31 janvier 2025

« Submersion » : impair, passe ou gagne pour François Bayrou

 Le sort d’une petite phrase est déterminé par le public, qui peut être imprévisible.

Le 27 janvier, interrogé par Darius Rochebin sur LCI à propos de l’accueil des migrants en France, François Bayrou déclare : « Je pense que la rencontre des cultures est positive, mais dès l'instant que vous avez le sentiment d'une submersion, de ne plus reconnaître votre pays, de ne plus reconnaître les modes de vie ou la culture, dès cet instant là vous avez rejet ».

Cette considération du Premier ministre déclenche aussitôt une sorte de tremblement de terre politique avec pour épicentre le mot « submersion ». Les réactions sont très nombreuses, en particulier chez les socialistes, que François Bayrou tentait de convaincre d’accepter son budget afin d’éviter un recours à l’article 49.3 suivi d’une motion de censure. « Après sa petite phrase sur la submersion migratoire, rien ne va plus pour le Premier ministre », constate TMC mardi. « Les négociations sont officiellement au point mort entre le gouvernement et le parti socialiste à la veille d'un vote capital par les députés et les parlementaires. »

Extrait d'une copie d'écran TF1 Info
Reproche adressé à François Bayrou : il utilise un vocabulaire venu du Rassemblement national. Que le mot « submersion » soit familier au Rassemblement national, cela ne fait aucun doute. Un communiqué de Marine Le Pen publié le 16 janvier 2018 était ainsi intitulé « Immigration : face à la submersion, les Français attendent de la fermeté ! » Mais paradoxalement, l’expression est encore plus largement employée – donc diffusée – par ceux qui entendent la dénoncer. Jean-Christophe Cambadélis évoque par exemple « la supposée submersion migratoire » dans Chronique d’une débâcle (L’Archipel, 2017). Le « sentiment » de submersion migratoire est aussi constaté par des observateurs neutres. Jérôme Fourquet a publié en 2016 aux Éditions de l’Aube un livre intitulé Accueil ou submersion ? Regards européens sur la crise des migrants. Par ailleurs, l’expression prolonge naturellement le concept de « flux migratoire » couramment utilisé par les démographes depuis des décennies.

Diaboliser une expression réclame un travail de communication intense et vigilant. Il a été accompli avec un certain succès pour « seuil de tolérance » ou « grand remplacement ». Au tour de « submersion migratoire » ? Le Parti socialiste réclame au Premier ministre un changement de vocabulaire en menaçant de le censurer sur la question du budget : censure politique contre censure lexicale, en somme.

Un bras de fer qui tourne mal

La presse française estime majoritairement que le Premier ministre est mis en difficulté par cette affaire. « Bayrou en mauvaise position », assure TMC. « Le Premier ministre a choqué jusque dans son camp », estime Ouest-France. François Bayrou refuse pourtant de faire amende honorable. « Ce ne sont pas les mots qui sont choquants, c’est les réalités », maintient-il à l’Assemblée nationale face à Boris Vallaud, président du groupe socialiste. Non seulement il persiste et signe, mais il aggrave son cas !

Ou pas… Car, de quelque manière qu’on l’exprime, le sentiment que trop d’immigrés arrivent en France est largement majoritaire dans l’opinion, de nombreux sondages l’ont montré ces dernières années. Le bras de fer politico-lexical déclenché par le Parti socialiste est loin d’être gagné d’avance. Peut-être même est-il déjà perdu. Un sondage réalisé par Elabe pour BFMTV ce mercredi montre que 74 % des Français se rangent du côté de François Bayrou. Pas mal pour un Premier ministre qui, quelques jours plus tôt, n’obtenait que 20 à 25 % d’opinions favorables. Ce résultat a de quoi refroidir ceux qui envisageaient de joindre leur voix à celle des socialistes (et pourrait susciter des émules).

Corrélativement, le débat sur le vocabulaire occulte le débat parlementaire. LFI, qui comptait occuper le centre du jeu en déposant une motion de censure, voit l’attention des médias se détourner vers un autre objet. La députée LFI Alma Dufour tente de la recentrer en déclarant à BFM TV : « Les socialistes s'honorent à considérer la censure, pas que pour une histoire de petite phrase, parce que cette phrase intervient, déjà c'est la phrase de trop, et effectivement c'est une concession de trop faite au Rassemblement national, mais aussi parce que le pays va très mal. »

Si les socialistes votent la censure, ils risquent de donner tout à la fois l’impression de s’incliner devant leur allié et de sanctionner le gouvernement en raison d’un mot validé par les trois quarts des Français. S’ils ne la votent pas, ils descendent d’un cran vers l’insignifiance. Paradoxalement, le Rassemblement national pourrait être tenté, lui, de voter la censure afin de montrer qu’un terme isolé ne suffit pas à combler un fossé politique. Même réduite à un seul mot, une petite phrase peut peser un poids réel et significatif dans la vie politique d’un pays.

Michel Le Séac'h

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