Punir les « allégations, indications ou présentations faussées et de nature à induire intentionnellement en erreur » qui viseraient à dissuader des femmes d'avorter : tel est l'objectif de la loi « relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption
volontaire de grossesse » adoptée voici quelques jours par l'Assemblée nationale. Spécialement visé,
l’internet – car c’est là en pratique que s’exerce le militantisme anti-IVG.
Pourquoi borner cette exigence de vérité, sanctions pénales à la clé (deux ans de prison quand même) aux questions
relatives à l’IVG ? Pourquoi ne pas punir tout simplement la diffusion
d’allégation, indications ou présentations faussées, quelle qu'en soit l'intention ? Justement, le débat
fait rage aux États-Unis. Les rumeurs et les bobards ont toujours joué un rôle
en politique ; l’internet n’a fait qu’accélérer leur diffusion. On l’a
bien vu pendant la campagne présidentielle américaine. Barack Obama s’est
publiquement inquiété de la désinformation et des théories du complot
circulant sur les réseaux sociaux. La presse écrite, très majoritairement favorable à
Hillary Clinton, a critiqué certains sites web pour n’avoir pas fait le ménage
dans les messages de leurs utilisateurs concernant la candidate démocrate.
Depuis une quinzaine de jours, à
la suite du Washington Post, certains journaux affirment même que le
gouvernement russe a volontairement répandu des fausses nouvelles sur
l’internet pour favoriser l’élection de Donald Trump (le complotisme serait-il
en train de changer de bord ?).
L’Oxford English Dictionary vient de valider l’expression « post-truth »
(post-vérité), qui désigne « les circonstances dans lesquelles les faits
objectifs exercent moins d’influence sur la formation de l’opinion publique que
les appels à l’émotion et aux croyances individuelles ». Les grands de
l’internet, Google et Facebook en tête ont annoncé leur intention de priver de
publicité les sites qui contiennent des fausses nouvelles. Pendant la campagne
électorale américaine, le compte Twitter de Donald Trump était intitulé
@realDonaldTrump pour tenter de se distinguer de tous les faux Trump.
Les petites phrases fausses ont parfois l'air plus vraies que nature
Mais en quoi consistent les fake news ? Dans le New
York Times, un professeur de philosophie, Michael P. Lynch, a tenté un
distinguo entre « mensonge » et « tromperie ».
« Mentir », selon lui, « c’est délibérément dire ce
que vous pensez faux avec l’intention de tromper votre auditoire. Je peux vous
tromper sans mentir (un silence à un moment clé, par exemple, peut être
trompeur). Et je peux vous mentir sans tromperie. Cela peut être parce que vous
êtes sceptique et ne me croyez pas, mais aussi parce que mon propos se trouve par
hasard être vrai. » Cette manière de couper les cheveux en quatre
annonce d’intéressants débats à venir !
L’observation des petites phrases pourrait apporter des
éléments à ces débats. Une petite phrase qui réussit est largement répétée, mais
pas toujours comme elle a été prononcée (d’ailleurs, comme le dit le professeur
Lynch, un silence peut être trompeur, or la petite phrase n'en rend pas compte). Il est
difficile aujourd’hui de vérifier que Marie-Antoinette a dit, ou pas : « s’ils
n’ont plus de pain, qu’ils mangent de la brioche »[1].
Mais il n’est pas difficile de vérifier qu’Emmanuel Macron a dit « la vie d'un entrepreneur est
bien plus dure que celle d'un salarié » : la petite phrase ne
date que de janvier dernier. Et alors là, surprise : le voyant rouge « fake
news » se met à clignoter. En réalité, Emmanuel Macron a dit : « la
vie d'un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d'un salarié ».
L’omission du mot « souvent » change beaucoup la tonalité
de la phrase – s’agirait-il du silence trompeur dont parlait Michael P.
Lynch ? Or la première formule (fausse) est dix fois plus fréquente sur
l’internet que la seconde (vraie) !
La
presse américaine n’est pas à l’abri de ce genre de fantaisies, volontaires ou pas.
Washington Post et New York Times en tête, en dépit de leur
hostilité aux « fake news », de nombreux journaux ont tronqué
une déclaration de Donald Trump (« I will accept the results of the
election – if I win »), lui donnant ainsi une tonalité putschiste. Le « sound bite » a fait un tabac sur l’internet. On voit plus aisément une paille dans
l’œil du voisin que le fake qui est dans son œil à soi.
[1] Michel Le
Séac’h, La Petite phrase, Eyrolles, 2015, p. 95.
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