20 avril 2022

Débat Macron–Le Pen : petite phrase ou programme ?

Avant le débat télévisé entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ce 20 avril, une grande partie de la presse revient sur les débats d’entre-deux-tours précédents. Un article d’Olivier Bénis et Noémie Lair (France Inter, 18 avril) résume l’esprit général : « Petites phrases, grands moments : ces scènes qui ont marqué les débats d'entre-deux-tours de la présidentielle ».

Les petites phrases, journalistes et hommes politiques affectent de les mépriser. Pourtant, le fait est que ce sont elles qui marquent ces débats. Elles s’inscrivent durablement dans le paysage politique français. « Vous n’avez pas le monopole du cœur »(1) : la riposte de Valéry Giscard d’Estaing à François Mitterrand en 1974 est restée fameuse. Certains lui attribuent même la victoire électorale du premier sur le second !

On n’a pas oublié non plus :

  • « C’est quand même ennuyeux que vous soyez devenu l’homme du passif » de François Mitterrand à Valéry Giscard d’Estaing, 1981
  • «Vous avez tout à fait raison monsieur le Premier ministre», de François Mitterrand à Jacques Chirac, 1988
  • « Mieux vaut cinq ans avec Jospin que sept ans avec Chirac », de Lionel Jospin à Jacques Chirac, 1995
  • « Non, je ne me calmerai pas », de Ségolène Royal à Nicolas Sarkozy, 2007
  • « Moi président », de François Hollande à Nicolas Sarkozy, 2012 (2)

Toutes ces sorties ont été qualifiées de « petites phrases » par une partie de la presse. Elles ne portent pas sur des programmes de gouvernement. Avec elles, l’affrontement entre deux responsables politiques se situe sur le terrain du caractère et du comportement. Le programme est sans doute un exercice de style incontournable. Mais il fait un peu penser à la ballade du duel de Cyrano de Bergerac. Ce qu’on en retient au bout du compte, c’est « À la fin de l’envoi, je touche » !

On note que les petites phrases les plus marquantes ne viennent pas forcément du vainqueur de l’élection. Mais elles sont une sorte de bilan du duel : c’est là qu’Untel a « gagné », c’est là qu’Unetelle a « perdu ». Sans qu’il soit besoin de comparer rationnellement des programmes, la petite phrase s’impose d’elle-même, « faisant comprendre aux journalistes, aux états-majors et à la France entière que l’élection était presque gagnée ou quasiment perdue »(3).

Ce genre de petites phrases ne date sûrement pas de l’apparition de la télévision. Celle-ci a seulement permis à des nations entières d’assister aux empoignades verbales. Comme des tribus paléolithiques assemblées autour de deux prétendants. On peut y voir un retour en arrière. Ou l’expression d’une réalité de tous les temps : le leadership est affaire de personnes et non de programmes. (Et, puisque dans l’espèce humaine, l’alpha est généralement un mâle, les femmes sont sans doute désavantagées dans cet exercice.)

Michel Le Séac’h

(1) Voir Michel Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 109.

(2) Idem, p. 59.

(3) Sorj Chalandon, « Des hauts et débats », Le Canard enchaîné, 6 janvier 2021.

Illustration : Clard, Pixabay

06 avril 2022

Le Solitaire du palais, par Laurence Benhamou

Qu’est-ce qu’une petite phrase ? C’est « ce que les médias ou la médiatisation font aux discours des responsables politiques », répondent Alice Krieg-Planque et Caroline Ollivier(1). Les deux chercheuses ne s’en tiennent évidemment pas là, mais ce raccourci audacieux offre un bon point de départ pour l’étude des petites phrases : une petite phrase est une phrase dont la presse dit qu’elle est une petite phrase(2) !


Avec Le Solitaire du palais – Le livre du quinquennat Macron 2017-2022, Laurence Benhamou emmène ses lecteurs au cœur de ce réacteur. Journaliste de l’AFP accréditée à l’Élysée, elle a vu naître des petites phrases présidentielles pendant cinq ans – mieux, elle les a parfois portées sur les fonts baptismaux. Une déclaration qualifiée de « petite phrase » par l’AFP a de fortes chances de le devenir.

Laurence Benhamou désigne expressément comme petites phrases les déclarations suivantes :

  • « Ici, dans cette gare, se croisaient ceux qui ont réussi et ceux qui ne sont rien… » (p. 48)
  • « Les Français détestent les réformes. Dès qu’on peut les éviter, on ne les fait pas ! C’est un peuple qui déteste cela ! » (p. 51)
  • « Je serai d’une détermination absolue, je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes. » (p. 54)
  • « Certains, au lieu de foutre le bordel, devraient aller voir s’ils ne trouvent pas de poste » (p. 58)
  • « Moi, je bois du vin midi et soir. Il y a un fléau de santé publique quand la jeunesse se saoule à vitesse accélérée avec des alcools forts ou de la bière, mais ce n’est pas avec le vin. » (p. 99)
  • « Jusqu’à présent, la seule manière de faire ressentir rapidement un changement aux Français consistait à distribuer de l’argent public. Notre pays s’était habitué à cette morphine. » (p. 115)
  • « Le Gaulois réfractaire » (p. 144)
  • Les militants écologistes, « qu’ils aillent manifester en Pologne ! » (p. 243
  • « Quoi qu’il en coûte. » (p. 292)
  • « Je nous connais mieux. Ce sont toujours les mêmes qui participent aux réunions et les autres, au bout de deux mois, diront qu’ils en ont été exclus. » (p. 433)

