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06 octobre 2022

Sandrine Rousseau : la notoriété par les petites phrases

« Il faut changer de mentalité pour que manger une entrecôte cuite sur un barbecue ne soit plus un symbole de virilité » a déclaré voici quelques jours Sandrine Rousseau, députée Europe-Écologie-Les Verts (EELV). La sortie a été qualifiée de petite phrase par, entre autres, Le Monde, TF1, (« une énième petite phrase qui a déchaîné les passions ») ou Gala (« Une petite phrase qui a fait grand bruit et qui a valu une salve de critiques à la femme politique »).

Sandrine Rousseau pouvait-elle ignorer ce qui allait se passer ? C’est douteux. Elle défraie la chronique politique depuis un bout de temps, presque toujours de la même manière. La presse désigne souvent ses déclarations comme des « petites phrases ». Quelques exemples :

Ses soutiens s’en désolent. « Face à l’irruption de Sandrine Rousseau dans le débat public (…), aucune méthode de disqualification ne lui sera épargnée : focales sur ses "petites phrases" dites "polémiques" et psychologisation de son combat politique tracent les grandes lignes », écrivait Sophie Eustache chez Acrimed[i]. « A contrario, ses propositions (…) ne sont pas (ou si peu) discutées. » Autrement dit, la presse s’intéresse moins à ce qu’elle promet qu’à ce qu’elle dit, et considère que ce qu’elle dit révèle qui elle est. « Je ne suis pas reconnue comme autre chose qu’une femme ayant parlé de son vécu personnel », estime Sandrine Rousseau elle-même.

Jacques Julliard, qui ne l’aime pas, dit finalement la même chose dans Le Figaro[ii] : les médias « ont repéré en elle la "bonne cliente", celle qui fait de l’écoute, en raison même de l’énormité de ses propos. (…) Ainsi va de nos jours le système médiatique : ce n’est pas la nature de son contenu qui fait la valeur de l’information mais la personnalité de l’informateur. » La réciproque est vraie : c’est l’information qui fait la personnalité de l’informateur pour un public qui ne le rencontrera d’aucune autre manière.

Qui imagine l’entrecôte grillée mise en examen ?

Or Sandrine Rousseau n’est pas n’importe quel « informateur ». L’an dernier, elle dispute la primaire de l’élection présidentielle chez EELV. Quand elle se déclare, les observateurs la donnent largement battue par Yannick Jadot, Éric Piolle et Delphine Batho, beaucoup plus connus et titrés qu’elle. Elle est finalement qualifiée pour le second tour, auquel elle obtient 49 % des voix ! Malgré une campagne très virulente ‑ ou justement grâce à cette campagne virulente ?

Son cas n’est pas sans rappeler celui de François Fillon lors de la primaire de la droite en 2016. Classé quatrième dans les sondages au début de la campagne, il s’impose finalement. Entre-temps, il y a eu sa petite phrase « Qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen ? »

Consciemment ou non, les électeurs se disent sans doute que la personnalité d’un président compte finalement davantage, face à l’adversité, que des « propositions » soumises à bien des aléas. Et si pour eux ses petites phrases résument son caractère, il est légitime qu’ils y prêtent attention. Surtout si le personnel politique les y incite. « La députée écologiste Sandrine Rousseau est devenue l’une des cibles favorites de cercles conservateurs en raison de ses propos mêlant écologie et féminisme », note Le Monde. Cela « démontre » implicitement son importance pour eux. S’ils la critiquent, c’est qu’elle compte !

Emmanuel Macron a probablement bénéficié d’un phénomène analogue en 2014 à la suite de sa petite phrase sur les « illettrées de Gad » : l’opposition saisit l’occasion pour s’en prendre vivement au jeune ministre de l’économie. Ce faisant, elle lui confère d’emblée une stature spéciale.

