« Emmanuel Macron qualifie la colonisation de crime
contre l’humanité » : à diverses variantes près, on a pu lire ce
titre dans Le
Monde, Libération,
Le Figaro, L’Express,
L’Obs, la plupart des quotidiens régionaux, et d’autres encore. Puis, le
lendemain ou le surlendemain, dans une grande partie des mêmes : « Pour
Emmanuel Macron, on a humilié les opposants au mariage pour tous ».
Deux petites phrases adressées par un candidat à des publics
radicalement différents ? On pense aux méthodes mises en œuvre par le
marketing politique américain depuis l’élection présidentielle de 1996 :
face à un électorat éclaté aux valeurs disparates, il faut s’adresser tour à
tour à chacune de ses « microtendances ». C’est du moins ce qu’a expliqué
le publicitaire Mark Penn, inventeur du concept auprès du président Clinton[1].
Emmanuel Macron aurait-il tapé un coup subliminal à gauche puis un coup
subliminal à droite ?
Certainement pas. Dans le premier cas, en visite à Alger, l’ancien ministre de l’Économie cherchait de toute évidence à se
racheter d’une déclaration précédente, au Point, l’automne
dernier : « en Algérie, il y a eu la torture, mais aussi
l’émergence d’un État, de richesses, de classes moyennes. Il y a eu des éléments
de civilisation et des éléments de barbarie ». Ce relativisme lui avait été
reproché. Et voici ce qu’il a déclaré cette semaine à la chaîne de télévision algérienne
Echorouk News : « Je pense qu'il est inadmissible de faire la
glorification de la colonisation. Certain ont voulu faire cela en France, il y
a dix ans. Jamais vous ne m’entendrez tenir ce genre de propos. J’ai toujours
condamné la colonisation comme un acte de barbarie. La colonisation fait partie
de l’histoire française. C’est un crime contre l’humanité. » C’était
une tentative « diplomatique » et non un message à l’électorat
français.
Rectifier le tir ? On n’arrête pas une flèche partie
Hélas pour Emmanuel Macron, l’électorat français l’écoute.
Et plus encore ses concurrents à l’élection présidentielle. Qu’elle
ait amadoué ou pas les officiels algériens, sa déclaration, reformulée et
simplifiée (« la colonisation est un crime contre l’humanité »)
a été abondamment répétée, surtout par ses adversaires, et donc mémorisée à un
certain degré par le public. Elle est devenue une petite phrase à part entière,
et sa signification implicite est quelque chose du genre : « Emmanuel
Macron fait des déclarations scandaleuses ».
Et voilà le candidat obligé (ou qui se croit obligé) de
rectifier le tir une fois de plus dans une vidéo diffusée par les réseaux
sociaux pour dénoncer « une
instrumentalisation de ses propos », ce qui a surtout pour effet
de les répéter une fois de plus, donc de favoriser davantage encore leur
mémorisation… On n’arrête pas une flèche tirée, on ne peut qu’en tirer une
autre.
C’est sans aucun doute par malchance, et non par calcul,
qu’est paru dans L’Obs le surlendemain un entretien au cours duquel
Emmanuel Macron déclarait : « Une des erreurs fondamentales de ce
quinquennat a été d’ignorer une partie du pays qui a de bonnes raisons de vivre
dans le ressentiment et les passions tristes. C’est ce qui s’est passé avec le
mariage pour tous, où on a humilié cette France-là. Il ne faut jamais humilier,
il faut parler, il faut "partager" des désaccords. » Là
encore, l’ancien ministre cherchait probablement à se faire pardonner une visite
précédente à Philippe de Villiers au Puy-du-Fou. Et le résultat est du même
ordre : simplification (« on a humilié les adversaires du mariage
pour tous »), répétition, mémorisation et signification implicite du
genre : « Emmanuel Macron fait des déclarations scandaleuses ».
Le spectre de la bravitude
Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel
Macron est victime de petites phrases involontaires. Et qu’il se montre incapable
de concevoir et de mettre en valeur des formules qui seront répétées et
mémorisées à son avantage. Il aura intérêt à y veiller. L’électorat a besoin de
formules concises qui résument ce qu’il croit savoir de la personnalité d’un
candidat (osera-t-on l’expression « roman macronal » ?). Si on
ne lui en donne pas, il en trouvera. Emmanuel Macron se trouve ainsi exposé à
une mésaventure analogue à la « bravitude » de Ségolène Royal
en 2007[2].
Et ce n’est sûrement pas en revenant sur ses interventions
antérieures qu’il l'évitera. Les petites phrases n’ignorent pas le passé mais ne
sont pas rétrospectives. En tant qu’heuristiques, elles guident une réaction
présente ou future, elles ne disent pas ce qu’il aurait fallu faire ou penser
hier[3].
En marche ! d’accord, mais pas en marche arrière.
Michel Le Séac’h
[1] Voir Mark
Penn, avec Kinney Zalesne, Microtrends – The Small Forces Behind Todays’s Big Changes, New York, Twelve,
2007.
[2] Voir Michel
Le Séac’h, La Petite phrase, Paris, Eyrolles, 2015, p. 85-86.
[3] Idem, p.
225-226.