Elle parle aussi à l’occasion de « reparties cinglantes » (« La médaille, si vous n’en voulez pas, vous ne la prenez pas ! », p. 321), de « flèches du Parthe » (« Nous sommes devenus une nation de 66 millions de procureurs ! », p. 385), de « punchlines » (« Chaque Français verra plus de bleu sur le terrain en 2022 qu’en 2017 », p. 399), de « phrases fétiches » (« Parce que c’est notre projet », p. 150).

Se pourrait-il que cette sélection témoigne d’un parti-pris de la part de la journaliste ? Il est clair que les formules ci-dessus tendent à brosser le portrait d’un président arrogant et peu empathique et non pas à résumer les orientations de sa politique. Mais tel est bien le rôle des petites phrases, elles décrivent le caractère d’un leader et pas son programme. Délibérément ou non, l’usage qu’en fait Laurence Benhamou le confirme une fois de plus. Ce qui ne signifie pas, cependant, que les petites phrases disent toute la vérité du président ; on apprend ainsi que Brigitte Macron « exècre [ses] petites phrases provocatrices », ce qui n’empêche pas ses sentiments…

Sibeth Ndiaye, grave erreur de casting

On voit bien qu’Emmanuel Macron a raté son rendez-vous avec les journalistes. Délibérément peut-être. « La nouvelle équipe sait déjà comment elle veut traiter une presse dont elle se méfie : distance et parole rare », lit-on dès les premières pages du livre, à peine le nouveau président installé à l’Élysée. Et un peu plus loin : « Sa distance avec la presse ? Il la revendique : "Je ne m’intéresse pas aux journalistes, je m’intéresse aux gens. Quand les journalistes me posent des questions sur la communication, ils s’intéressent à eux, pas au pays, c’est du narcissisme. " Il faudra attendre certaines crises, notamment celle des Gilets jaunes, pour que l’Élysée comprenne que les médias sont une courroie de transmission indispensable entre l’exécutif et la population. »

Il faudra attendre aussi, semble-t-il, qu’Emmanuel Macron prenne conscience du tort que lui causent certains de ses proches. Et avant tout « Sibeth Ndiaye, la responsable de la communication, seule femme du premier cercle, fille d’un éminent homme politique sénégalais, militante PS devenue la communicante d’Emmanuel Macron à Bercy, et qui va le rester à l’Élysée. » Elle paraît s’ingénier à pourrir la situation. « Quelques jours après l’investiture, Sibeth Ndiaye débarque dans la salle de presse. Ironique et agressive, elle ne prend pas de gants. (…) C’est le début d’un bras de fer. Il va durer deux longues années. » Et alimenter les pages les plus critiques du livre, où abondent les notations du genre : « Sibeth Ndiaye ne se prive pas de nous envoyer promener, souvent en termes très crus. » Elle est la seconde personne la plus souvent citée dans le livre, avant même Brigitte Macron et le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler. À côté d’elle, Benjamin Griveaux, éphémère porte-parole du gouvernement, « particulièrement agressif et méprisant à l’égard de la presse » a presque l’air d’un enfant de chœur. Quand enfin le président se décide à l’évincer, l’épitaphe est sans appel : « Son départ marque la fin d’une époque. Ses maladresses, son langage cru, ses provocations, son ton cinglant et ses tirades antimasques ont cristallisé la rancœur de l’opinion. »

Les images plus que les mots

Si ses relations avec les journalistes sont mauvaises, Emmanuel Macron est en revanche attentif aux images, et Laurence Benhamou aux attitudes du président. « Le couple évite le baiser sur la bouche qui avait agacé au soir du premier tour », note-t-elle au soir de la victoire électorale. « La Marseillaise retentit. Emmanuel Macron la chante à mi-voix, parfois les yeux clos. Il serre très fort les doigts de sa compagne. Et garde l’autre main sur le cœur, dans une posture à l’américaine. Comme s’il voulait transformer les usages. Il n’y renoncera que quelques semaines plus tard, lors de la visite de Donald Trump. Sans doute pour ne pas avoir l’air d’imiter l’Américain. » Lors des obsèques de Johnny Hallyday, il se retient de saisir le goupillon pour bénir le cercueil : « au dernier moment, il se rend compte de la gaffe, ce geste qui lui serait reproché, renonce et retient furtivement la main de son épouse qui allait faire de même. » Lors des obsèques de Jean d’Ormesson, « théâtralement, il dépose un crayon sur son cercueil ».

