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01 juin 2023

Qu'est-ce qu'une petite phrase ? Essai de définition, avec diagramme de Venn : un concentré de rhétorique

Définir la locution « petite phrase » n’est pas une nécessité vitale. Dépourvue d’enjeux sécuritaires, juridiques ou médicaux, elle laisse plus de latitude que « champ de mines » ou « champignon vénéneux ». Mais on aimerait mieux appréhender cet objet élusif. Ce blog se range souvent à des avis d’experts : est petite phrase une déclaration qu’au moins deux ou trois médias d’une certaine importance ont appelée petite phrase. Ce postulat performatif est commode mais pas suffisant : il ne dit pas pourquoi ces médias ont considéré que la locution était applicable en l’espèce.

Diverses définitions de la petite phrase ont été proposées. Celles des savants obéissent aux préoccupations de leur discipline. Du côté des sciences du langage, Alice Krieg-Planque y voit un « syntagme dénominatif métalinguistique non-savant (et plus précisément : relevant du discours autre approprié), qui désigne un énoncé que certains acteurs sociaux rendent remarquable et qui est présenté comme destiné à la reprise et à la circulation »[i]. Au terme d’une analyse rigoureuse, dans sa thèse sur les petites phrases, Damien Deias en établit une « définition linguistique » en huit points[ii]. L’adjectif dit assez que le regard d’autres disciplines, la communication politique par exemple, peut être différent.

Une définition en trois éléments 

Les définitions des dictionnaires sont hétérogènes mais tournent en général autour de quelques éléments : le texte et sa genèse, l’auteur, le public et les médias.

Le texte est un « propos bref d’un homme politique » (Trésor de la langue française, CNRTL) ou un « propos d’une personnalité, gén. politique » (Maxidico), une « formule concise » (Dictionnaire de l’Académie française), une « expression ou phrase faisant formule » (Le Robert), un « élément d’un discours » (Le Grand Larousse illustré), une « courte phrase détachée des propos tenus en public par une personnalité » (Larousse), un « court extrait de discours » ou une « brève citation publique » (Wikipedia), une « petite phrase extraite des propos d’un homme public » (Petit Robert). On retiendra le mot « formule », soit, selon l’Académie française, des « paroles auxquelles on attribue une efficacité spécifique » ou encore une « expression symbolique d'une règle opératoire, d'une loi de la nature, d'une relation, de la composition d'un corps, de sa structure, etc. ». En effet, sous une forme concise (et même « anodine », écrit l’Académie française), la petite phrase renferme un contenu riche, voire puissant, chargé de sous-entendus.

Dans les définitions ci-dessus figure plusieurs fois l’idée que la petite phrase est extraite d’un discours. Pour les sciences du langage, le fait générateur de la petite phrase est son « détachement », concept dégagé par Dominique Maingueneau[iii]. Elle est, écrit Damien Deias, « un fragment de discours […] ayant subi un détachement fort pour être cité dans un texte ». Cependant, sont aussi désignés comme des petites phrases des exclamations isolées (« casse-toi pauv’ con »…), des passages de conversation (« je traverse la rue »…), des répliques lors de débats (« je vis avec un homme déconstruit et je suis très heureuse »…), etc. L'origine d’une petite phrase est vite oubliée et ne fait pas partie de son contenu implicite, sauf circonstances exceptionnelles (« vous n’avez pas le monopole du cœur », par exemple, est issu du premier débat télévisé français entre candidats à la présidence de la République et le « vous » suppose un interlocuteur).

Un contenu indissociable du locuteur et de l’auditeur

Le détachement n’est donc pas un aspect essentiel de la petite phrase. Il en va autrement de son attachement -- ou son rattachement -- à un auteur. Comme un apophtegme, une petite phrase, à de rares exceptions près peut-être, provient toujours d’un locuteur, réel ou supposé. Son sens implicite n’est compréhensible qu’en relation avec cet auteur (« un détail de la Seconde guerre mondiale », « on met un pognon de dingue dans les minima sociaux »…). Brève et simple, la petite phrase ne contient généralement pas d’autre argument qu’un argument d’autorité. Il est donc surprenant que l’auteur soit ignoré par certaines définitions de la petite phrase, en particulier celle de l’Académie française. Naturellement, l’auteur doit être « quelqu’un », un personnage bénéficiant déjà d’une image, d’une notoriété extensible à sa petite phrase. Celle-ci peut faire évoluer l’image de son auteur mais non, a priori, la créer de toutes pièces. Autrement dit, la petite phrase vient du personnage et non le personnage de la petite phrase.

