« Le macronisme s’achèvera avec Emmanuel Macron » : la déclaration de Bruno Retailleau à Valeurs actuelles, le 22 juillet, a été qualifiée de « petite phrase » par de nombreux médias comme RTL, BFMTV, Les Dernières nouvelles d’Alsace ou Gala. La formule est délibérée : son texte a sûrement été soumis au ministre de l’Intérieur avant publication. Pourtant, il n’est pas dit qu’elle ait été capitale dans son esprit.
« Curieusement, cet entretien n’a fait de bruit dans le
Landerneau que par la nécrologie du macronisme », observe Francis Brochet
dans Le Journal de Saône-et-Loire. En effet, dans le même texte, Bruno
Retailleau déclare vouloir « l’union des électeurs de droite, pas l’union
des droites », autrement dit pas d’alliance formelle avec le Rassemblement
national mais une main tendue sur le terrain électoral. La fin du « cordon
sanitaire » devrait avoir un grand retentissement sur la vie politique
française. (Choisir de s’exprimer dans Valeurs actuelles paraît logique
dans cette optique.)
Par ailleurs, la phrase de Bruno Retailleau choisie par Valeurs
actuelles pour annoncer son entretien à la Une était : « Je ne
crois pas au en même temps ».
Deux prises de position majeures, donc, l’une portant sur la
stratégie électorale, l’autre sur la doctrine politique, qui auraient pu elles
aussi être qualifiées de « petites phrases ». Pourtant, la quasi-totalité
des commentateurs préfèrent retenir ce qui est, à première vue, une simple
conjecture sur l’avenir d’un « macronisme » que le ministre ne s'attarde guère à définir (
Le même pronostic a déjà été exprimé au mois de mai par Sophie Primas, porte-parole du gouvernement (« le macronisme, probablement, trouvera une fin dans les mois qui viennent »), énergiquement approuvée par Gérard Larcher, président du Sénat (« après Emmanuel Macron, il n’y aura plus de macronisme »). Ces positions ont suscité dans Le Monde une analyse de Nathalie Segaunes intitulée : « Le macronisme surviva-t-il à Emmanuel Macron ? ». La question était donc sur la table, et la formule de Bruno Retailleau n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel clair. C’est presque une banalité !
Le président du Sénat est le troisième personnage de l’État
alors que Bruno Retailleau n’est « que » cinquième dans l’ordre
protocolaire du gouvernement. Pourquoi la petite phrase du second a-t-elle
néanmoins plus de retentissement que celle du premier, alors qu’elles sont
presque identiques ? Probablement parce que si toutes deux sont comprises
comme des défis lancés au président de la République,seul l’un des deux
locuteurs apparaît comme un challenger crédible. La désignation du leader est
l’un des principaux rôles des petites phrases, mais il faut un ethos de
leader pour s’aligner.
Quand un ministre ne ferme pas sa gueule
Une petite phrase est moins faite de mots que de
sous-entendus. Quand Laurent Fabius, parlant de François Mitterrand, déclare en
1984 : « lui c’est lui, moi c’est moi », il n’énonce pas un
simple truisme. Premier ministre de François Mitterrand, il prend ses distances
avec le président. Ou du moins la phrase est-elle comprise ainsi (Laurent
Fabius affirmera plus tard qu’elle avait été concoctée d’un commun accord avec
Mitterrand : le sous-entendu était trafiqué en vue d’un résultat désiré).
Dans « le macronisme s’achèvera avec Emmanuel Macron », on entend
quelque chose comme : « j’ai l’intention de prendre la place
d’Emmanuel Macron ».
Du leader, on attend qu’il remette le challenger à sa place. Avec sa propre petite phrase ravageuse, s'il en a les moyens. S’il s’agit d’un ministre, il pourra le démettre, selon la doctrine
édictée par Jean-Pierre Chevènement en 1983 : « Un ministre, ça ferme
sa gueule ou ça démissionne. » En l’occurrence, réclamer la démission de
Bruno Retailleau reviendrait probablement à faire tomber le gouvernement. Que
reste-t-il à Emmanuel Macron pour prouver qu’il demeure le patron ? En pratique, une seule solution : brandir son sceptre en mettant en
scène une prérogative régalienne. De là à dire que la reconnaissance d’un État
palestinien serait une riposte à une petite phrase, il y a tout de même une
marge. Mais l'annonce anticipée d'une telle décision, pourquoi pas ?
Michel Le Séac’h
Photo Thomas
Bresson : Réunion publique de Bruno Retailleau à la salle des fêtes de
Belfort, le 24 mars 2025, via Wikimedia,
licence CC BY 4.0.