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13 juillet 2022

Macron : « Ça m’en touche une sans bouger l’autre »

Critiqué à retardement pour avoir reçu les dirigeants d’Uber du temps où il était ministre de l’Économie, Emmanuel Macron affecte, le 12 juillet, de mépriser l’attaque : « Ça m'en touche une sans bouger l'autre », dit-il. Non sans soulever des réactions. « La petite phrase du président éclipse presque la première séance de questions au gouvernement », note BFM TV.

Or, remarquent plusieurs commentateurs, tel Maxime Tandonnet dans Atlantico, ce n’est pas une petite phrase DU président, du moins pas de ce président-ci. « Comme disait un de mes prédécesseurs », signale d’ailleurs Emmanuel Macron lui-même, qui pense évidemment à Jacques Chirac. Réutiliser une petite phrase existante permet de récupérer une partie de sa force, c’est le principe même de toute citation. Éventuellement, elle permet de se parer des habits d’un personnage populaire.

Il y a cependant une différence majeure entre Emmanuel Macron et Jacques Chirac. Si le premier s’est exprimé face caméra, aucun enregistrement n’atteste des propos de Jacques Chirac. La phrase n’est connue que via deux ou trois témoins. En particulier Jean-Louis Debré, qui écrit :

Combien de fois l'ai-je entendu dire : "Ça m'en touche une sans faire bouger l'autre", "Les emmerdes c'est comme les cons, ça vole toujours en escadrille", "Je m'en tape le coquillard avec une patte d'alligator femelle", "ce sont des affaires de corneculs"...
Il aime provoquer par des expressions triviales, paillardes, rabelaisiennes.
(1)

Avant même l’élection présidentielle de 1995, « Ça m'en touche une sans faire bouger l'autre » était considérée comme l’une des « expressions favorites » de Jacques Chirac(2). Aujourd’hui, une recherche Google sur « ça m’en touche une sans faire bouger l’autre » ramène 35 500 résultats. Plus 4 760 pour « ça m’en touche une sans bouger l’autre ». Sans que personne puisse prouver ce que Chirac a dit, tout le monde sait qu’il l’a dit.

On ne prête qu’aux riches et ça lui ressemble bien, à l’instar d’autres expressions connues seulement par ouï-dire qui font partie de sa légende et décrivent son personnage. La petite phrase est un attribut du leader politique, la force de l’une renforce l’autre, et réciproquement. « Ça m'en touche une sans faire bouger l'autre » est cohérent avec d’autres éléments de l’image de Jacques Chirac.

Mais Macron ? Son personnage est bien différent. Tant qu’on ne le voit pas dévorer la tête de veau et tâter le cul des vaches au Salon de l’Agriculture, l’expression ne paraît pas à sa place dans sa bouche. Gaillarde chez Chirac(3), elle devient vaguement grossière, voire sexuelle, chez son lointain successeur. Elle paraît ainsi vouée à l’oubli, cohérence cognitive oblige. C’est le mieux qui puisse arriver au président de la République. Car l’alternative serait qu’elle demeure rangée au nombre de ses sorties arrogantes. Pas bon.

Michel Le Séac’h

(1) Jean-Louis Debré, Ce que je ne pouvais pas dire, Paris, Groupe Robert Laffont, 2016.
(2) François Vey, ‎Emmanuel Hecht, Chirac de A à Z, Paris, Albin Michel, 1995.
(3) Jean Ruhlmann a avancé une autre explication en 2017 dans La Revue des Deux mondes : cette expression « vient du monde des boulistes, la pétanque étant un sport de masse au sud de la Loire ». Mais Emmanuel Macron n’est pas non plus connu comme un fervent pratiquant.