Mais les images présidentielles passent moins par la presse que par les médias sociaux : Emmanuel Macron  « aime autant les déguisements que les happenings, dont il fait poster les images sur Twitter. (…) Les chaînes d’info sont dépassées, la presse, ignorée, @EmmanuelMacron devient un média. Les journalistes qui ne font pas partie des pools ne le voient plus qu’à travers cette avalanche d’images ».

°°°

Bien entendu, les petites phrases n’occupent pas la place centrale dans ce livre de 440 pages. Il relate cinq ans (enfin… quatre ans et demi, il prend fin à l’automne 2021 et ne dit rien notamment de la guerre en Ukraine) d’une présidence riche en événements, en polémiques et en travaux législatifs et diplomatiques. Mais le sujet, ici, ce sont les petites phrases, et sous ce filtre singulier, déjà, l’ouvrage apporte un éclairage intéressant sur le quinquennat qui s’achève.

Laurence Benhamou, Le Solitaire du Palais – Le livre du quinquennat Macron 2017-2022, Paris, Robert Laffont, 2022, 440 pages, 21 euros.

Michel Le Séac’h

(1) Alice Krieg-Planque et Caroline Ollivier-Yaniv, « Poser les « petites phrases » comme objet d’étude », Communication & langages, n° 168, juin 2011, p. 17-22.

(2) Sarah Al-Matary et Chloé Gaboriaux notent elles aussi que « la plupart [des petites phrases] ont d’ailleurs été qualifiés de "petites phrases" dans la presse ». Voir « Une nouvelle lutte des "clashes" ? Fragmentation des discours de campagne et mutation des clivages (France, 2016-2017) », Mots – Les langages du politique, n°117, juillet 2018.

 


22 mars 2022

Monsieur Macron, vous n’avez pas le monopole du programme

Ce matin du 22 mars, si l’on interroge Google sur Macron + programme + présidentielle, la première réponse affichée par son moteur de recherche est le programme d’Emmanuel Macron… en 2017.

Pourtant, le président de la République a présenté son programme de candidat 2022 il y a cinq jours. Après s’être fait longuement tirer l’oreille. Non seulement il a attendu le dernier jour, le 5 mars, pour officialiser sa déclaration de candidature, mais il n’a pas présenté en même temps un programme de gouvernement. Dans un premier temps, il s’est contenté de le livrer « au compte gouttes », comme écrivait Alexandre Lemarié dans Le Monde. De toutes parts, on le lui reprochait vivement.

Puis, après sa conférence de presse programmatique à Aubervilliers le 17 mars, les critiques ont changé. « La droite accuse le candidat Macron de ‘piller’ le programme de Pécresse », relève Libération. À peine Emmanuel Macron s’était-il exprimé que Valérie Pécresse elle-même lui reprochait d’avoir repris les points essentiels de son propre programme. « Monsieur Macron va faire la réforme des retraites jusqu’à 65 ans. Qui a eu le courage de le dire ? C’est nous ! […] Qui a reparlé du nucléaire ? C’est nous ! », etc.

Les candidats à l’élection présidentielle de 2022 doivent-ils vraiment s’écharper pour des programmes ? Comme l’a observé François Hollande (La Montagne y voit même une petite phrase), la guerre en Ukraine a rendu « obsolètes » tous les programmes politiques. Mais l’obsolescence a-t-elle attendu la guerre ? Plus fondamentalement, les électeurs tiennent-ils encore vraiment à ce qu’on leur serve des programmes ? Voici des indices troublants.

D’après Google Trends, les recherches des internautes sur l’expression « programme politique » n’ont jamais été aussi importantes (indice 100) qu’en avril 2017. En mars 2017, elles étaient à l’indice 41 ; en février, à l’indice 18. Avant l’élection de 2017, le programme d’Emmanuel Macron avait déjà suscité un fort courant d’intérêt (indice 42) en novembre 2016. C’est le mois où il a annoncé sa candidature et publié Révolution. Rien de tel cette année. En février 2022, les recherches sur « programme politique » en étaient à 11, et au 22 mars, à 14. Et pour « programmes politiques », au pluriel (courbe rouge sur le graphique ci-dessous), qui peut dénoter un désir de comparaison, c’est quasiment encéphalogramme plat.

Si l’on s’intéresse au temps long, les statistiques de Google Ngram Viewer incitent à la réflexion. Elles portent sur la fréquence des mots dans les livres publiés par année. C’est un indicateur très approximatif qui n’a d’intérêt que s’il révèle des tendances vraiment marquées. Ce qui est bien le cas ici. La présence de l’expression « programme politique » dans les livres en français progresse franchement tout au long de la 5e République et culmine en 2002-2006. Puis l’intérêt semble s’évanouir subitement.

Les programmes politiques sont un phénomène relativement neuf. En 1762, selon la 4e édition du Dictionnaire de l’Académie française, un « programme » était un « placard qu'on affiche au coin des rues, ou qu'on distribue par les maisons, pour inviter à quelque action publique ». En 1935, la 8e édition note seulement : « se dit, par extension, d'un Exposé de principes ou d'idées, de l'énumération des réformes, des mesures projetées par un gouvernement, un parti, un homme politique, etc. L'opposition a fait connaître son programme. Le programme du ministère. ». La 9e édition, en cours de rédaction, a besoin de plus de 130 mots pour traiter du programme « spécialt. polit. ».

