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le Roi n’est plus là. »
L’hypothèque de la petite phrase écartée de justesse, bien
des journaux se sont interrogés sur le fond de la déclaration. Pourquoi cet
intérêt pour la « figure du Roi » ? Plus d’un a répondu : Emmanuel
Macron est adepte de la théorie des « deux corps du roi » énoncée en
1957 par Ernst Kantorowicz[iv].
En substance, dans la tradition politique médiévale, le roi aurait deux corps.
Le sien, charnel et mortel. Et aussi un corps politique et souverain qui
incarne l’ensemble de son peuple, la communauté du royaume qui, elle, ne meurt
pas. D’où la formule rituelle : « Le roi est mort, vive le roi
! ».
Mais au 21ème siècle, le souverain n’est plus seulement un corps. Il est aussi une parole que son peuple peut entendre tous les jours. À la figure du roi se superpose le discours du président. Se pourrait-il qu’il y ait deux paroles du président, ce qu’il dit et ce que l’ensemble de son peuple pense qu’il a dit ?
« Emmanuel Macron a deux manières de s’exprimer en public », notait Émilie Zapalski[v]. « Dans l’une, il s’adresse à son interlocuteur comme s’ils étaient seuls. C’est là qu’on le sent sincère, authentique. » Dans l’autre, il adopte une solennité plus « officielle ». Dira-t-on alors que la première façon de s’exprimer est celle du « roi » charnel et mortel, alors que la seconde serait celle du peuple souverain ? Ce n’est pas si sûr. À une époque d’immédiateté médiatique, la parole « sincère, authentique » pourrait bien être celle qui représente le mieux la communauté du peuple.
Car c’est de cette parole « sincère, authentique » que naissent les pires petites phrases d’Emmanuel Macron, transfigurées par la vox populi ‑ presse et réseaux sociaux confondus. Emmanuel Macron n’a jamais réellement dit « les Français sont des Gaulois réfractaires au changement », ni « la vie d’un chef d’entreprise est bien plus dure que celle d’un salarié », ni « trop de Français n’ont pas le sens de l’effort ». Beaucoup le croient, pourtant.
Ces paroles du président qui ne sont pas vraiment du président dénotent-elles un intérêt crypto-monarchiste pour un discours présidentiel représentatif de la communauté nationale ? Elle ne paraissent pas empreinte d’un profond respect pour celui qui siège à l’Élysée, en tout cas. Le silence fonctionne-t-il mieux ? Peut-être le peuple dira-t-il un jour : « le président est muet, vive le président ! »
Mais au 21ème siècle, le souverain n’est plus seulement un corps. Il est aussi une parole que son peuple peut entendre tous les jours. À la figure du roi se superpose le discours du président. Se pourrait-il qu’il y ait deux paroles du président, ce qu’il dit et ce que l’ensemble de son peuple pense qu’il a dit ?
« Emmanuel Macron a deux manières de s’exprimer en public », notait Émilie Zapalski[v]. « Dans l’une, il s’adresse à son interlocuteur comme s’ils étaient seuls. C’est là qu’on le sent sincère, authentique. » Dans l’autre, il adopte une solennité plus « officielle ». Dira-t-on alors que la première façon de s’exprimer est celle du « roi » charnel et mortel, alors que la seconde serait celle du peuple souverain ? Ce n’est pas si sûr. À une époque d’immédiateté médiatique, la parole « sincère, authentique » pourrait bien être celle qui représente le mieux la communauté du peuple.
Car c’est de cette parole « sincère, authentique » que naissent les pires petites phrases d’Emmanuel Macron, transfigurées par la vox populi ‑ presse et réseaux sociaux confondus. Emmanuel Macron n’a jamais réellement dit « les Français sont des Gaulois réfractaires au changement », ni « la vie d’un chef d’entreprise est bien plus dure que celle d’un salarié », ni « trop de Français n’ont pas le sens de l’effort ». Beaucoup le croient, pourtant.
Ces paroles du président qui ne sont pas vraiment du président dénotent-elles un intérêt crypto-monarchiste pour un discours présidentiel représentatif de la communauté nationale ? Elle ne paraissent pas empreinte d’un profond respect pour celui qui siège à l’Élysée, en tout cas. Le silence fonctionne-t-il mieux ? Peut-être le peuple dira-t-il un jour : « le président est muet, vive le président ! »
Michel Le Séac’h
[i] « J’ai
rencontré Paul Ricœur qui m’a rééduqué sur le plan philosophique »,
entretien recueilli par Éric Fottorino, Laurent Greilsamer et Adèle Van Reeth, Le
1, 8 juillet 2015, https://le1hebdo.fr/journal/numero/64/j-ai-rencontr-paul-ricoeur-qui-m-a-rduqu-sur-le-plan-philosophique-1067.html.
Publié aussi sur le site web de La République en marche : https://en-marche.fr/articles/medias/limparfait-du-politique
[ii] Valentin
Chatelier, « Emmanuel Macron estime que ‘’le grand absent’’ est ‘’la
figure du roi’’, 8 juillet 2015, https://www.rtl.fr/actu/politique/emmanuel-macron-estime-que-le-grand-absent-de-la-politique-est-la-figure-du-roi-7779039520.
Voir aussi Le Point, https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-plus-royaliste-que-socialiste-07-07-2015-1943115_20.php
[iii]
« Pour Emmanuel Macron, il manque un roi à la France », 8 juillet
2015, https://lelab.europe1.fr/pour-emmanuel-macron-il-manque-un-roi-a-la-france-1365792
[iv] Ernst
Kantorowicz, Les Deux corps du roi, Paris, Gallimard, 1989.
[v] Sur BFMTV,
le 4 octobre 2018.
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Photo d’Emmanuel Macron : Présidence de Russie, licence CC BY 4.0