Troisièmement, la petite phrase a un auditoire, ou plus généralement un public. Elle a, pour une personne ou un groupe de personnes, un sens particulier, qui perdure au-delà de la mémoire immédiate. Autrement dit, elle laisse une marque, une empreinte cognitive, d'intensité et de durée variables en fonction des sentiments ou des passions du public. Lequel n’est pas toujours celui auquel le locuteur pensait s’adresser (« des Gaulois réfractaires au changement » est issu d’un discours adressé à la reine du Danemark). Et le sens qu’il donne à la petite phrase n’est pas toujours conforme aux intentions de son auteur (« la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde », petite phrase d’un Premier ministre de gauche, est resté une référence pour un électorat de droite). Le public est donc co-créateur de la petite phrase au même titre que le locuteur et doit faire partie de sa définition.

En revanche, les médias, cités par plusieurs dictionnaires, ne paraissent pas indispensables à celle-ci. Ils sont certes les agents principaux du détachement distingué par les linguistes, lequel est, écrit Damien Deias, « opéré par des acteurs médiatiques qui sélectionnent des énoncés dans les discours des acteurs politiques ». Mais, d’une part, il arrive que les petites phrases soient « élues » au suffrage direct par leur public (« je traverse la rue »…), via les réseaux sociaux. D’autre part, les médias sont au fond un public parmi d’autres. Ils interviennent dans la sélection des petites phrases en tant qu’agents de leur lectorat.

D’où cette proposition de définition tripartite en douze mots : la petite phrase est

une formule concise, attribuée à un auteur connu, qui marque un public.

Elle n’existe que par réunion de ces trois conditions. Ce qu’il est possible de représenter commodément par un diagramme de Venn :

Ce graphique ne nécessite aucune explication supplémentaire. Mais il suggère de pousser plus loin l'analyse :

On reconnaît les trois catégories d’Aristote, réduites à leur état le plus simple. La petite phrase -- on y reviendra -- c'est la rhétorique à l'os. 

Michel Le Séac’h


[i] Alice Krieg-Planque, « Les « petites phrases » : un objet pour l’analyse des discours politiques et médiatiques », Communication & langages, 2011/2 (N° 168), p. 23-41. DOI : 10.4074/S0336150011012038. URL : https://www.cairn.info/revue-communication-et-langages1-2011-2-page-23.htm

[ii] Damien Deias, Les petites phrases en politique : analyse d’un phénomène médiatique. Linguistique. Université de Lorraine, 2022. Français. ‌NNT : 2022LORR0181‌. ‌tel-03933020‌. Voir notamment p. 18-24 et p. 170-171.

[iii] Dominique Maingueneau, Les Phrases sans texte, Paris, Armand Colin, 2012. Voir chapitre 1.

05 novembre 2022

« Qu’il(s) retourne(nt) en Afrique » : logos, ethos, pathos

Grégoire de Fournas, jeune viticulteur bordelais et député du Rassemblement national, a acquis instantanément une notoriété démesurée. Le jeudi 3 novembre, à l’Assemblée nationale, son collègue député LFI du Val-d’Oise Carlos Martens Bilongo s’inquiète du sort de l’Ocean Viking, un navire bloqué en mer avec 234 migrants à son bord. « Qu’il retourne en Afrique », s’écrie Grégoire de Fournas. Hourvari dans l’hémicycle. « Dehors, dehors », réclament bruyamment les députés LFI (voir vidéo de LCP).

Grégoire de Fournas assure avoir visé le bateau et ses occupants. Une grande partie de la presse et des politiques considèrent néanmoins son exclamation comme un « propos raciste » adressé à un député d’origine africaine. « L’élu d’extrême droite avait lancé "qu’il retourne en Afrique !" au député LFI Carlos Martens Bilongo, qui est noir, lors de l’intervention de ce dernier au sujet d’un bateau transportant des migrants », insiste Le Monde.