Mais les arbres ne montent pas jusqu’au ciel. Il est bien possible que les programmes électoraux aient dès à présent fait leur temps. Que les électeurs n’y croient plus beaucoup. Ou, pour le dire de manière optimiste, qu’ils reviennent aux fondamentaux : l’élection présidentielle ne sert pas à élire un programme mais un candidat. Comment connaître celui-ci ? Parfois, une petite phrase peut le dévoiler plus qu’un long programme.

Michel Le Séac’h 

08 mars 2022

« Pas de ressasser la France de notre enfance » : la petite phrase qui pollue la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron

En 2016, la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron avait été spécialement terne. Au lieu d’y glisser une petite phrase qui aurait été une sorte de devise pour le quinquennat, il l’avait articulée sur ce simple énoncé, confirmé dans un tweet et dans la communication d’En Marche ! : « Je suis candidat à la présidence de la République ». Ce qui ne faisait aucun doute depuis des semaines. Un coup pour rien, donc.

Depuis lors, le président de la République a pu apprécier à plusieurs reprise la portée des petites phrases, souvent comme victime (« Je traverse la rue, je vous trouve du travail »), quelquefois comme héros (« Make our planet great again »), à l’occasion comme lanceur d’alerte (« l’OTAN est en état de mort cérébrale », redevenu d’une cuisante actualité). Conscient de leur puissance, veille-t-il à l’exploiter, à l’instar des candidats américains avec leurs « sound bites », en profitant de l’appétence des citoyens pour ces formules brèves et marquantes ?

Autrement dit : a-t-il introduit dans sa Lettre aux Français du 3 mars 2022, coup d’envoi de sa campagne électorale, une formule appelée à marquer celle-ci, voire le futur quinquennat ? 

À la recherche de LA petite phrase 

Les « spin doctors » veillent à mettre en évidence leurs « sound bites » afin qu’électeurs et médias ne risquent pas de passer à côté. Ils les signalent aux journalistes, ils leur consacrent des tweets, ils postent des extraits vidéo sur YouTube, ils les reprennent sur la page d’accueil de leurs sites web, etc. Telle que la Lettre aux Français a été publiée, par exemple sur le site de campagne avecvous.fr, plusieurs passages courts sont rendus spécialement visibles par une composition en gras.

Quelques-uns portent sur le passé (« Nous avons fait face avec   dignité et fraternité »…), ce qui n’est jamais favorable à une petite phrase. Le futur (« Je suis candidat pour continuer de préparer l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants ») l’est à peine davantage. Deux ou trois promesses électorales (« Nous lutterons contre les inégalités »…) relèvent des banalités de circonstance.

Restent deux phrases plus remarquables :

  • Défendre notre singularité française implique enfin de promouvoir une certaine manière d’être au monde.
  • En chaque lieu, j’ai perçu le désir de prendre part à cette belle et grande aventure collective qui s’appelle la France.

Après « l’art d’être français », qui a fait long feu, Emmanuel Macron compterait-il jouer de la « singularité française » ? À côté de cette formule, mais pas en gras, on note aussi : « inventer avec vous, face aux défis du siècle, une réponse française et européenne singulière ». L’ajout de la singularité européenne rend la « singularité française » moins spécifique, donc moins apte à fonctionner comme une petite phrase.

Quant à la « belle et grande aventure collective qui s’appelle la France », sa noblesse appuyée rappelle cette formule du général de Gaulle : « combien c'est beau, combien c'est grand, combien c'est généreux, la France ». C’était la péroraison de son discours du 4 juin 1958 à Alger. Elle était manifestement destinée à marquer les esprits. Mais l’homme politique propose et l’opinion dispose. Ce qui, devant l’Histoire, a été majoritairement retenu du discours gaullien, c’est en fait sa première phrase : « Je vous ai compris ». Une phrase maintes fois citée comme un exemple chimiquement pur de duplicité politicienne.

Pourrait-il y avoir un « Je vous ai compris » dans la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron ? Plutôt que de la duplicité, on remarquerait plutôt une franchise courageuse : « il nous faudra travailler plus », « reconquête productive par le travail »

Cependant, les réseaux sociaux, eux, ont clairement « élu » une autre phrase :

« L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants,
pas de ressasser la France de notre enfance. »

Elle n’est pas composée en caractère gras. Ce n’est donc pas, a priori, une tentative de « sound bite ». Pourtant, sa construction, avec sa quasi-rime interne « la France de nos enfants/la France de notre enfance » et le contraste entre « bâtir » et « ressasser », la prédestinait à devenir une petite phrase. Et ça n’a pas loupé. De toute la déclaration, cette phrase est la plus répétée – « ressassée » même – y compris par les partisans du président candidat. Par exemple, sur Twitter, par Éric Woerth et Elisabeth Moreno (voir tweet ci-dessous). Tout le reste, si soigneusement pesé fût-il, tend à passer au second plan.


