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06 avril 2022

Le Solitaire du palais, par Laurence Benhamou

Qu’est-ce qu’une petite phrase ? C’est « ce que les médias ou la médiatisation font aux discours des responsables politiques », répondent Alice Krieg-Planque et Caroline Ollivier(1). Les deux chercheuses ne s’en tiennent évidemment pas là, mais ce raccourci audacieux offre un bon point de départ pour l’étude des petites phrases : une petite phrase est une phrase dont la presse dit qu’elle est une petite phrase(2) !


Avec Le Solitaire du palais – Le livre du quinquennat Macron 2017-2022, Laurence Benhamou emmène ses lecteurs au cœur de ce réacteur. Journaliste de l’AFP accréditée à l’Élysée, elle a vu naître des petites phrases présidentielles pendant cinq ans – mieux, elle les a parfois portées sur les fonts baptismaux. Une déclaration qualifiée de « petite phrase » par l’AFP a de fortes chances de le devenir.

Laurence Benhamou désigne expressément comme petites phrases les déclarations suivantes :

  • « Ici, dans cette gare, se croisaient ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien… » (p. 48)
  • « Les Français détestent les réformes. Dès qu’on peut les éviter, on ne les fait pas ! C’est un peuple qui déteste cela ! » (p. 51)
  • « Je serai d’une détermination absolue, je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes. » (p. 54)
  • « Certains, au lieu de foutre le bordel, devraient aller voir s’ils ne trouvent pas de poste » (p. 58)
  • « Moi, je bois du vin midi et soir. Il y a un fléau de santé publique quand la jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière, mais ce n’est pas avec le vin. » (p. 99)
  • « Jusqu’à présent, la seule manière de faire ressentir rapidement un changement aux Français consistait à distribuer de l’argent public. Notre pays s’était habitué à cette morphine. » (p. 115)
  • « Le Gaulois réfractaire » (p. 144)
  • Les militants écologistes, « qu’ils aillent manifester en Pologne ! » (p. 243
  • « Quoi qu’il en coûte. » (p. 292)
  • « Je nous connais mieux. Ce sont toujours les mêmes qui participent aux réunions et les autres, au bout de deux mois, diront qu’ils en ont été exclus. » (p. 433)

Elle parle aussi à l’occasion de « reparties cinglantes » (« La médaille, si vous n’en voulez pas, vous ne la prenez pas ! », p. 321), de « flèches du Parthe » (« Nous sommes devenus une nation de 66 millions de procureurs ! », p. 385), de « punchlines » (« Chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu’en 2017 », p. 399), de « phrases fétiches » (« Parce que c’est notre projet », p. 150).

Se pourrait-il que cette sélection témoigne d’un parti-pris de la part de la journaliste ? Il est clair que les formules ci-dessus tendent à brosser le portrait d’un président arrogant et peu empathique et non pas à résumer les orientations de sa politique. Mais tel est bien le rôle des petites phrases, elles décrivent le caractère d’un leader et pas son programme. Délibérément ou non, l’usage qu’en fait Laurence Benhamou le confirme une fois de plus. Ce qui ne signifie pas, cependant, que les petites phrases disent toute la vérité du président ; on apprend ainsi que Brigitte Macron « exècre [ses] petites phrases provocatrices », ce qui n’empêche pas ses sentiments…

Sibeth Ndiaye, grave erreur de casting

On voit bien qu’Emmanuel Macron a raté son rendez-vous avec les journalistes. Délibérément peut-être. « La nouvelle équipe sait déjà comment elle veut traiter une presse dont elle se méfie : distance et parole rare », lit-on dès les premières pages du livre, à peine le nouveau président installé à l’Élysée. Et un peu plus loin : « Sa distance avec la presse ? Il la revendique : "Je ne m’intéresse pas aux journalistes, je m’intéresse aux gens. Quand les journalistes me posent des questions sur la communication, ils s’intéressent à eux, pas au pays, c’est du narcissisme. " Il faudra attendre certaines crises, notamment celle des Gilets jaunes, pour que l’Élysée comprenne que les médias sont une courroie de transmission indispensable entre l’exécutif et la population. »

