Les petites phrases sont rarement négatives à l’égard d’un électorat nombreux. Il est moins risqué de s’en prendre aux « riches » qu’aux « vieux », par exemple. Aussi la position de François Bayrou à l’égard des boomers a-t-elle surpris.
Mercredi 27 août 2025, interrogé pr Gilles Bouleau
sur TF1, le Premier ministre conclut, après un exposé sur les dangers imminents
de la dette publique : « Tout ça pour le confort de certains partis
politiques et pour le confort des boomers, comme on dit, qui de ce point de vue
là considèrent que, ma foi, tout va très bien ». Plusieurs commentateurs
qualifient cette sortie de « petite phrase ». « La petite phrase
de François Bayrou : les boomers sont-ils vraiment égoïstes et
privilégiés ? » demande
ainsi La Croix sur son compte Facebook.
Le durcissement du message, du « confort des boomers » à l’égoïsme et aux privilèges, tel que le formule La Croix, est répandu. La génération visée, celle d’après la Deuxième Guerre mondiale, est clairement tentée de voir dans cette formule, et peut-être dans le simple mot « boomers », une agression caractérisée. Les réactions sont nombreuses, comme le note 20 Minutes le lendemain : « Une petite phrase qui a, rarement, engendré autant de réactions dans l’appel à témoignages lancé par 20 Minutes jeudi matin. Pas moins de 416 contributions étaient enregistrées en ce milieu d’après-midi ».
Le Premier ministre recherchait-il un tel effet ?
Sibeth Ndiaye ne le pense pas. Interrogée
sur LCI par Emma Allamand, elle affirme : « J'ai l'occasion,
depuis maintenant de nombreuses années, de côtoyer François Bayrou, que ce soit
dans des réunions qui sont publiques ou pas, il a toujours eu cette espèce de
liberté de parole qui parfois dérape et le dépasse ». Mais en la matière,
celle qui fut la communicante d’Emmanuel Macron lors de ses débuts
présidentiels n’a pas toujours été bien inspirée (« on
met un pognon dingue dans les minima sociaux », c’est d’elle).
On écoutera plus volontiers l’avis
exactement inverse d’Ariane Ahmadi, rapporté sur le site Actu par Léa
Giandomenico, qui propose « un point sur la petite phrase sortie par
le Premier ministre hier soir ». Pour la dirigeante de Kerman Consulting, « la
question de la communication politique sur la dette implique de mettre en
responsabilité des gens. Pourquoi choisit-il les seniors ? D'abord, il veut
sûrement éviter que les Français se disent que la restriction de la dette va
peser sur les Français les plus précaires, les classes les plus défavorisées,
et les jeunes. Et puis il y a un clivage intergénérationnel assez fort, en
l’état il a dû penser que taper sur les privilèges des boomers était plus
intéressant vu le contexte socio-politique actuel. » Le Premier ministre
soulignerait ainsi « qu’il est dans un
moment de vérité et plus dans
un moment de séduction électorale ».
Une petite phrase évidemment calculée
Une telle stratégie n’est concevable que dans
une optique de rupture. Le Premier ministre ne chercherait pas à éviter la
censure mais à scénariser sa sortie de l’hôtel Matignon. « Évidemment que tout ce que dit François Bayrou depuis son annonce de la motion de confiance est une
préparation à gérer sa réputation
après cette séquence, il prépare sa sortie, et cela va au-delà de l’électoralisme,
c’est en termes d’image et de crédibilité », considère Ariane Ahmadi.
Son intervention à TF1 contient en fait plusieurs formules susceptibles de devenir des « petites phrases », probablement délibérées. Toujours à propos de la dette, il compare la France à « un bateau qui a une voie d’eau » et fustige l’aveuglement des gens qui disent « T’en fais pas Simone, le bateau flotte encore ». Il affirme aussi ne pas avoir pu discuter du budget avec les dirigeants de l’opposition « parce qu’ils étaient en vacances », ce que Cyprien Pézeril, sur RMC, présente comme « la petite phrase de François Bayrou qui fait hurler les oppositions ». Mais bien entendu, une moquerie envers la classe politique frappe moins qu’une critique envers une douzaine de millions de Français nés entre 1945 et 1965.
