14 décembre 2024

Les petites phrases de François Bayrou

En cinquante ans de carrière, François Bayrou, ancien député, ancien ministre, ancien président de conseil général, maire d’une grande ville, président d’un grand parti politique depuis près de vingt ans, a eu le temps et l’occasion de prononcer des petites phrases présentées comme telles par les médias.

La plus connue, assure Evene/Le Figaro, est certainement : « Tu ne me fais pas les poches » (2002). Les tournures négatives sont peu propices aux petites phrases, sauf quand leur sémantique est positive (« ils ne passeront pas »…). En l’occurrence, celle-ci est accompagnée d’un geste spectaculaire, immortalisé par une vidéo : une petite gifle à un jeune pickpocket (l’Institut national de l’audiovisuel qualifie l’apostrophe de François Bayrou de « petite phrase »). Ce n’est pas le coup de francisque accompagnant le « Souviens-toi du vase de Soissons » de Clovis en 486, mais autres temps, autres mœurs, et la phrase est bien à l'impératif… Bien qu’illégal, le geste de François Bayrou paraît largement salué par l’opinion.

En l’occurrence, cette petite phrase est « sauvage », spontanée. François Bayrou affirme à maintes reprises son hostilité aux petites phrases « de culture ». En 1996, alors ministre de l’Éducation nationale, interrogé sur France Inter par  Pierre Le Marc, Franz-Olivier Giesbert et Gilbert Denoyan, il déclare : « il est indispensable pour la majorité qu'elle accepte de présenter aux Français un langage cohérent, qu'elle arrête de se disputer, qu'elle arrête de faire des petites phrases et qu'elle se resserre autour de ceux qui, en son nom, conduisent l'action gouvernementale. » En 2012, questionné sur la littérature par Clément Solym pour Actualittés, il répond : « il faut que [les responsables politiques] aient derrière eux un peu de passé, quelques livres lus, une connaissance de l'histoire de notre pays et peut-être une compréhension des enjeux du monde. C'est mieux que de faire des discours à base de petites phrases. »


Il lui arrive aussi de s’en prendre à des petites phrases spécifiques, par exemple de Benjamin Griveaux (« Wauquiez est le candidat des gens qui fument des clopes et qui roulent au diesel ») ou de François Fillon (« je suis gaulliste et de plus je suis chrétien »). Inversement, il répudie leur usage pour lui-même. En 2006, interrogé sur France Inter par Nicolas Demorand, il répond : « Je suis en face de vous et je vous parle et je ne suis pas en train de faire des petites phrases préparées par des conseillers en communication, je vous parle comme un homme parle à un autre homme, un homme parle à une femme. »

Il arrive néanmoins que sa sincérité soit mise en doute. Début 2024, quand il n’obtient pas de poste dans le gouvernement Attal, Nicolas Beytout se gausse : « Adepte des petits marchandages et de la petite phrase, François Bayrou va ainsi retrouver, au sein des dépouilles de la majorité, la posture qu’il a toujours affectionnée, celle de la corde qui soutient le pendu. »

Parmi ses formules souvent citées par la presse figurent notamment :

  • Rassembler les centristes, c'est comme conduire une brouette pleine de grenouilles : elles sautent dans tous les sens
  • À 4 000 euros par mois, on n'est pas riche

mais surtout bon nombre de critiques personnelles comme :

  • Tout ce que Sarkozy demande [à Jean-Louis Borloo], c'est de taper sur moi.
  • La Simone Veil que j'ai soutenue et admirée ne doit pas accepter la création d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale.
  • [Nicolas Sarkozy] croit qu'en ayant les élus on a les électeurs, qu'en montrant les anciens on a les élections, qu'en faisant des promesses on a les suffrages.
  • Président de la République, ça veut dire quelque chose de lourd, et parfois il y avait à mes yeux un peu trop de youp’ la joie ! (À propos du premier quinquennat d’Emmanuel Macron)

Si François Bayrou s’en prend parfois nominativement à ses adversaires politiques, il fait lui-même l’objet d’une petite phrase très remarquée de Nicolas Sarkozy : «Pour désespérer de François Bayrou, encore faudrait-il que jaie un jour placé de lespoir en lui.» Largement citée par la presse, elle vaut à son auteur le Grand prix de l’humour politique 2015 décerné par le Press Club. « Un humour extrêmement raffiné », commente François Bayrou. Sarkozy, qui lui garde un chien de sa chienne depuis qu’il a appelé à voter Hollande en 2012, ne s’en tient pas là. « Il me cherche tous les jours, matin, midi et soir », assure Bayrou, qui ne dédaigne pas de répondre sur le même ton : « Celui qui a fait battre Sarkozy en 2012, c'est Sarkozy lui-même. »

Ses petites phrases valent à François Bayrou de solides inimitiés mais leurs traces dans l’opinion paraissent peu durables. Dans le classement des émetteurs, il occupe un rang moyen. Peut-être parce que, malgré ses trois campagnes présidentielles, sa participation au combat des chefs est rarement frontale. Ainsi, les quatre exemples de petites phrases personnalisées ci-dessus sont des formulations indirectes, non des confrontations directes ; une seule, à propos de Sarkozy, concerne un affrontement au sommet entre candidats à une élection présidentielle. « Tu ne me fais pas les poches » s'adresse en direct à un adversaire, mais celui-ci est un enfant.

L'éphémère « moment Bayrou »

Les sondages font néanmoins de François Bayrou un présidentiable crédible face à Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal pendant une brève période de la campagne présidentielle de 2007. Le politologue Xavier Mellet y voit un « moment Bayrou » et une « bulle médiatique »[1]. Il explique : « Le chef semble émerger de lui-même, porté par les questionnements qu’il suscite dans la sphère politico-médiatique et les effets que sa montée produit sur la compétition électorale. Ses qualités personnelles (son honnêteté, ses origines sociales, ses compétences, etc.) sont apparues principalement dans les contenus médiatiques en justification d’un constat préalable de sa popularité et de sa capacité à troubler le jeu politique. » Autrement dit, son ethos s’est affirmé. Mais il a vite fléchi. François Bayrou n’a pas profité de ce moment favorable pour pousser son avantage personnel.

Il insiste au contraire sur les aspects programmatiques de la campagne. À partir du 10 mars, il s’en prend à la volonté de N. Sarkozy de créer un « ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ». Dans les jours suivants, sa cote baisse dans les sondages : le « moment Bayrou » est passé et ne reviendra pas de sitôt.

Éternel pourfendeur du bipartisme[2], François Bayrou devient Premier ministre parce que le bipartisme ne fonctionne plus, mais pas du tout comme il l’avait prévu. On imagine mal qu’à ce poste il se montre aussi économe de petites phrases que Michel Barnier. Mais ce nouveau « moment Bayrou » en fera aussi une cible privilégiée.

Michel Le Séac’h

Photo FMT, Licence CC-BY-4.0

Voir aussi : "Submersion" : impair, passe ou gagne pour François Bayrou, 31 janvier 2025


[1] Xavier Mellet, « Le moment Bayrou comme bulle médiatique lors de l’élection présidentielle de 2007 », Mots. Les langages du politique [En ligne], 121 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/mots/25844 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mots.25844

[2] Jean-Henri Roger et Pascal Thomas, Bayrou, ou comment sortir de la logique du bipartisme, Le Monde, 17 avril 2007, https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/04/17/bayrou-ou-comment-sortir-de-la-logique-du-bipartisme-par-jean-henri-roger-et-pascal-thomas_897199_3224.html

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