Logos : exégèse de l’inaudible

Quelques médias qualifient l’exclamation de « petite phrase » ; figurent parmi eux FranceTVinfo, Sud-Ouest, Closer ou La Charente libre. Son contenu est jugé ambigu. Certains écrivent systématiquement : « qu’il(s) retourne(nt) en Afrique ». « En effet, cette phrase, exprimée à l'oral, pourrait aussi bien avoir été prononcée au singulier ("Qu'il retourne en Afrique") ou au pluriel ("Qu'ils retournent en Afrique") », explique France info. On suppute que, au singulier, elle aurait visé Carlos Martens Bilongo, et au pluriel les migrants ; grammaticalement parlant, pourtant, elle peut aussi bien concerner le navire que ses occupants.

Le compte rendu de l’Assemblée nationale renonce aux parenthèses et tranche : « qu’il retourne en Afrique ». Mais dans l’après-midi du 4 novembre, le bureau de l’Assemblée nationale propose à celle-ci de prononcer à l’encontre de Grégoire de Fournas « une censure avec exclusion temporaire, sur le fondement de l’article 70 de notre règlement, en vertu duquel peut être sanctionné un député "qui se livre à des manifestations troublant l’ordre ou qui provoque une scène tumultueuse" ». Ce choix n’est pas neutre. Car l’article 70 permet aussi de sanctionner un député « qui se livre à une mise en cause personnelle, qui interpelle un autre député ou qui adresse à un ou plusieurs de ses collègues des injures, provocations ou menaces ». Autrement dit, le bureau de l’Assemblée ne retient pas l’injure raciste.

Au surplus, si le bureau de l’Assemblée avait considéré l’exclamation du député RN comme un propos raciste, donc délictueux, l’article 78 du règlement lui aurait imposé d’informer sur-le-champ le procureur général. Implicitement, il ne reproche à Grégoire de Fournas que d’avoir provoqué une « scène tumultueuse ».

Ethos : l’Afrique des uns n’est pas l’Afrique des autres

Enjoindre à des migrants africains de retourner en Afrique pourrait être qualifié de brutal, d’inhumain, etc. Ici, cependant, la presse parle majoritairement de racisme. Car l’exclamation ne vient pas de nulle part. Un député qui parle d’Afrique parle d’Afrique. Mais quand c’est un député RN, le spectre du racisme plane sur le nom « Afrique » lui-même.

Le message réel d’une petite phrase est souvent dissocié de son contenu stricto sensu. Parce qu’elle vient d’Emmanuel Macron, l’expression « Gaulois réfractaires » est réputée méprisante. Ne l’est pas, en revanche, parce qu’elle vient du général de Gaulle, la présentation de Clemenceau comme un « vieux Gaulois acharné à défendre le sol et le génie de notre race »[1]. La réputation du locuteur, son « ethos » aurait dit Aristote, est consubstantielle à la petite phrase.

Elle peut même l’emporter sur ce qui a réellement été dit. Selon LFI, sur son compte Twitter officiel, « alors que notre député @BilongoCarlos pose sa question au gouvernement, un député RN lui lance : "Retourne en Afrique" ». La deuxième personne du singulier de l’impératif substituée ici à l’exclamation d’origine introduit une tonalité méprisante et hostile.

Pathos : des auditoires inconciliables

Sur ce point, cependant, on peut envisager l’effet du « pathos », les passions et convictions des auditeurs. Il n’est pas impossible que l’auteur du tweet ait entendu ce qu’il désirait entendre. L’URL du tweet comporte d’ailleurs cette séquence : « voici-ce-qua-dit-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-selon-le-compte-rendu-de-lassemblee-nationale ». Son auteur, donc, aurait non seulement mal entendu l'exclamation mais mal lu le compte rendu de l’Assemblée. Le biais de confirmation est une force puissante.

Cependant, dans un monde riche en médias, il n’y a pas un auditoire mais plusieurs. Majoritairement condamné par la presse, Grégoire de Fournas trouve des défenseurs en nombre sur l’Internet. Par exemple, quand Johanna Rolland, maire socialiste de Nantes, réélue en 2020 avec 60 % des suffrages, twitte : « Cette sanction contre les propos indignes d’un député du RN s’imposait », elle s'attire en une journée une cinquantaine de réponses, toutes hostiles à deux exceptions près. « Cette polémique pourrait se retourner en faveur du parti d’extrême-droite », s’inquiète France Culture.

