À l’approche de sa réélection en 2022, Emmanuel Macron avait
paru soucieux d’éviter les formules maladroites qui l’avaient probablement
desservi aux premiers temps de son mandat[i]
(« je traverse la rue », « on met un pognon dingue dans les
minima sociaux », « des gens qui ne sont rien »…). À la
toute fin de l’année, pourtant, lors de ses vœux pour 2023, il semble avoir
retrouvé cette veine avec « Qui aurait pu prédire […] la crise
climatique ? »
Les médias ont largement qualifié de « petite
phrase » cette question rhétorique, parfois dès leurs titres :
- Vœux
: la phrase d'Emmanuel Macron sur le climat qui ne passe pas – Le
Point
- Vœux
de Macron : "Qui aurait pu prédire la crise climatique ?", cette
petite phrase qui agace les scientifiques du Giec – Midi
libre
- «
Qui aurait pu prédire la crise climatique ? » : la petite phrase polémique
d’Emmanuel Macron – Ouest-France
- "Qui
aurait pu prédire la crise climatique ?" : la petite phrase
d'Emmanuel Macron agace les scientifiques – Francetvinfo
- Une
petite phrase d’Emmanuel Macron a bien du mal à passer à propos du
réchauffement climatique – Sud Radio
- Les
scientifiques ont-ils raison d'être en colère après la petite phrase
d'E.Macron sur la crise climatique ? – France
Bleu
- Nicolas
Poincaré : La petite phrase polémique d'Emmanuel Macron sur le climat ‑ BFMTV
Le thème de la « petite phrase qui ne passe
pas » est repris par Francetvinfo,
Orange,
Gala,
Le
Huffington Post, L’Indépendant
et quelques autres. Les échos de la déclaration présidentielle retentissent même
à l’étranger. Elle suscite d’innombrables réactions dans les milieux
politiques et scientifiques. Bien entendu, la plupart des commentateurs
rappellent que le thème du réchauffement global est ancien : le premier
rapport du GIEC date de 1990. La crise climatique est au centre de maints
travaux de recherche et d’innombrables conversations de bistro. « "Qui
aurait pu prédire la crise climatique ?" Eh bien, beaucoup de gens,
monsieur le président… », ironise
L’Obs. C’est tellement évident que personne ne semble capable
d’expliquer de manière plausible la logique du propos présidentiel.
Erreur délibérée ou simple gaffe ?
Interrogé par Le
Point, Philippe Moreau-Chevrolet voit dans cette phrase une « erreur
de communication » tout en envisageant qu’elle soit délibérée : « On
peut y voir une démarche populiste pour parler à l'électorat qui vit l'écologie
de manière punitive. Ou alors une phrase destinée à justifier une forme
d'inaction environnementale. Une sorte de révisionnisme à dire qu'il n'y avait
pas de consensus politique et qu'on ne pensait pas que ce serait si
fort. » Autrement dit, c’est à n’y rien comprendre !
Pour le conseil en communication, « c'est dommage,
car c'était un discours tiède et insipide dont on va retenir cette phrase,
probablement rédigée trop vite sur un coin de table. » Elle serait
donc de la veine des gaffes d’avant 2017 comme « le libéralisme est une
valeur de gauche » ou « il n’y a pas une culture française, il
y a une culture en France ».
Cette thèse du coin de table est-elle soutenable ? Le
texte des vœux présidentiels, reproduit sur
le site web officiel de l’Élysée, a certainement été soupesé par une équipe
de communicants chez qui l’amateurisme de Sibeth Ndiaye[ii]
n’est plus de mise. Et Emmanuel Macron n’a sûrement pas oublié les éloges que
lui avait valu « Make our planet great again[iii] ».
Il sait aussi ce que l’image de Jacques Chirac doit à « notre maison brûle et
nous regardons ailleurs ». Est-il possible qu’il ait à ce point perdu
de vue son simple intérêt politicien ?
Un portrait par les petites phrases
Bruno Le Maire, Agnès Pannier-Runacher et les autres
ministres qui ont tenté de corriger le tir dans les premiers jours de l’année
ont tenu à rappeler les positions prises par Emmanuel Macron depuis son
élection dans le domaine de l'écologie. Ils n’ont fait qu’approfondir le mystère :
si le président est conscient du problème, pourquoi semble-t-il dire qu’il était imprévisible ?
L’explication la plus vraisemblable est plus
prosaïque : thème anecdotique dans le discours, la crise climatique a été
traitée par-dessous la jambe. Voici
l’intégralité du passage où elle est abordée :
Je repense aux vœux que je vous présentais à
la même heure, il y a un an. Qui aurait imaginé à cet instant, que, pensant sortir avec beaucoup de difficultés
d’une épidémie planétaire, nous aurions
à affronter en quelques semaines, d’inimaginables défis : la guerre
revenue sur le sol européen après
l’agression russe jetant son dévolu sur l’Ukraine et sa démocratie ; des
dizaines, peut-être des centaines de milliers de morts, des millions de
réfugiés, une effroyable crise énergétique, une crise alimentaire menaçante,
l’invocation des pires menaces, y compris nucléaires ? Qui aurait pu
prédire la vague d’inflation, ainsi déclenchée ? Ou la crise climatique
aux effets spectaculaires encore cet été dans notre pays ?
Pour quarante-huit mots sur la guerre en Ukraine, treize sur
la crise climatique. Le président revient brièvement sur le thème de
l’environnement dans la suite de son discours[iv].
Mais
globalement, ce thème n’y occupe qu’une place mineure et n’a peut-être pas reçu
toute l’attention nécessaire. La question « Qui aurait pu
prédire… ? » n’était peut être applicable qu’à l’inflation dans
l’esprit des rédacteurs. Ou peut-être concernait-elle les « effets
spectaculaires encore cet été », que personne n’avait vu venir, et non
la crise climatique en tant que telle. La thèse du « coin de
table » n’est pas absurde, finalement.
Les communicants de l’Élysée auront sans doute senti le vent
du boulet. Si une phrase du président est ambiguë, mal construite, les médias
et l’opinion demeurent tout disposés à l’interpréter de la manière la plus défavorable.
Comme au temps des Gilets jaunes. En ce temps-là, leur quête de petites phrases
présidentielles pouvait dénoter le désir de se faire un portrait d’un personnage
encore mal connu. L’est-il mieux aujourd’hui ? Pas sûr. Les mêmes causes
produisent les mêmes effets.
Michel Le Séac’h
[i] Voir Michel
Le Séac’h, Les petites phrases d’Emmanuel Macron, Paris, Librinova,
2022, chapitre 1.
[iv] « Parce que la
transition écologique est une bataille que nous devrons gagner, il
nous faut la mener avec résolution et méthode. La planification
écologique sera l’instrument de ce dépassement historique pour baisser nos
émissions de C02 et sauver notre biodiversité. »
Illustration : copie partielle d'écran, site elysee.fr