On imagine mal que les communicants de l’Élysée n’aient pas prévu le phénomène. Quelle pourrait être leur tactique ? La seule logique envisageable est celle de la petite phrase « assassine » destinée à attaquer un ou plusieurs adversaires sans les nommer, Elle viserait, suppose-t-on, Éric Zemmour. Cela pourrait être une manière détournée de l’adouber comme l’adversaire principal du président sortant, en postulant qu’il serait aussi l’adversaire de second tour le moins dangereux.

Mais il arrive qu’une petite phrase assassine se retourne contre son auteur. D’abord, elle offre à l’adversaire un angle d’attaque évident, qu’Éric Zemmour s’est empressé de saisir. Ensuite, adopter une posture morale est dangereux si sa sincérité peut être mise en doute. « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » a probablement aidé François Fillon à obtenir sa désignation comme candidat en 2016 mais l’a tout aussi probablement aidé à perdre l’élection en 2017.

Une provocation d'Emmanuel Macron ?

Et puis, « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance » présente plusieurs faiblesses intrinsèques, soulignées par les réseaux sociaux :

  • Pour une bonne partie des Français, l’enjeu est plutôt de bâtir la France de leur propre avenir immédiat.
  • Dans sa bouche d’un président qui n’a pas d’enfant, « nos enfants » paraît décalé, voire insincère.
  • Emmanuel Macron a si souvent vanté le « en même temps » qu’on perçoit mal pourquoi la France de nos enfants ne pourrait être en même temps la France de notre enfance.
  • La singularité française telle que vantée dans la déclaration est « un art de vivre millénaire ». La France de notre enfance, donc, mais aussi celle de nos aïeux. Comment la défendre tout en sous-entendant que celle de nos enfants devrait être différente ?

Cette petite phrase paraît donc au minimum déplacée, au maximum carrément dangereuse pour le candidat. Une erreur tactique de ses communicants ? On pourrait envisager une autre hypothèse, celle d’une provocation délibérément introduite dans le texte par Emmanuel Macron lui-même. Il lui est arrivé plus d’une fois de glisser dans des discours pourtant tirés au cordeau une petite phrase agressive qui a pourri l’ambiance. Qu’on songe par exemple à « Jojo avec un gilet jaune », « nous sommes devenus une nation de 66 millions de procureurs » ou même « les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder ».

Auquel cas, retenir « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance » comme LA petite phrase de la déclaration de candidature d’Emmanuel Macron serait tout à fait légitime : c’est elle qui représenterait le mieux sa personnalité.

Michel Le Séac’h

Illustration : copie partielle d'écran Twitter
 

À lire :

Les petites phrases d’Emmanuel Macron

Une analyse détaillée par Michel Le Séac’h


03 mars 2022

Faute de campagne électorale, revenir sur ce qu'Emmanuel Macron a déjà dit

Il paraît évident qu'Emmanuel Macron ne fera pas de vraie campagne électorale. Et pourquoi se donnerait-il cette peine ? La campagne sert à démontrer qu'un candidat peut être président. Quelle meilleure démonstration que d'exercer la présidence de façon magnifiée par l'actualité ?

Ainsi, il ne reste aux électeurs qu'à réétudier ce qu'a dit Emmanuel Macron depuis qu'il a fait irruption aux premiers rangs de la vie politique française en 2014. C'est le but de Les Petites Phrases d'Emmanuel Macron, qui vient de paraître. Voici le sommaire du livre :
Les petites phrases
d'Emmanuel Macron

Sommaire

‑ 1 ‑ Le carré macronien, ou le quadruple mal entendu
► « Je traverse la rue, je vous trouve du travail »
► « Des Gaulois réfractaires au changement »
► « On met un pognon de dingue dans des minima sociaux »
► « Des gens qui ne sont rien »
Des petites phrases plus vraies que vraies
Introduction aux petites phrases
‑ 2 ‑ Macron le candidat : la notoriété par les petites phrases
Les illettrées de Gad : l’« Alea jacta est » d’Emmanuel Macron
Macron le méprisant, prisonnier de son image
► « La gauche a pu croire que la France pourrait aller mieux en travaillant moins»
► « La vie d’un entrepreneur est plus dure que celle d’un salarié »
► « Trop de Français n’ont pas le sens de l’effort »
Une affaire de contexte
‑ 3 ‑ Un débutant mal entouré
Les errements de Sibeth
‑ 4 ‑ Des sound bites venus d’ailleurs
► « Demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays»
► « Make our planet great again »
► « Le modèle Amish »
► « Quoi qu'il en coûte »
‑ 5 ‑ Macron le penseur : réflexions à haute voix
► « Le traité de Versailles de la zone euro »
► « Le Front national est une forme de Syriza à la française »
► « Le libéralisme est une valeur de gauche »
► « Il nous manque un roi »
‑ 6 ‑ Déficit d’émotion
Guerre au microbe
► « Nous sommes en guerre »
► « Le jour d’après »
Panthéon de peu d’effet
► « De l’empire nous avons renoncé au pire »
Ce que le président n’a pas dit
‑ 7 ‑ En même temps…
► « L’art d’être Français »
► « La colonisation est un crime contre l’humanité »
► « Il faut retourner dans son pays »
► « Le lien entre l’Église et l’État s’est abîmé, il nous incombe de le réparer »
► « Nous sommes devenus une nation de 66 millions de procureurs »
► « Qu’ils viennent me chercher »
‑ 8 ‑ à suivre
► « Les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder »
Petits cailloux blancs
L’Étrange défaite
Notes et références

