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16 mai 2022

Jean Castex, un Premier ministre (presque) sans petite phrase

Jean Castex a donc quitté l’hôtel Matignon. Rarement l’expression « petite phrase » aura été aussi peu prononcée à propos d’un personnage si haut placé dans la hiérarchie politique. Et ce n’est sans doute pas un hasard : rarement aussi un Premier ministre aura fait si peu d’ombre à un président.

Les petites phrases accrochées aux basques de Jean Castex ne sont pas seulement rares, elles sont modestes, comme en témoignent ces quelques titres parus dans la presse française :

Ont également été qualifiées de petites phrases, occasionnellement : « Le meilleur moyen de soulager l’hôpital, c’est de ne pas tomber malade », « Il ne suffit pas d’acheter des lits chez Ikea pour ouvrir des places en réanimation », « Les soignants ne demandent pas d'augmenter le nombre de lits en réanimation mais veulent surtout éviter que les malades arrivent à l'hôpital », « Les vaccinés n’ont plus de chance d’attraper la maladie » (lui-même l’attrapera deux fois), « La véritable variable, ce qui a le plus d'impact, on le sait, c'est fermer les écoles », « Je suis favorable à ce que nous allions plus loin et que nous élargissions les compétences de la collectivité européenne d’Alsace », « Il y a des gens qui rouspètent et il y a des gens qui agissent », « Il ne faut jamais raconter des fadaises ». Rien de tout cela ne semble avoir laissé de trace durable. Et rien ne peint un caractère.

Moins fort que Raffarin

Jean Castex ne restera pas dans l’histoire contemporaine comme « celui qui a dit » ceci ou cela. Hormis Jean-Marc Ayrault, trou noir de la politique, on ne voit pas de Premier ministre plus chiche en formules remarquables.

En particulier, aucune de ses petites phrases ne pourrait être considérée comme « assassine ». Jean Castex a peut-être tué StopCovid ou la campagne « Dedans avec les miens, dehors en citoyen », mais aucune de ses formules un peu remarquées n’était destinée à nuire à un autre homme politique(1). Surtout, aucune n’a pu être prise comme l’expression d’une rivalité avec le président de la République.

Les quelques phrases citées plus haut auraient pu, sans doute, acquérir une bien plus grande notoriété si la presse et l’opinion en avaient décidé ainsi. Si elles ne l’ont pas fait, c’est qu’elles n’ont pas vu chez Jean Castex l’étoffe d’un leader politique. Ce qui n’est pas une critique. Au poste qu’il a occupé pendant deux ans, il faut sans doute du talent et de l’abnégation pour bien montrer qu’on n’ira pas plus haut. Il n’aura pas surpassé Jean-Pierre Raffarin dans cet exercice, mais il aura bien fait le job.

Michel Le Séac’h

(1) À une exception subliminale près. « J'aurai l'occasion de me déplacer plus tard avec le ministre de l'Intérieur qui sera désigné sur ma proposition », avait-il déclaré le lendemain de sa nomination à Matignon, lors d'une visite à un commissariat. Deux ou trois journaux, dont Gala, y avaient vu une « petite phrase » annonçant que Christophe Castaner ne ferait pas partie du gouvernement qu'il était en train de constituer.

03 novembre 2021

« Le meilleur moyen de soulager l’hôpital… » : une petite phrase à retardement pour Jean Castex

« Le meilleur moyen de soulager l’hôpital c’est de ne pas tomber malade » : cette formule de Jean Castex fait un tabac sur l'internet depuis quelques jours. 20 minutes vient au secours du chef du gouvernement : « À en croire les réseaux sociaux, le Premier ministre, Jean Castex, viendrait de lancer une déclaration totalement absurde »… mais c’est un « fake » !

Une désinformation ? Pas tant que ça. En réalité, Jean Castex a bien prononcé cette phrase, et même deux fois. Seulement, c’était en octobre 2020. Est-elle moins « totalement absurde » pour autant ? Sans doute, si l’on tient compte du contexte : à cette époque, il s’agissait de préconiser le respect des gestes barrières et du port du masque pour lutter contre l’épidémie de covid-19. Mais une petite phrase circule hors contexte. Plus exactement, son véritable contexte est le public qui l’entend.

Or le public en a déjà entendu d’autres de la part de Jean Castex. « Les soignants ne demandent pas d'augmenter le nombre de lits en réanimation... mais veulent surtout éviter que les malades arrivent à l'hôpital », a-t-il ainsi déclaré en novembre 2020. Cela lui avait valu une bronca parmi les agents hospitaliers. De même quand, en mars dernier, il a souligné que « il ne suffit pas d’acheter des lits chez Ikea pour ouvrir des places en réanimation ». « Le meilleur moyen de soulager l’hôpital c’est de ne pas tomber malade » se rattache clairement à la même famille. La phrase est donc crédible, sa cohérence cognitive est irréprochable.

L'heure n'est plus aux « raffarinades »

À tout personnage politique de premier plan, l’opinion publique cherche à accoler une ou plusieurs petites phrases résumant son personnage. S’il ne lui en fournit pas, elle fait avec ce qu’elle trouve. « Jean Castex n’a pas encore trouvé sa petite phrase », notait-on ici l’an dernier. Les Français en ont trouvé une pour lui dans son répertoire. La citation date peut-être d’octobre 2020, mais il y a des chances pour qu’il la traîne avec lui comme Jean-Pierre Raffarin a traîné « la route est droite mais la pente est forte » pendant tout son bail à l’hôtel Matignon.

Jean-Pierre Raffarin n’a pas forcément à s’en plaindre. Lui-même se dit satisfait de ses sorties(1). Il les compare même à la poésie classique chinoise(2) ! Témoignages de bonne volonté et d’ambition limitée, elles lui permettent de collaborer sans heurts pendant trois ans, de 2002 à 2005, avec le président Chirac : « le "mâle dominant" du troupeau n'est pas le Premier ministre », souligne Joseph Daniel(3). On les appelle « raffarinades », par allusion aux « tartarinades » de Tartarin de Tarascon. 

À défaut d’un nom qui rime, Jean Castex possède un accent de circonstance. Le problème, encore une fois, c’est le contexte : les petites phrases appréciées des Français en 2002 ne le sont peut-être plus en 2021.

Michel Le Séac’h

(1) Jean-Pierre Raffarin, Je marcherai toujours à l’affectif, Paris, Flammarion, 2012.
(2) Jean-Pierre Raffarin, Chine - Le grand paradoxe, Paris, Michel Lafon, 2019.
(3) Joseph Daniel, La Parole présidentielle. De la geste gaullienne à la frénésie médiatique, Paris, Le Seuil, 2014.

llustration : capture partielle d’écran, Déclaration du Premier ministre Jean Castex à l’issue du Conseil de défense Covid-19 du 29 janvier 2021, site de l’Élysée via YouTube.