« I always knew [V. Putin] was very smart »
(j’ai toujours su que V. Poutine était très intelligent) a déclaré avant-hier Donald Trump dans un tweet repris urbi et orbi. Cet hommage explicite du
président-élu américain au président en exercice russe porte à son sommet la réputation de
ce dernier. Mais la principale qualité qu’on lui reconnaît en général n'est pas tant l’intelligence que la détermination. Il le doit pour une part à une déclaration
de 1999 : « On ira buter les terroristes jusque dans
les chiottes ». Cette petite phrase est de très loin la plus connue de
Vladimir Poutine, en France comme dans le monde entier.
L'argot russe le plus grossier
La formule de Poutine citée par l’agence de presse russe
Interfax (« Vy menja izvinite, v tualete pojmaem – my ix i v sortire
zamochim ») avait été traduite ainsi à l’époque : « Nous
poursuivrons les terroristes partout. (…) Si on les prend dans les toilettes,
eh bien, excusez-moi, on les butera dans les chiottes. » Curieusement,
tualete et sortire sont deux synonymes issus du français, l’un convenable, l’autre
vulgaire. Mais « i v sortire zamochim », approximativement rendu par « nous les buterons dans les chiottes »,
appartient sans conteste à l’argot russe le plus grossier, en vigueur dans les
cercles mafieux des années 1990 – ainsi qu’au goulag, selon l’ancien dissident
Vladimir Boukovski.
La saillie de Vladimir Poutine avait provoqué un bond immédiat de sa popularité en Russie mais avait été peu remarquée ailleurs à
l’époque (les Russes eux-mêmes sont surpris aujourd’hui quand
on leur dit qu’elle date du siècle dernier). D’abord, son sens n’est pas
totalement clair. Au terme d’une
analyse savante et détaillée, un universitaire français, le professeur Rémi
Camus, en a proposé trois interprétations différentes. Mais surtout, à 46 ans,
Vladimir Poutine était alors un personnage peu connu qui avait fait l’essentiel
de sa carrière dans l’ombre, comme agent du KGB puis comme adjoint au maire de
Saint-Pétersbourg.
La formule est présente le 29 janvier 2000 dans un
dossier de Libération sur l’ascension de Poutine grâce à la guerre
en Tchetchénie. « ‘S'il le faut, nous irons buter les terroristes
jusque dans les chiottes’, lâche-t-il un jour », écrit l’auteur de
l’article, Véronique Soulé. Mais elle ne fait que de rares apparitions dans la
presse française avant 2011.
Une réplique à la Michel Audiard
« On ira buter les terroristes jusque dans les
chiottes » semble dater de septembre 2011 ; cette version,
apparemment de source AFP, paraît alors dans Le
Point et Le
Figaro. Elle s’éloigne nettement de la formule d’origine (« Nous
poursuivrons les terroristes partout. (…) Si on les prend dans les toilettes,
eh bien, excusez-moi, on les butera dans les chiottes. »). Mais elle
est débarrassée de tout détail inutile et dynamisée par le pronom « on ».
Bien qu’étranger à la langue russe, il accroît la sonorité de la phrase et en
quelque sorte la francise : on la croirait sortie d’un film de Michel
Audiard.
Sous cette forme « optimisée », la petite phrase
connaît désormais un succès croissant. Surtout après les attentats du
Stade de France et du Bataclan en novembre 2015. Elle devient alors « virale » sur les réseaux sociaux. Seize ans après avoir été
prononcée (sous une autre forme…), la petite phrase apparaît comme un mot
d’ordre pour l’opinion française ; la popularité du président russe fait un bond,
comme le montre le fort pic de recherches sur son nom enregistré par Google Trends dans la
semaine suivant les attentats (graphique ci-dessous). Aujourd’hui, Google en recense plus
de 20 000 occurrences sur le web français, loin devant toute autre
version.
Google Trends : recherches sur « Poutine » en France au cours de l'année 2015 |
Interrogé en 2011, Vladimir Poutine disait
avoir d’abord regretté son langage grossier. Ce n’est pas ainsi qu’un
premier ministre doit s’exprimer, lui avait-on fait savoir à l’époque. Pourtant,
sa petite phrase s’est révélée à retardement un excellent investissement dans
son image internationale. Conclusions : On ne sait jamais à l’avance quel
sera le destin d’une petite phrase, elle échappe à son auteur et acquiert une
vie propre. Et une grossièreté placée à bon escient, à
l’instar du « Merde ! » du général Cambronne, peut
avoir un effet puissant(1).
Michel Le Séac’h
Illustration : photo de Vladimir Poutine par Lhooqvsjoconda,
CC 4.0 via Wikimedia
Commons
__________________________________(1) Voir Michel
Le Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 206.
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