15 février 2022

Valérie Pécresse et la fatalité du grand travestissement

Ce n’était probablement pas son intention, mais si Valérie Pécresse a prononcé une petite phrase ce dimanche au Zénith de Paris, c’est celle-ci :

« Pas de fatalité, ni au grand déclassement, ni au grand remplacement.  »

Du moins est-elle désignée avec tant d’insistance par les commentaires et les conversations sur les réseaux sociaux que, inévitablement, c’est elle qui marque les esprits. Elle est même expressément qualifiée de petite phrase par le site web de l'audiovisuel public, Francetvinfo (« une petite phrase qui n’a pas manqué de faire jaser… »), ou par La Dépêche (« Même au QG de la candidate, la petite phrase du meeting est mal passée »).

Ce qui dérange manifestement Valérie Pécresse, elle l’a dit hier sur RTL :

« Cette phrase que j’ai prononcée est une phrase que j’ai prononcée dix fois, et tous les commentateurs qui la reprennent ont des mémoires de bigorneau. J’ai dit dix fois dans la primaire de la droite que je ne me résignais ni au grand remplacement ni au grand déclassement. […] C’est ce que j’ai dit [dimanche], et tout le monde me fait dire le contraire. »

Et en effet, l’internet, qui, lui, a une mémoire d’éléphant, atteste que Valérie Pécresse déclarait voici quelques mois, à propos du « grand remplacement » : « Je déteste cette expression parce qu'elle donne le sentiment que tout est foutu ». Quand un orateur déteste une expression, il ferait mieux de ne pas l’utiliser. Mais la candidate aurait-elle voulu jouer au plus fin ? Chercherait-elle à faire croire aux uns (les « commentateurs ») qu’elle rejette le concept politique, aux autres (les électeurs) qu’elle rejette le fait démographique ? On n'ose croire à un calcul aussi invraisemblable. Pourtant, on se rappelle de Gaulle déclarant « Je vous ai compris » aux Français d’Algérie…

Du simple point de vue du marketing électoral, il n’y a pas photo : en octobre dernier, un sondage Harris Interactive montrait que 67 % des Français s’inquiétaient d’un « grand remplacement ». La question posée par l’institut à la demande de Challenge tapait même très fort : « Certaines personnes parlent du grand remplacement: "les populations européennes, blanches et chrétiennes étant menacées d'extinction suite à l'immigration musulmane, provenant du Maghreb et d'Afrique noire". Pensez-vous qu'un tel phénomène va se produire en France? »

Heurter une opinion aussi massive serait électoralement suicidaire. Heurter les « commentateurs » le serait-il moins ? En réalité, une petite phrase telle que « Pas de fatalité, ni au grand déclassement, ni au grand remplacement », d’autant plus ambiguë qu’elle empile dangereusement les négations, échappe à son auteur : fatalement, elle sera interprétée par d’autres. Qui ne veulent pas forcément du bien à Valérie Pécresse.

Michel Le Séac’h

Illustration : copie partielle d’écran, chaîne YouTube du HuffPost, https://www.youtube.com/watch?v=Ku3W9vQ18ng

13 février 2022

Valérie Pécresse à la recherche d’une petite phrase bien à elle

La place réelle des petites phrases dans les campagnes électorales est d’autant plus difficile à apprécier que certains protagonistes préfèrent éviter cette locution un peu sulfureuse. Ce qui complique la recherche par mots-clés et l’analyse lexicologique... Wally Bordas, Emmanuel Galiero et Marion Mourgue en livrent un excellent exemple. Ils se sont penchés, dans Le Figaro du 12-13 février, sur les difficultés de la campagne présidentielle de Valérie Pécresse.

Valérie Pécresse est une élue expérimentée, elle a bénéficié d’une formation universitaire prestigieuse, sa santé physique et psychologique paraît excellente, sa santé financière aussi, elle est entourée par une équipe solide et dispose aisément des 500 signatures fatidiques. Que demande le peuple ? Pourtant, de l’avis général, sa campagne connaît un trou d’air.

 
Serait-ce parce qu’elle veut trop bien faire ? « Lorsqu’elle a un discours, elle est trop scolaire et elle veut tout dire », déclare aux journalistes un élu Les Républicains non identifié. Dans son entourage, Philippe Juvin, soutient cette ligne : « Est-ce que les gens n’en ont pas soupé, des grandes promesses grandiloquentes ? Est-ce que les Français n’ont pas envie de rigueur, de calme et d’une vraie colonne vertébrale ? » Mais il ne faut pas confondre le fond et le ton : on peut très bien faire avec calme des promesses inconsidérées. Et Philippe Juvin, avec 3,13 % des voix à la primaire de la droite, n’a pas vraiment démontré sa capacité à toucher les électeurs.