Il faudra attendre aussi, semble-t-il, qu’Emmanuel Macron prenne conscience du tort que lui causent certains de ses proches. Et avant tout « Sibeth Ndiaye, la responsable de la communication, seule femme du premier cercle, fille d’un éminent homme politique sénégalais, militante PS devenue la communicante d’Emmanuel Macron à Bercy, et qui va le rester à l’Élysée. » Elle paraît s’ingénier à pourrir la situation. « Quelques jours après l’investiture, Sibeth Ndiaye débarque dans la salle de presse. Ironique et agressive, elle ne prend pas de gants. (…) C’est le début d’un bras de fer. Il va durer deux longues années. » Et alimenter les pages les plus critiques du livre, où abondent les notations du genre : « Sibeth Ndiaye ne se prive pas de nous envoyer promener, souvent en termes très crus. » Elle est la seconde personne la plus souvent citée dans le livre, avant même Brigitte Macron et le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler. À côté d’elle, Benjamin Griveaux, éphémère porte-parole du gouvernement, « particulièrement agressif et méprisant à l’égard de la presse » a presque l’air d’un enfant de chœur. Quand enfin le président se décide à l’évincer, l’épitaphe est sans appel : « Son départ marque la fin d’une époque. Ses maladresses, son langage cru, ses provocations, son ton cinglant et ses tirades antimasques ont cristallisé la rancœur de l’opinion. »

Les images plus que les mots

Si ses relations avec les journalistes sont mauvaises, Emmanuel Macron est en revanche attentif aux images, et Laurence Benhamou aux attitudes du président. « Le couple évite le baiser sur la bouche qui avait agacé au soir du premier tour », note-t-elle au soir de la victoire électorale. « La Marseillaise retentit. Emmanuel Macron la chante à mi-voix, parfois les yeux clos. Il serre très fort les doigts de sa compagne. Et garde l’autre main sur le cœur, dans une posture à l’américaine. Comme s’il voulait transformer les usages. Il n’y renoncera que quelques semaines plus tard, lors de la visite de Donald Trump. Sans doute pour ne pas avoir l’air d’imiter l’Américain. » Lors des obsèques de Johnny Hallyday, il se retient de saisir le goupillon pour bénir le cercueil : « au dernier moment, il se rend compte de la gaffe, ce geste qui lui serait reproché, renonce et retient furtivement la main de son épouse qui allait faire de même. » Lors des obsèques de Jean d’Ormesson, « théâtralement, il dépose un crayon sur son cercueil ».

Mais les images présidentielles passent moins par la presse que par les médias sociaux : Emmanuel Macron  « aime autant les déguisements que les happenings, dont il fait poster les images sur Twitter. (…) Les chaînes d’info sont dépassées, la presse, ignorée, @EmmanuelMacron devient un média. Les journalistes qui ne font pas partie des pools ne le voient plus qu’à travers cette avalanche d’images ».

°°°

Bien entendu, les petites phrases n’occupent pas la place centrale dans ce livre de 440 pages. Il relate cinq ans (enfin… quatre ans et demi, il prend fin à l’automne 2021 et ne dit rien notamment de la guerre en Ukraine) d’une présidence riche en événements, en polémiques et en travaux législatifs et diplomatiques. Mais le sujet, ici, ce sont les petites phrases, et sous ce filtre singulier, déjà, l’ouvrage apporte un éclairage intéressant sur le quinquennat qui s’achève.

Laurence Benhamou, Le Solitaire du Palais – Le livre du quinquennat Macron 2017-2022, Paris, Robert Laffont, 2022, 440 pages, 21 euros.

Michel Le Séac’h

(1) Alice Krieg-Planque et Caroline Ollivier-Yaniv, « Poser les « petites phrases » comme objet d’étude », Communication & langages, n° 168, juin 2011, p. 17-22.

(2) Sarah Al-Matary et Chloé Gaboriaux notent elles aussi que « la plupart [des petites phrases] ont d’ailleurs été qualifiés de "petites phrases" dans la presse ». Voir « Une nouvelle lutte des "clashes" ? Fragmentation des discours de campagne et mutation des clivages (France, 2016-2017) », Mots – Les langages du politique, n°117, juillet 2018.

 


12 septembre 2021

Michel Barnier : « Qui imagine la Cour de justice européenne mise en examen ? »

D’une seule phrase, Michel Barnier a soulevé jeudi dernier une énorme agitation dans les milieux politiques et médiatiques. Personne n’a parlé de « petite phrase », pourtant. Et pour cause. Cette phrase, prononcée lors d’une journée parlementaire des Républicains, la voici :

Nous ne pouvons pas faire tout cela sans avoir retrouvé notre souveraineté juridique, en étant menacés en permanence d'un arrêt ou d'une condamnation de la Cour de justice européenne ou de la Convention des droits de l'homme, ou d'une interprétation de notre propre institution judiciaire.