Bien entendu, la position du bureau de l’Assemblée renforce ce risque. Pour avoir provoqué un tumulte, Grégoire de Fournas est exclu de l’hémicycle pendant quinze jours et privé de la moitié de ses indemnités parlementaires pendant deux mois. Mais les tumultes ne manquent pas au Palais-Bourbon. Or une telle sanction n’avait été prononcée qu’une fois antérieurement, contre le député communiste dissident Maxime Gremetz, pour avoir fait scandale en commission à propos de véhicules ministériels mal garés. Le RN n’aura pas de mal à se plaindre d’une victimisation. La petite phrase de Grégoire de Fournas pourrait même en devenir le symbole.

Michel Le Séac’h


[1] Discours prononcé sur la tombe de Georges Clemenceau, 12 mai 1946.

07 mai 2022

La Fièvre des urnes – 2 500 ans de passions électorales, par Laurent Pernot

Une élection politique est affaire de passions(1) et non de raison, affirme Laurent Pernot dans La Fièvre des urnes, paru voici quelques semaines.  Fièvre : le mot renvoie délibérément à un phénomène biologique non rationnel. Pourtant, admet l’auteur, « dans le phénomène de l’élection, aujourd’hui comme hier, c’est d’abord le calcul qui saute aux yeux. Calcul de l’électeur, qui cherche le choix le plus avantageux […] ; calcul du candidat qui cherche le moyen le plus efficace pour être élu. » Telle est la théorie. Il n’est pas nécessaire de gratter beaucoup pour montrer que la réalité est bien différente. La logique n’explique pas tout – peut-être même pas grand chose.

En revanche, les passions abondent ! « Les passions impliquées dans le phénomène de l’élection se révèlent aussi puissantes que variées », estime l’auteur – et de citer « notamment l’ambition, l’orgueil, l’amour-propre, le goût du risque (et l’humiliation) ; la crainte (et inversement la haine, le mépris) ; la solidarité, le patriotisme ; la soif de justice, la colère et l’indignation ; la joie ; la reconnaissance (et inversement l’ingratitude, la rancœur) ; l’avidité, l’envie et le désir sous toutes ses formes ».

Nombreuses, elles sont aussi anciennes. L’auteur, historien, ne se contente pas d’observer les élections contemporaines. Sa démonstration remonte loin. « Un livre de la Rhétorique d’Aristote en révèle autant sur les moyens psychologiques de la persuasion que les meilleurs travaux des spécialistes de la communication », souligne-t-il. Puis il déploie son raisonnement à travers l’histoire politico-littéraire, convoquant au service de sa thèse Périclès, Cicéron, Shakespeare, Montaigne, Italo Calvino, Balzac, Zola, Norman Mailer, Francesco De Sanctis et bien d’autres. La jubilation de l’érudition est manifeste, au risque de la digression !

Les passions s’expriment d’abord verbalement. « Par le discours, le candidat communique sa propre passion, il l’insuffle et fait naître les passions sœurs autour de lui – le "buzz" des médias et des réseaux sociaux faisant monter encore la fièvre langagière. » Prétend-on débattre de rigoureux programmes, sous la surveillance des journalistes ? Une communication purement intellectuelle, telle qu’on en trouve dans le champ des sciences exactes n’est pas envisageable dans le discours politique. Certes, « ce qui s’affiche, ce sont les analyses intellectuelles, le souci de l’intérêt général, les principes moraux et les valeurs propres à chaque obédience ». Mais, « derrière une façade raisonnable, l’engagement passionnel des personnes reste le plus souvent informulé – et même impensé. »

Les petites phrases, point de rencontre du pathos et de l'êthos ?

Laurent Pernot analyse au passage quelques petites phrases spécialement utiles à sa démonstration, comme le « Moi président » de François Hollande ou le « Au revoir » de Valéry Giscard d’Estaing. Il est dommage qu’il n’ait pas davantage approfondi leur rôle. Dans un précédent ouvrage(2), il avait justement insisté sur le fait que l’essentiel du discours politique est souvent caché. Dans un développement précisément intitulé « Débats et petites phrases », il constatait, après Theodore Herzl, que « le débat public constitue la forme la plus achevée du secret ».

