Mais comment fait-elle ? À 39 ans, Marlène Schiappa revendique plus de trente livres, dont une dizaine publiés depuis 2017 ! Dans C’est une bonne situation, ça, ministre ?, seule parution de 2022 à ce jour, elle décrit sa vie de secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations (2017-2020) puis de ministre déléguée chargée de la Citoyenneté (2020-2022).
Comme Marlène Schiappa lit aussi un livre par jour (p. 264), sans préjudice de la liste quotidienne des « SMS d’alertes police », liste de tout ce qui s’est passé dans le pays au cours de la nuit (p. 277), cet ouvrage de 368 pages a été écrit vite, forcément. Trop vite parfois. « On m’a plongée d’emblée, comme Blandine dans la fausse [sic] aux lions, dans le grand bain médiatique » (p. 186), assure l’auteure, qui n’a pas pris soin de vérifier : les lions du cirque (la fosse, c’est Daniel) se sont inclinés devant sainte Blandine, finalement livrée à un taureau furieux.
Elle connaît mieux le métier de ministre que la vie des saints, bien sûr, mais cela ne signifie pas que son livre soit si riche en informations sur le premier. Il empile des anecdotes qui divertissent sans être très informatives. Il glisse parfois vers le livre politique classique et rasoir avec des déclarations de principe et des listes de mesures prises ou à prendre. Il dit du bien d’Emmanuel Macron, d’Édouard Philippe, de Jean Castex, de Gérald Darmanin et, à la dernière page, comme pour réparer un oubli, de Brigitte Macron. Surtout, il parle beaucoup, avec chaleur, de Marlène Schiappa.
Sous couvert de citation, quelquefois, ou en parlant d’elle-même à la troisième personne. Mais le plus souvent franco, sans circonlocutions ni fausse modestie : puisqu’elle est satisfaite d’elle-même, pourquoi ne pas le dire ? Ce premier degré est plutôt sympathique, d’ailleurs : professionnelle de la politique pour ainsi dire depuis sa petite enfance, l’auteure semble s’émerveiller sincèrement de ce qui lui arrive, à elle, fille de prolo élevée en HLM qui n’a pas fait d’études (trois détails pas totalement faux mais loin d’être totalement vrais). D’autres, à sa place, pourraient se sentir blasés.
Répliques culte et petites phrases
Marlène Schiappa, dans ce livre, ne parle guère de politique politicienne ni de campagnes électorales. Les petites phrases y occupent donc peu de place. En fait, elles ne sont expressément évoquées que… par sa sœur Carla, préfacière du livre : « Nous avons le cuir solide, mais j’avoue avoir parfois eu envie d’en découdre quand il y a eu trop de méchanceté ou de jalousie. Les petites phrases détournées, les vidéos tronquées, l’intrusion dans la vie privée, les moqueries font partie du package » (p. 12).
Le titre du livre, cependant, recycle une réplique culte du film Astérix et Obélix : Mission Cléopatre : « C’est une bonne situation, ça, scribe ? » Marlène Schiappa aime bien ce genre de clin d’œil. Une citation détournée de Spiderman (« Un grand pouvoir induit de grandes responsabilités ») lui a valu un « lynchage » sur les réseaux sociaux (p. 264). L’un des chapitres de son livre est intitulé « No women no cry », titre d’une chanson de Bob Marley (p. 153). Un autre reprend l’adage latin « De minimis non curat praetor » (p. 258). Un troisième, « Jamais sans son gilet » (p. 281), évoque Jamais sans ma fille au temps des « gilets jaunes ».
Tout de même, la ministre a aussi ses propres petites phrases et consacre un chapitre à la plus fameuse d’entre elles : « On ne va pas s’interdire les plans à trois » (p. 205). Cette gaillardise, à l’occasion du vote d’une loi contre la polygamie, lui a valu un prix de l’Humour politique. L’humour n’est pas sans risque en politique. Le sexe non plus. Marlène Schiappa se rassure en disant que « la France reste le pays du marivaudage et du libertinage » (p. 205). Mais le danger pour elle serait de s’imposer comme un sex symbol plutôt que comme une personnalité politique.
Invitation à la caricature
Elle a résolument fait du féminisme son territoire politique. Elle a le sentiment de l’incarner. Au point d’en créer le vocabulaire, elle le dit modestement via un témoin, d’autant plus sincère qu’il ne l’aime pas : « "Féminicide, c’est quoi ce mot ? Encore un truc de féministe inventé par Schiappa ! Personne ne l’utilisera !", lance avec une clairvoyance remarquable un chroniqueur des Grandes Gueules sur RMC » (p. 229). (Clairvoyance limitée cependant vers l’arrière, puisque « féminicide » était déjà utilisé au 20e siècle par René Dumont, et même au 19e s. à propos de Barbe-Bleue.)
Or son féminisme est très sexué. Son image publique s’en ressent. Communication oblige, elle assure éprouver « respect et considération » pour les journalistes. Mais elle ne dissimule pas tout le mal qu’elle en pense. Elle ne peut donc pas trop compter sur leur bienveillance. « Des centaines d’articles dans la presse en ligne écrivent tout et n’importe quoi, de préférence n’importe quoi », s’afflige-t-elle. « Tout est bon pour me faire passer pour une bimbo » (p. 187). Autrement dit, c’est sur le thème du sexe que son image publique se construit.
Elle l’a plus qu’un peu cherché. Elle a publié une douzaine d’ouvrages érotiques. Elle a joué sur scène Les Monologues du vagin. Elle ne recule pas devant des références lestes : « Alors, comme disait Arletty : "Mon cœur est français… ", vous connaissez la suite ! » (p. 207). Son point d’exclamation semble plus un clin d’œil complice qu’un geste de pudeur tardive (pour qui ne connaîtrait pas « la suite », Arletty ajoutait : « mon cul est international »). Si sa sortie sur les « plans à trois » a marqué, c’est justement parce qu’elle cadrait bien avec son personnage.
Marlène Schiappa a de bons arguments à faire valoir sur ce terrain. Le tout est d’en faire un élément d’image sans s’y laisser enfermer, d’être sex symbol ET leader politique à la fois. C’est une voie étroite…
Michel Le Séac’hMarlène Schiappa, C’est une bonne situation, ça, ministre ? -- Éditions de l’Observatoire/Humensis, Paris, 2022 -- ISBN 979-10-329-2071-8 -- 368 pages, 22 euros.