Une phrase de 45 mots peut pouvait difficilement être qualifiée de « petite ». Et celle-ci ne semble pas avoir ému le grand public. Mais que les commentaires des spécialistes se soient focalisés sur elle a de quoi surprendre. Le message important, a priori, était le « faire tout cela » : ce que le candidat à la présidence de la République s’engage à réaliser s’il est élu. En l’occurrence, un moratoire de l’immigration comprenant une quinzaine de mesures : durcir les conditions du regroupement familial, distribuer des cartes vitales biométriques, renforcer Frontex, etc.

Ces mesures avaient déjà été avancées par Michel Barnier dans une tribune du 28 juillet 2021. L’une d’elles était ainsi libellée : « Loi constitutionnelle pour garantir la primauté du droit français en la matière. » C’est-à-dire, en douze mots, exactement la même chose que le 9 septembre en quarante-cinq. La bouffée d’indignation de ces derniers jours pourrait donc bien être le fruit d’une réflexion plutôt qu’une réaction spontanée.

Les positions sont, dépêche AFP aidant, assez stéréotypées :

  • Stupéfaction à Paris et Bruxelles après les critiques de Barnier contre la justice européenne – Le Parisien
  • La classe politique divisée après les critiques de Michel Barnier contre la justice européenne – Le Figaro
  • Michel Barnier provoque la consternation en Europe – Les Échos
  • Les propos anti-européens de Michel Barnier consternent Bruxelles – Challenges
  • Les propos anti-européens de Michel Barnier sèment la consternation à Bruxelles – Le Monde
  • Les propos de Michel Barnier contre la justice européenne créent la stupéfaction – Ouest-France

On note que ces réactions sont « bruxelloises », alors que l’avertissement de Michel Barnier vise tout autant le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État français. Évidemment, si un ancien commissaire européen est capable de contester aussi ouvertement la suprématie du droit européen, les autres candidats à la présidence pourraient surenchérir. Le risque est clair pour des institutions européennes déjà fragilisées par le Brexit et les attitudes de certains pays d’Europe de l’Est.

Les partisans de la supranationalité, alertés par les propos du 28 juillet, auraient pu la jouer lénifiante : « les institutions européennes respectent la souveraineté juridique des États membres dans le cadre prévu par les Traités », etc. Au contraire, ils ont saisi la première occasion explicite pour déclencher un tir de barrage. Et non contents de contester la proposition, ils attaquent l’homme lui-même. « Cela le discrédite complètement », proclame par exemple Sylvie Guillaume, eurodéputée socialiste. De là à penser qu’ils tapent fort pour tenter de dissuader d'éventuels imitateurs…

 Se montrer ferme ou pas

L’épisode contient aussi une leçon pour Michel Barnier en tant que candidat à la présidence. Expert ès milieux européens, il ne pouvait ignorer ni le caractère scandaleux de l’expression « primauté du droit français » ni la virulence de ces milieux envers les contestataires. Dès la révélation de ses intentions, c’est-à-dire dès le 28 juillet, il aurait dû s’attacher à leur donner une forme plus visible afin d’imposer sa marque, d'afficher une autorité intellectuelle.

François Fillon, lui aussi, savait bien qu’il allait scandaliser une partie de son propre camp en lançant, fin août 2016, son fameux « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? ». Une question rhétorique, largement qualifiée de petite phrase, elle. Les critiques avaient été vives mais l’ancien Premier ministre, lui aussi réputé terne et pondéré, avait acquis une stature.

À retardement, Michel Barnier cherche à présenter sa position au grand public le 9 septembre avec ce tweet : « Il faut retrouver notre souveraineté juridique pour ne plus être soumis aux arrêts de la CJUE ou de la CEDH. » Même si les sigles sont ésotériques pour beaucoup, la position se veut claire et déterminée : Michel Barnier est à l’offensive.

Cependant, devant la vivacité des réactions, l’ancien commissaire européen retire son tweet ! Il lui substitue celui-ci : « Restons calmes ! Pour éviter toute polémique inutile et comme je l’ai toujours dit très précisément, ma proposition de ‘’bouclier constitutionnel’’ ne s’appliquera qu’à la politique migratoire. » Ses adversaires restent maîtres du terrain de la twittosphère. Son geste de soumission, ou au moins de conciliation, a sûrement ses raisons mais risque d’obérer la suite d'une campagne présidentielle.

