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26 juin 2022

Une petite phrase implicite née d’un seul mot ?

Dans leur chasse aux informations inexactes, les Décodeurs du Monde se penchent parfois sur des petites phrases. Pour conclure, le cas échéant, qu’elles sont erronées, ou qu’elles n’ont pas été vraiment dites, ou qu’elles ont été détournées, ou qu’elles ont été mal comprises. Mais si une petite phrase se reconnaît d’abord au fait qu’elle est citée comme telle par des médias ou sur des réseaux sociaux, les Décodeurs, contribuent aussi à produire des petites phrases !

Ils se sont néanmoins dotés d’une sorte de définition de la petite phrase, reproduite en exergue de certaines de leurs analyses ces dernières années : « Une ‘petite phrase’ se retient vite, se détourne, se propage de réseau en réseau et se retourne contre la personne qui en est à l'origine. Parfois à tort, car les propos réellement tenus sont moins caricaturaux. » Elle a été appliquée à des propos de Gilles Le Gendre, Greta Thunberg, Agnès Buzyn… et en dernier lieu d’Amélie de Montchalin.

C’était le 15 juin. L’éphémère ministre de la Transition écologique est alors en campagne pour les élections législatives. Les Décodeurs publient un article intitulé : « Amélie de Montchalin a-t-elle accusé son adversaire aux législatives, Jérôme Guedj, d’antisémitisme ? » Il commence ainsi : « Une phrase de la ministre de la transition écologique sur son adversaire aux législatives a été critiquée ces derniers jours. La voici remise dans son contexte. » C’est même un peu plus qu’une affaire de contexte.

Alexis Corbière (LFI) s’indigne sur Public Sénat : « J’ai vu Mme de Montchalin, (…) elle est face à un monsieur que vous connaissez, Jérôme Guedj, [disant] qu’il aurait des relents d’antisémitisme. » Jules Pecnard, de Marianne, assure sur Twitter qu’« Amélie de Montchalin en remet une couche » et évoque à propos de Jérôme Guedj « une forme d’antisémitisme ». Ces propos se répandent aussitôt sur les réseaux sociaux.

La puissance d’un seul mot ?

Comme le relatent les Décodeurs, Mme de Montchalin a déclaré en réalité, sur CNews : « Quand vous voyez que certains qui étaient au Parti socialiste, responsables des enjeux de laïcité et des valeurs républicaines, sont aujourd’hui estampillés Nupes, où certains dans le même camp n’ont aucune difficulté à manifester avec l’antisémite Jeremy Corbyn. » Jamais elle n’a dit : « Guedj est un antisémite ». Mieux : personne ne dit qu’elle l’a dit. Mais beaucoup le sous-entendent dans leurs commentaires : à amalgame, amalgame et demi.

Qu’une petite phrase soit dénoncée sans avoir été vraiment prononcée, c’est relativement courant. Ici, la petite phrase fabriquée n'est pas non plus explicitée : elle n'est citée que de manière allusive. Et pourtant elle est là, elle fait débat, les Décodeurs en témoignent. C’est ce qui fait l’intérêt de cet épisode par ailleurs anecdotique. Comment expliquer un tel phénomène ? Se pourrait-il que le mot « antisémite » possède une puissance sémantique telle qu’il soit capable d'engendrer dans les esprits, de proche en proche, des petites phrases virtuelles ?

Michel Le Séac’h