Et, la vidéo en est témoin, il est clair que l’effet était recherché. Dès les premières minutes d’entretien, François Bayrou déclare : « on est irresponsable pour les plus jeunes des Français. Vous vous rendez compte… On a réussi un truc que… je trouve que ça sera dans les livres d’histoire… Le pays est écrasé sous la dette,[…] et on dit ben c’est pas grave, les partis politiques vont voter contre ». Et il y revient tout à fait à la fin, il passe en force quand Gilles Bouleau manifeste l’intention d’achever l’entretien. Voici ses dernières phrases : « Encore une fois, qui vont être les victimes ? Les premières victimes, c’est les plus jeunes des Français à qui on a réussi à faire croire – je disais tout à l’heure, ça sera dans les livres d’histoire – c’est eux qui seront les victimes, c’est eux qui devront payer la dette, pendant toute leur vie, et on a réussi à leur faire croire qu’il fallait encore l’augmenter ! Vous ne trouvez pas ça génial ? Tout ça pour le confort de certains partis politiques et pour le confort des boomers, comme on dit, qui de ce point de vue là considèrent que, ma foi, tout va très bien. Je crois moi que la lucidité c’est la première vertu d’une nation et la volonté de s’en sortir. »
Boomers émissaires
Politicien chevronné, parfois qualifié de
« madré », François Bayrou ne parle pas innocemment. Agrégé de
lettres, auteur de nombreux livres, il a été journaliste et a rédigé bien des
discours, jadis, pour Jean Lecanuet, chef de parti, ou Pierre Méhaignerie,
ministre de l’Agriculture. Comme beaucoup d’hommes politiques, il
condamne volontiers les petites phrases mais sait en jouer à l’occasion. Il
nourrit depuis longtemps une vision générationnelle. Dans Au nom du
tiers-état (Hachette littératures, 2006), il évoquait « un pays comme
le nôtre qui va voir partir à la retraite les générations les plus importantes
du baby-boom, avec plein d’énergie, avec une grande expérience de la vie, et
avec la volonté de servir. »
Dans Projet d’espoir (Plon, 2013), il s’inquiétait :
« Nous aurions dû avoir à cœur de ne pas laisser un euro de dette à nos
enfants sur nos dépenses de santé ! L’explosion du nombre des personnes
âgées est inéluctable et avec elle celle de la charge des retraites. […] Les
engagements déjà pris en matière de retraite sont si lourds que nos enfants,
tel le géant Atlas de l’Antiquité qui portait l’univers sur les épaules, vont
avoir à porter un fardeau qui dépasse leurs capacités. La charge qu’ils devront
assumer est sans comparaison possible avec celle que nos générations, celles du
baby-boom, ont dû assumer. Jamais dans l’histoire de l’humanité un tel poids ne
s’est trouvé si lourd sur les épaules des hommes en âge de travailler ».
« Si par sa petite phrase, François Bayrou a
certainement cherché à s’attirer les faveurs de la jeunesse, il a également
pris le risque de nourrir le ressentiment d’une génération envers l’autre »,
estime Solène Vary dans Le Figaro. Mais tandis qu’une nouvelle
cohorte de jeunes rejoint l’électorat chaque année, une fraction des boomers
le quitte définitivement. Le thème des boomers émissaires pourrait devenir
majeur lors de l’élection présidentielle de 2027 dans une France dégradée par
les agences de notation, voire sous tutelle du FMI. François Bayrou pourrait
avoir fait l’histoire comme son héros Henri IV.
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François
Bayrou est loin d’être le seul à s’être inquiété du fossé entre les boomers et
la jeunesse. Exemples de livres parus ces dernières années. |
Michel Le Séac’h
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