Michel Le Séac’h

Illustration : Michel Barnier en 2017, photo The Jacques Delors Institute, licence CC B Y 2.0 via Wikimedia Commons

20 décembre 2016

« Ich bin Charlie » : un double snowclone en avance sur une actualité tragique

« Ich bin Charlie », titraient voici quelques jours de nombreux journaux, dans la presse française aussi bien qu’allemande ou anglophone. Ils annonçaient la parution de la première édition internationale, en allemand, de Charlie Hebdo.

La formule vous rappelle une chose, bien sûr. Ou peut-être deux ? Elle est formée sur deux formules qui ont couru dans le monde entier :
  • « Ich bin ein Berliner » (« je suis un Berlinois »), phrase prononcée par John Fitzgerald Kennedy à Berlin en juin 1963. Il exprimait ainsi la solidarité des États-Unis avec les habitants de Berlin-Ouest soumis au blocus soviétique.
  • « Je suis Charlie », slogan créé par le graphiste Joachim Roncin en janvier 2015 après l’attentat contre Charlie Hebdo et qui a déferlé en quelques heures sur le web français puis international[1].
Ces deux petites phrases sont si connues qu’elles sont toutes deux devenues des snowclones, c’est-à-dire des formules dont ont réutilise des éléments caractéristiques pour former d’autres phrases présentant une parenté sémantique, sous la forme « Ich bin ein XXXer » pour l’une, « Je suis XXX » (avec souvent reprise du graphisme d’origine) pour l’autre. Le titre né de leur fusion bénéficie d’emblée d’une grande puissance évocatrice. L’attentat commis au marché de Noël de Berlin hier lui a donné un caractère terriblement prophétique.

Au passage, « Ich bin Charlie » donne une nouvelle illustration de la capacité de l’Agence France Presse (AFP) à imposer des petites phrases. La formule, qui figurait dans une de ses dépêches, a simplement été reprise par un certain nombre de journaux.

Michel Le Séac’h


[1] Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 228. Sur  « Ich bin ein Berliner », voir Pierrick Geais, « 'Ich bin ein Berliner', une petite phrase dont l'histoire continue de s'écrire », Vanity Fair, 20 décembre 2016.

05 décembre 2016

Quelle petite phrase pour annoncer la candidature de Manuel Valls ?

Manuel Valls doit annoncer ce soir sa candidature à la présidence de la République. Dans sa déclaration on cherchera « la » petite phrase. La sortie soupesée pour une entrée en campagne, qui fera les titres et les tweets des heures suivantes. Car Manuel Valls est un virtuose des petites phrases, il en joue comme Mme Valls de son archet. Il connaît la puissance de ces « formules concises qui sous des dehors anodins visent à marquer les esprits », pour reprendre l’excellente définition de l’Académie française.

Avant même les phrases, Manuel Valls s’intéresse aux mots. Il a préconisé en juin 2009 de changer le nom de son parti, « car le mot socialisme est sans doute dépassé »‑ et à partir d’un seul mot voilà déjà une petite phrase. Peu de politiques oseraient manier comme lui les mots apartheid (« il y a un apartheid territorial, social, ethnique qui s’est imposé à notre pays »), guerre (« le FN peut conduire à la guerre civile »), antisionisme (« l’antisionisme, c’est-à-dire tout simplement le synonyme de l’antisémitisme et de la haine d’Israël »).

Ses discours officiels comportent souvent une phrase destinée à être reprise par les médias et les réseaux sociaux. Son premier discours de politique générale, après sa nomination à Matignon en 2014, commençait ainsi : « Trop de souffrance, pas assez d’espérance, telle est la situation de la France ». La triple rime était habile : les sciences cognitives ont montré que les rimes donnent un sentiment de vérité. En l’occurrence trop habile, peut-être : quatorze mots étaient déjà trop pour faire un titre. Raccourcie à « Trop de souffrance, pas assez d’espérance » dans le titre d’une dépêche AFP, la phrase a souvent été reproduite dans cette version croupion.

Petite phrase en attaque ou en défense

Manuel Valls sait aussi qu’une phrase sans malice peut devenir une petite phrase proprio motu[1] – le plus souvent défavorable à son auteur – y compris sur les thèmes les plus inattendus. Il a éprouvé lui-même le phénomène au mois de mars 2016 après avoir déclaré sur RTL que « les conditions ne sont pas réunies pour que Karim Benzema revienne en équipe de France ». Cette opinion avait soulevé la fureur de l’intéressé et un certain émoi chez les passionnés de football. Il avait fait de son mieux pour la déminer quelques jours plus tard sur Stade 2 (on note le choix d’une émission sportive pour éviter d’élargir le débat) en déclarant : «Je ne veux absolument pas polémiquer avec Benzema. C'est par ailleurs un formidable footballeur». Lors de la même émission, il avait aussi cherché à faire oublier sa première petite phrase par une seconde, positive : « L’Euro 2016 doit se tenir et il va se tenir ».