C’est dire à quel point la relation entre l’orateur et son public est complexe. Laurent Pernot cite judicieusement La Rochefoucauld, « poussant la démonstration à l’extrême, suivant la règle des maximes : "Les passions sont les seuls orateurs qui persuadent toujours." » Inspiré par Tocqueville (« les seuls bons [discours] sont ceux qui émeuvent »), il souligne que « le maniement idoine des affects fait toute la différence entre l’"orateur", au sens plein du terme, et le simple "parleur" ».

Ce qui le ramène bien sûr à Aristote et à la fameuse distinction de l’êthos, le caractère, et du pathos, la passion, le premier définissant davantage l’orateur, le second son public. Une tension dont il aurait pu se demander si elle ne se résout pas dans les petites phrases, point de rencontre où le pathos distingue ou croit distinguer un êthos.

Laurent Pernot, de l’Institut, La Fièvre des urnes – 2 500 ans de passions électorales, Paris, Éditions de l’Observatoire, 2022, 192 pages, 19 €.

(1) De nos jours, « on utilise souvent le mot "émotions", plus neutre, plus scientifique », note Laurent Pernot. Qui préfère cependant le mot « passions » à cause de sa « puissance philosophique et littéraire ».

(2) Laurent Pernot, L’Art du sous-entendu, Paris, Fayard, 2018.

Michel Le Séac’h

14 décembre 2021

« J’ai commis le crime parfait », petite phrase extra judiciaire

La locution « petite phrase » est fréquente dans les milieux politiques et sportifs. Elle est rare chez les juges et les policiers, qui cultivent la précision du vocabulaire. Que vient-elle faire dans l’affaire Jubillar ?

Après la disparition inexpliquée d’une jeune infirmière, Delphine Jubillar, dans le Tarn, l’an dernier, son mari, Cédric, est soupçonné par les enquêteurs. Mis en examen pour homicide volontaire, il reste incarcéré à ce jour. Dans son dossier figurerait un aveu, révélé par Cécile Ollivier et Matthias Tesson sur BFM TV le 13 décembre. À sa jeune sœur qui lui dit avoir des ennuis au lycée, Cédric Jubillar répond : « Enola, de toi à moi, je suis le meurtrier parfait pour l'instant, n'oublie pas que j'ai commis le crime parfait. Si tu as besoin de conseil... »

Son téléphone est sur écoute. Avec ce « j’ai commis le crime parfait », Cédric Jubillar livre-t-il aux gendarmes la clé de leur enquête ? Ses avocats s’indignent. Ils « dénoncent une petite phrase en forme de mauvaise plaisanterie, sortie de son contexte », relate Nicolas Zarrouk dans Le Midi libre.

Le thème de la « petite phrase sortie de son contexte » est un grand classique dans le débat politique. Mais il est ambigu. Le contexte d’une déclaration politique, c’est son public. Une petite phrase ne sort pas de son contexte, elle y entre. Dans l’affaire Jubillar, la petite phrase a deux publics très différents :

·       Elle est destinée à Enola Jubillar, dont on ne sait si elle a trouvé le réconfort recherché dans ce qui est vraisemblablement une private joke d’un goût douteux de son grand frère

·       Elle est écoutée par les enquêteurs qui cherchent un indice susceptible de les mettre sur la piste d’un assassin.

Le cas est anecdotique, la leçon ne l’est pas. Une petite phrase contient toujours un sous-entendu, elle exploite une connivence entre l’orateur et l’auditoire (« de toi à moi »). Le logos forme un arc entre l’ethos et le pathos, en quelque sorte. Mais l’orateur doit être conscient que d’autres publics peuvent l’entendre et passer ses propos au filtre de leurs propres sous-entendus. Une même petite phrase peut en faire deux.

Une évidence ? Pas si sûr. On a bien vu, il n’y a pas si longtemps, un candidat à la présidence de la République déclarer en Algérie que « la colonisation est un crime contre l’humanité » avant de s’apercevoir que les Français l’avaient entendu aussi.

 Michel Le Séac'h

Photo Marco Verch Professional Photographer via Flickr, licence CC BY 2.0