L’inverse des grandes promesses, ce n’est pas le calme, c’est la petite phrase. « En campagne, il faut faire du sale, être de mauvaise foi, il faut y aller ! », assure un parlementaire LR cité par Le Figaro. « Il faut qu’elle sorte les crocs, qu’elle morde », ajoute un autre à l’attention de Valérie Pécresse. De toute évidence, ils songent à une petite phrase « assassine ». Mais la saleté et la mauvaise foi ne sont pas indispensables. « Monsieur Mitterrand, vous n’avez pas le monopole du cœur » est l’une des petites phrases les plus violentes restées dans l’histoire des campagnes électorales. « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » est un chef d’œuvre de vacherie vêtu de probité candide.

Les limites des emprunts

En tout cas, c’est clairement sur une petite phrase que compte sans l'expliciter l’équipe de campagne de Valérie Pécresse. « Trouvera-t-elle les mots qui firent florès dans d’autres campagnes, le "petit Français de sang mêlé" , ou le "travailler plus pour gagner plus" de Nicolas Sarkozy, le "mon ennemi c’est la finance" de François Hollande ? » demande Le Figaro. « "On ne l’a pas encore", concède un stratège, "c’est une vraie question. Mais on y travaille." » Autrement dit, Valérie Pécresse est bien à la recherche de sa petite phrase. Celle-ci devrait être au centre de son grand meeting, ce dimanche au Zénith de Paris.

Le côté BCBG de la candidate ne facilite pas l’exercice. Elle n’y est pas fermée, cependant. Elle l’a montré avec « il faut ressortir le Kärcher » et « Macron a cramé la caisse ». Mais ce sont des citations, non des formules personnelles. Le Kärcher, bien sûr, est une allusion au Nicolas Sarkozy de 2005. Et « il a cramé la caisse » reprend une critique de Laurent Wauquiez à l’égard d’Alain Juppé pour sa gestion de la ville de Bordeaux. Citation encore quand, recevant un prix du Trombinoscope le 10 février, Valérie Pécresse compare la campagne électorale à La Guerre des étoiles et elle-même au Retour du Jedi.

La comparaison a soulevé plus de ricanements que de compliments. Il faudra faire mieux. Trouver une petite phrase au croisement exact de ce que la candidate peut dire et de ce que les Français souhaitent entendre dire. Pas facile.

Michel Le Séac’h

Mise à jour à 17h30 : de toute évidence, Valérie Pécresse n'a pas encore trouvé SA petite phrase. Le temps presse désormais.

Illustration : copie partielle d’écran, tweet de LCP sur la remise du prix du Trombinoscope

07 février 2022

Parution : le premier livre consacré aux "petites phrases" d’Emmanuel Macron

Les petites phrases d’Emmanuel Macron
Ce qu’il dit, ce qu’on lui fait dire

Emmanuel Macron restera un cas d’école en communication politique. Quasi inconnu à la mi-2014, il a été élu président de la République moins de trois ans plus tard. Des « Gaulois réfractaires » à « les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder » en passant par « quoi qu’il en coûte », son parcours est semé de « petites phrases ». Elles ont contribué à son ascension stratosphérique. Propagées par les médias et les réseaux sociaux, elles lui ont conféré une image de leader même quand elles faisaient scandale : puissante était la parole de ce nouveau venu ! Beaucoup ne sont pas vraiment de lui ; toutes contribuent à brosser son portrait perçu par les Français.
Ce livre n’est pas un simple recueil de citations. L'auteur de ce blog y montre pourquoi certaines déclarations d’Emmanuel Macron donnent naissance à des « petites phrases », déformées ou pas, positives ou pas, et comment elles façonnent son image. Car les petites phrases révèlent des aspects méconnus d’un leader mais aussi de sa relation avec le peuple.

Journalistes et politiques méprisent souvent les petites phrases. Elles jouent pourtant un rôle majeur en politique : on songera à « Vous n’avez pas le monopole du cœur » (Valéry Giscard d'Estaing, 1974) ou à « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? » (Fillon, 2016). Mieux : prononcées aujourd’hui, la plupart des citations historiques seraient des « petites phrases ».

L’expérience d’Emmanuel Macron est instructive pour tous les professionnels de la politique – candidats, collaborateurs, communicants, journalistes, etc – en particulier pour les leaders émergents. Les petites phrases, outil méconnu mais majeur de la communication politique doivent faire partie de leur panoplie. Ce livre jette une lumière nouvelle non seulement sur l’occupant de l’Élysée mais sur la manière dont une démocratie choisit ses leaders.

Disponible en version électronique et en version papier.


28 janvier 2022

Petites phrases en Russie...

Intervention (en "distanciel", hélas) sur le thème des petites phrases dans un séminaire en français de l'école des traducteurs de l'Université d'Etat de Saint-Pétersbourg. L'occasion d'entendre des exposés passionnants des professeurs Ekaterina Kondratyeva et Peter Schulman sur la traduction poétique.