Manuel Valls apprécie aussi les petites phrases chez les autres. Dans Pour en finir avec le vieux socialisme et être enfin de gauche (2008), il a dit son admiration pour Clemenceau, grand spécialiste des formules qui font mouche. De Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen, il a cité dans un discours officiel : « le Code du travail se veut protecteur et rassurant, il est devenu obscur et inquiétant ». Et il sait qu’il faut parfois intervenir, au cas où une phrase menacerait de devenir trop marquante. Ce fut le cas fin janvier 2016. Christiane Taubira venait de démissionner en lançant : « Parfois résister c’est partir », formule reprise à l’envi par la presse et les médias sociaux. Dès le lendemain, profitant d’une réception de la presse, Manuel Valls avait répliqué : « Résister aujourd’hui, ça n’est pas proclamer, ça n’est pas faire des discours, résister c’est se confronter à la réalité du pays ».

Une petite phrase pour l’appareil ou pour l’opinion ?

D’après les moteurs de recherche, Manuel Valls est le troisième homme politique français le plus souvent associé à l’expression « petite phrase », derrière les deux derniers présidents de la République. Nul n’illustre mieux que lui la différence entre langue de bois et petite phrase : ses formules ne sont pas destinées à être aussitôt oubliées, elles visent à marquer les esprits. Plus d’une fois, il a heurté les adhérents de son parti avec des formules comme « la gauche peut mourir », « je suis contre l’instauration de quotas de migrants », « la TVA sociale est une mesure de gauche » ou « nous devons déverrouiller les 35 heures ». Délibérément. Jouer l’opinion contre l’appareil socialiste, c’est ce que deux biographes appellent la « méthode vallsiste »[2]. Ils citent ainsi Manuel Valls : « Le jeu médiatique a une fonction d’existence. Exister, c’est un bouclier. Ça vous protège. Si vous n’êtes pas fort dans l’appareil, il faut être fort dans les médias. J’ai donc bâti une construction dans l’opinion. »

Cette méthode est-elle valable pour une élection primaire ? Là, il s’agit de satisfaire les électeurs socialistes et sympathisants. Or la proportion des « durs » a progressé dans le parti tandis que les modérés s’en détournaient. Il est vrai aussi que la proportion relative des élus et de leurs entourages qui ont des postes à défendre s’est aussi accrue – et ceux-là devraient être plus enclins à suivre un candidat qui « joue l’opinion », si cela peut sauver l’appareil. Laquelle de ces deux logiques Manuel Valls aura-t-il choisie ? La petite phrase phare de sa déclaration de ce soir devrait en dire beaucoup sur la stratégie retenue.

Michel Le Séac'h


[1] Mais parfois avec l’aide de certains médias. En l’occurrence, la petite phrase de Manuel Valls avait été reprise par l’AFP dans un titre de dépêche.
[2] David Revault d’Allonnes et Laurent Borredon, Valls à l’intérieur, Robert Laffont, 2014.

Photo : [c] Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons


Note d’après discours : Finalement, Manuel Valls n’a pas vraiment choisi ! Sa petite phrase, sur laquelle il a conclu sa déclaration de candidature, n’est autre que le slogan qu’on pouvait lire dès la première seconde sur son pupitre : « Faire gagner tout ce qui nous rassemble ». Habitué des formules clivantes, il change de personnage pour devenir consensuel. Cette mutation suffit-elle à susciter l’émotion et marquer les esprits ? On peut en douter. À ce discours, il manquait quelque chose. Même les meilleurs communicants ont parfois des passages à vide – mais le moment, en l’occurrence, était malencontreux. À défaut de texte, Manuel Valls a-t-il soigné l’image, nouant sa cravate de travers en signe de continuité avec le président de la République ? On note aussi que les « minorités visibles » formaient environ un tiers de la brigade d’acclamations réunie autour de Manuel Valls. Mais peut-être était-elle simplement représentative de la population d’Évry et non porteuse de quelque message politique. (Illustration : copie partielle d'un écran BFM TV)