Cela n’a probablement pas échappé à la députée écologiste. « Faire évoluer les mentalités par des punchlines bien huilées, telle est la stratégie que Sandrine Rousseau a décidé d’adopter », assure Anastasia Wolfstirn dans Gala, en rubrique « News de stars »[iii]. S’agit-il d’ailleurs de « faire évoluer les mentalités » ou d’assurer sa notoriété ? Sa phrase sur la virilité de l’entrecôte n’est pas originale. Comme l’a observé Frédéric Mas, on en lit davantage chez Pierre Bourdieu et Roland Barthes (« le bifteck participe à la même mythologie sanguine que le vin », etc.)[iv]. L’importance de cette petite phrase n’est pas dans ce qu’elle dit de la viande mais dans ce que les électeurs comprennent de Sandrine Rousseau.

Michel Le Séac’h

 Photo Wikimedia Commons par Tilou90, licence CC-AS 4.0


[i] Sophie Eustache, « Sandrine Rousseau, la candidate qui n’a pas plu aux médias », Acrimed, 4 octobre 2021. https://www.acrimed.org/Sandrine-Rousseau-la-candidate-qui-n-a-pas-plu

[ii] Jacques Julliard, « Au secours, Monsieur Xi Jinping ! », Le Figaro, 3 octobre 2022. https://www.lefigaro.fr/vox/politique/jacques-julliard-au-secours-monsieur-xi-jinping-20221002

[iii] Anastasia Wolfstirn, « Sandrine Rousseau “caricature de ses idées” ? Pourquoi ses adversaires l’apprécient… », Gala, 10 septembre 2022. https://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/sandrine-rousseau-caricature-de-ses-idees-pourquoi-ses-adversaires-lapprecient_501821

[iv] Frédéric Mas, « Sandrine Rousseau : le steak qui cache la forêt », Contrepoints, 1er septembre 2022. https://www.contrepoints.org/2022/09/01/437955-sandrine-rousseau-le-steak-qui-cache-la-foret

09 décembre 2021

Zemmour contre Macron : « un type qui n’est pas fini »

Éric Zemmour, nul n'en doute, a un compte à régler avec Emmanuel Macron : « C'est un adolescent qui se cherche, on a l'impression d'un type qui n'est pas fini, quelqu'un qui n'a pas les idées claires », déclare-t-il, invité par Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV le 7 décembre.

Cette petite phrase suscite des réactions vives sur le respect dû au chef de l’État ou sur les abus de langage du candidat Zemmour. Pourtant, elle n’est pas d’une radicale originalité. « Il me donne l’impression d’un jeune homme qui n’est pas fini », écrit Philippe de Villiers, à propos du président, qu'il a rencontré à plusieurs reprises[i].

Toujours à propos d'Emmanuel Macron, l’essayiste de gauche modéré Jacques Julliard estime qu'« il émane de [son] ivresse dans le maniement des concepts quelque chose d’adolescent »[ii]. Plus à gauche, l’universitaire Damon Mayaffre, spécialiste de la parole politique, estime qu’il y a dans le discours présidentiel « quelque chose d’inachevé, voire d’inavoué »[iii].

En 2017 déjà, alors que Le général Vincent Desportes croyait déceler « un autoritarisme juvénile » chez Emmanuel Macron, la journaliste Anne Fulda publiait de ce dernier un portrait en « jeune homme si parfait »[iv]. Elle le décrivait comme un « candidat aux allures de Petit Prince virtuel »

Blondet et Larrutouru ont une référence plus moderne, Le Roi Lion de Disney : « Emmanuel Macron, lui, se prend pour Simba, le petit prince trop cool »[v]. C’est plus charmant que « type qui n’est pas fini », mais pas si différent sur le fond…

Michel Le Séac’h


[i] Philippe de Villiers, Le Jour d’après, Paris, Albin Michel, 2021.

[ii] Jacques Julliard, « L’énigme Macron », Le Figaro, 4 janvier 2021

[iii] Emilio Meslet, « Quand un algorithme décrypte les mots de Macron », L’Humanité, 5 juin 2021, https://www.humanite.fr/quand-un-algorithme-decrypte-les-mots-de-macron-709376.

[iv] Anne Fulda, Emmanuel Macron, un jeune homme si parfait », Paris, Plon, 2017.

[v] Eliot Blondet et Paul Larrouturou, Élysée confidentiel, Paris, Flammarion 2021.