Une partie de campagne décrit « la présidentielle à laquelle vous avez échappé ». Le narrateur, Guy Marchant, chômeur célibataire de 45 ans, décide un matin en se rasant de se présenter à l’élection présidentielle. Il organise sa campagne avec ses copains de Grandville-sur-Loire, en suivant méthodiquement les préceptes de La Campagne électorale pour les nuls.
Rachel Khan, la pamphlétaire de Racée qui brandit son origine métisse comme un étendard, secondée par l’illustrateur Xavier Gorce, poussé hors du Monde pour cause de dessins pas politiquement corrects, s’en donne à cœur joie dans cet ouvrage satirique. Elle cultive un faux premier degré naïf et factuel qui n’est pas sans rappeler le ton pince-sans-rire de Sempé et Goscinny dans Le Petit Nicolas (« mon papa, qui est très modeste, est devenu tout rouge »…), avec une foule de sorties burlesques et pourtant « tellement vraies ». Derrière la façade des candidats et de leur entourage, il y a autant de cœurs que de cerveaux...
La campagne de Guy Marchant est on ne peut plus basique : elle rappellera quelque chose à tout le monde sans rien apprendre à personne. Le livre vise à distraire ! Cependant, dans un troisième degré a priori involontaire, il illustre le rôle majeur des petites phrases dans la vie politique. Il s’ouvre d’ailleurs sur l’une d’elles : « Win the "yes" needs the "no" to win against the "no" ». Cette petite phrase de Jean-Pierre Raffarin est intéressante à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle est en anglais, bien sûr. Ensuite parce qu’elle signale un leader qui ne cherche pas le pouvoir. Dans l’utilisation qu’en fait Rachel Kahn, elle montre aussi qu’une formule d’apparence absurde peut être prise comme typique de la vie politique !
Petites phrases partout
Le livre multiplie les références à des petites phrases célèbres. L’un de ses chapitres est intitulé « En vous rasant ? », un autre « Le meilleur d’entre nous ». Est-il question pour Guy Marchant de participer à un débat télévisé (p. 153) ? L’un des membres de son équipe de campagne proclame aussitôt « Vous n’avez pas le monopole du cœur ». Et les autres d’embrayer : « Travailleurs, travailleuses », « Rassurez-vous, un jour je ne manquerai pas de mourir », etc. Jusqu’au moment où la directrice de campagne sonne la fin de la récré avec : « Je vous demande de vous arrêter ! »
De nombreuses autres citations ou allusions émaillent le livre : « La Corrèze plutôt que le Zambèze » (p. 54), « Mangez des tomes » chez le fromager pendant la visite du marché (p. 121), « Je crois encore aux forces de l’esprit » (p. 132), « J’aurais bien aimé vous donner raison, mais nous serions deux à avoir tort » (p. 159)… Il y a aussi des formules bien frappées qui n'attendent qu'un homme politique à leur mesure : « La vie ce sont les 3 t : Talent, Ténacité, Tarifs », « Je veux recoudre la France », « Le grand remplacement est la marche de l’histoire et si l’homme blanc n’est pas encore rentré dans cette marche de l’histoire, le reste de l’humanité ne va pas l’attendre », « Un engagement déconstruit pour un féminisme engagé », « Derrière les grands hommes, il y a toujours de grandes femmes », ou encore, en réplique à Arlette Chabot à la télévision : « Ce n’est peut-être pas votre question, mais c’est ma réponse » (p. 158).
La démonstration implicite et involontaire est claire : les petites phrases sont consubstantielles aux campagnes présidentielles.
Phrases-choc, punchlines et buzz
La première étape de la campagne est d’installer un QG, la seconde de choisir un slogan. La directrice de campagne improvisée définit celui-ci comme « une phrase-choc qui symbolise ou résume l’ensemble d’un programme ». Un peu plus tard, la même assure que le slogan, « c’est de la pub pour Guy Marchant ! » (On écarte d’ailleurs le slogan « Agir nos rêves » car « ça fait trop Martin Luther King ».) Peut-on à la fois, en une seule phrase, résumer tout un programme et peindre tout un personnage ? Rachel Khan ne va pas au bout de ce ressort satirique. Néanmoins, l’équipe de campagne tombe d’accord sur un slogan simple : « Votez pour moi », un message clair, « sans langue de bois », mais qu’on ne dépose pas à l’INPI parce que « ça a un coût ».
La question du programme ne vient que bien après celle du slogan censé le résumer ! Malgré les nobles déclarations, il est davantage au service du candidat que l’inverse. Mais à ce stade, la campagne est lancée, il faut assumer. On crée alors une « cellule riposte » chargée de répliquer aux sorties des autres candidats. Sa patronne se dit « forte en « punchlines ». « Je gère déjà tous les comptes sur les réseaux (…), je peux aussi tacler les autres, c’est plutôt amusant », assure-t-elle.
On observe la concurrence du coin de l’œil : « Il faut garder une dynamique et une sorte d’addiction des gens à cette course, comme le font très bien Attila Mour ou Voltaire [deux autres candidats] avec leurs petites phrases qui font le buzz » (p. 141).
Cellule de crise
Le buzz ! C’est l’objectif capital. Guy Marchant s’inquiète de l’absence de retombées sur le net. « Je sais bien que la plus mauvaise presse pour un candidat c’est lorsqu’on ne dit rien sur lui », concède Valérie, sa directrice de campagne. « Ne t’inquiète pas, tu existes à nos yeux, ne t’inquiète pas, on va inventer un buzz ». Comment ? « On n’est pas assez sulfureux […]. Il faut provoquer de l’indignation, de la contestation, il y en a qui font un buzz par jour, par exemple, il faut buzzer » (p. 189). On crée alors une cellule de crise chargée de « réfléchir au sujet qui pourrait être intéressant pour un bon buzz ».
Et si la communication ordinaire ne suffit pas, vers la fin de la campagne, on cherchera à provoquer « un buzz qu’il faudrait savoir maîtriser, par exemple une phrase bien sentie ou une photo compromettante » (p. 181). Petite phrase toujours !
À la fin, malgré tous ces efforts, Guy Marchant n’est pas élu. Mais il obtient quand même 5,5 % des suffrages, et le président l’appelle pour négocier le second tour. Pas si mal, pour un chômeur célibataire de Grandville-sur-Loire.
Rachel Khan & Xavier Gorce
Une partie de campagne
Éditions de l’Observatoire, Paris, 2022
208 pages, 15 €, ISBN 979-10-329-2420-4
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