25 janvier 2022

« Stupid son of a bitch » : Joe Biden se lâche… une fois de plus

On vantait la pondération de Joe Biden face à Donald Trump. Ce lundi, hélas, le président américain a publiquement insulté un journaliste de Fox News, Peter Doocy, qui lui posait une question dérangeante. Il l’a traité de « stupid son of a bitch », soit à peu près « stupide fils de pute ». Et face caméra, en plus, ce qui a permis à la vidéo de faire le tour du monde !

Joe Biden croyait son micro coupé, suggère la presse bienveillante, y compris en France. De toute évidence, il n’en était rien puisqu’il venait de répondre à la question posée ; il a ajouté l’injure comme une réflexion entre ses dents, mais audible ! Libération rapproche l’incident du « les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder » d’Emmanuel Macron et plaisante sur le syndrome Gilles de La Tourette.

La pondération de Joe Biden tranche avec le caractère émulsif de son prédécesseur. Mais ce pondéré est depuis longtemps qualifié, y compris par lui-même[i], de « machine à gaffes » (blunder machine). « Deux cents millions d'Américains sont morts du covid-19 », lâchait-il par exemple en septembre 2020, pendant sa campagne présidentielle. Avant d’affirmer, le mois suivant : « Nous avons mis en place, l’organisation de fraude électorale la plus grande et la plus complète dans l’histoire de la politique américaine. » (Comment s’étonner que tant d’Américains croient l’élection truquée, si même le président le dit ?)

Il avait fait encore mieux lors des primaires démocrates pour l’élection présidentielle de 2008. À propos de son adversaire Barack Obama, encore peu connu à l’époque, il avait déclaré : « Voilà le premier Afro-Américain ordinaire qui soit éloquent, brillant, propre et sympathique » (« you got the first mainstream African-American who is articulate and bright and clean and a nice-looking guy »)[ii]. Obama, magnanime, avait accepté ses excuses : entre eux, le match était plié avant d’avoir commencé. Et Biden était finalement devenu le vice-président d’Obama.

Bidenisms

Il n’avait pas molli quand leur ticket avait été candidat à sa réélection en 2012. Dans un discours de campagne, il s’était référé à une petite phrase célèbre du président Theodore Roosevelt : « Parle doucement et munis-toi d’un gros bâton » (« speak softly and carry a big stick »). Et il avait ajouté, parlant d’Obama : « Je vous promets que le président a un gros bâton » (« I promise you the President has a big stick »). La connotation sexuelle de la promesse avait provoqué l’hilarité des spectateurs[iii]. Et Obama avait été réélu.

Parmi les nombreux livres consacrés au 46ème président des États-Unis, une dizaine portent expressément sur ses bévues, les bidenisms. Ils en répertorient jusqu’à quatre cents.

Bref, business as usual ? L’incident est clos, dit Peter Doocy, qui a reçu un coup de fil du président un peu plus tard : « J’apprécie que le président ait pris deux ou trois minutes ce soir pour m’appeler et régler le problème. »

Enseignements induits

L’incident a toutefois illustré le rôle militant que la presse peut jouer dans la gestion de l’après-petite phrase. Le New York Times a brièvement rendu compte de l’incident et a aussitôt rebondi sur une liste de « méfaits » du camp républicain. Dont un commentaire négatif de George Bush à propos d’un journaliste de son époque, devant un micro resté ouvert, en 2020. Et bien entendu quelques épithètes de Donald Trump (« disgrace », « loser »…), pas trop difficiles à dénicher.

Peut-être aussi constatera-t-on avec le recul du temps qu’une petite phrase peut en cacher une autre. Voici l’échange exact entre Peter Doocy et Joe Biden :

‑ Do you think inflation is a political liability going into the midterms ? (« Considérez-vous l’inflation comme un handicap politique à l’approche des élections de mi-mandat ? »)
‑ No, it's a great asset. More inflation. You stupid son of a bitch. (« Non, c’est un gros atout. Davantage d’inflation. Stupide fils de pute. »)

L’insulte a détourné l’attention de l’inflation. Joe Biden venait de subir sans broncher les questions d’autres journalistes sur la situation en Ukraine. Mais ce qui l’a fait sortir de ses gonds est une question sur l’économie.

Michel Le Séac’h

Illustration : extrait d’une vidéo Fox News, https://www.youtube.com/watch?v=4fiQhGjC0cs


[i] Aahmer Madhani et Stephen Gruber-Miller, « Joe Biden is a self-described 'gaffe machine.' So far, Democratic voters don't seem to mind », USA Today, 6 septembre 2019, https://eu.usatoday.com/story/news/politics/elections/2019/09/06/2020-democrats-joe-biden-prone-gaffes-but-doesnt-seem-voters-care/2225251001/, consulté le 23 juillet 2021.

[ii] Xuan Thai et Ted Barrett, « Biden's description of Obama draws scrutiny », CNN, 9 février 2007, consulté le 23 juillet 2021.

[iii] « Biden assures voters Obama "has a big stick" », CBS, 27 avril 2012. Voir https://www.youtube.com/watch?v=rrmbsKW0d7c, consulté le 23 juillet 2021.